Intervention de Michel Billout

Réunion du 30 juin 2011 à 15h00
Interdiction de l'exploration et de l'exploitation des mines d'hydrocarbures par fracturation hydraulique — Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixte paritaire

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat parlementaire mouvementé autour des propositions de loi relatives à l’exploration des hydrocarbures de roche prend fin ici par la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire et par le vote du texte définitif.

J’espère sincèrement que la langue de bois et le double langage qui ont marqué nos débats ne seront pas de mise ce soir, mais j’avoue avoir quelques doutes.

En effet, il n’a jamais réellement apporté de réponse à la question de savoir s’il fallait interdire l’exploration et l’exploitation des huiles et gaz de schiste et, en conséquence, abroger l’ensemble des permis accordés.

Ainsi, madame la ministre, si vous avez institué un moratoire et créé une mission d’information interministérielle, affichant par là même votre détermination à ne pas reproduire les erreurs commises outre-Atlantique, vous avez pourtant laissé la majorité parlementaire affirmer, sans la contredire, que la place du gaz et des huiles de schiste dans le bouquet énergétique était indiscutable.

En effet, dans un premier temps, les parlementaires de la majorité, à l’Assemblée nationale et au Sénat, ont joué l’indignation en déposant des propositions de loi tout à fait claires sur les risques environnementaux et sanitaires de l’exploitation des hydrocarbures de roche. Pourtant, dans un second mouvement, l’adoption d’amendements lors des débats a permis de modifier en profondeur le dispositif proposé, pour en faire un dispositif obsolète avant même son application.

Ainsi, la proposition de loi n’a cessé de perdre de sa portée.

Elle est d’abord devenue inefficace à l’Assemblée nationale par la réécriture de l’article 2, qui, dans sa rédaction finale, ne prévoit plus l’abrogation automatique des permis de recherche concernant l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures de roche.

Pis, elle est devenue contre-performante, à la suite de son passage dans notre hémicycle puisque la majorité a autorisé, sous couvert de nécessité de recherche scientifique, la fracturation hydraulique que les propositions de loi se proposaient d’interdire ; et ce, alors qu’il s’agit d’un enjeu environnemental considérable, notamment au regard de la consommation importante d’eau qu’induit la fracturation hydraulique, mais également des risques de pollution des nappes phréatiques par des adjuvants chimiques.

Pour ces raisons, nous avons vivement combattu ce texte et sa réécriture par la commission de l’économie. Le groupe CRC-SPG a également fait le choix, lors des dernières questions d’actualité, de rappeler la dangerosité du texte proposé et d’inviter le Gouvernement à davantage de prudence. En vain, puisque vous nous avez répondu de manière parfaitement inexacte, madame la ministre, que « l’objet de la proposition de loi était bien d’empêcher l’exploration et l’exploitation de gaz de schiste au moyen de la fracturation hydraulique, seule technologie aujourd’hui utilisable ». Il s’agit d’une inexactitude, par erreur ou par oubli, puisque l’exploration par fracturation hydraulique était bien autorisée par le texte de la commission à des fins de recherche scientifique.

Vous nous avez également répondu que la nouvelle rédaction de l’article 2, aux termes de laquelle les permis de recherche seraient abrogés si, dans un délai de deux mois, les industriels indiquaient avoir recours à la fracturation hydraulique, inciterait les industriels à « sortir du bois et à se résoudre d’eux-mêmes à l’abrogation des permis ». Le pensez-vous réellement ?

Les industriels, par exemple le groupe Total, ou les sociétés Toreador et Shuepbach, ont-ils intérêt à déclarer qu’ils recourent à la fracturation hydraulique ? Est-ce d’ailleurs de leur responsabilité de se résoudre d’eux-mêmes à l’abrogation des permis ? N’est-ce pas plutôt à la loi de l’imposer ? Sur le fond, ne sont-ils pas d’ores et déjà « sortis du bois », en sollicitant vivement les parlementaires afin d’adopter cette nouvelle version de l’article 2 qui leur convient assez bien, comme le rappelait le PDG de Total lors d’une assemblée générale des actionnaires du groupe ?

Le Monde d’hier citait un industriel qui réagissait à la possibilité d’abandonner ses permis : « Dans le monde de la mine, un permis, c’est les tripes d’un industriel, son actif le plus précieux, son portefeuille. »

De fait, les industriels qui n’envisagent pas une seconde d’arrêter toute exploitation déclareront, évidemment, qu’ils n’utilisent pas la fracturation hydraulique, mais recourent à une autre pratique, par exemple la « stimulation de la roche ». Ils seront également tentés, comme l’affirment Toreador et Schuepbach, d’explorer, voire d’exploiter la piste du contentieux juridique, tant ce texte de loi présente de failles.

Je leur fais également confiance pour développer de nouvelles techniques, notamment à base de propane ou d’azote, sans par ailleurs prévoir aucune étude d’impact sur l’environnement, afin de ne pas se retrouver contraints d’abandonner une manne très profitable avec l’exploration de ces hydrocarbures.

De l’article 2 il n’a pas été question en commission mixte paritaire puisque la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale a été votée de manière conforme au Sénat. Ce qui a évolué, c’est l’article 1er et les arrangements pris par la majorité parlementaire avec le principe d’interdiction du recours aux forages suivis de fracturation hydraulique.

Nous le reconnaissons, la version proposée par la commission mixte paritaire est meilleure, ou moins mauvaise, que celle adoptée par le Sénat.

Il faut dire que l’adoption des amendements du sénateur Bizet en commission de l’économie, puis leur confirmation en séance constituaient un recul particulièrement flagrant puisque, au final, la pratique de la fracturation hydraulique était légalisée sous couvert des besoins de recherche.

Autre amélioration : alors que nous avions indiqué en séance que nous trouvions étrange de concevoir une commission nationale privée de représentants du Parlement, un amendement en ce sens présenté par les deux rapporteurs a été adopté en commission mixte paritaire.

Nous aurions souhaité que nos autres arguments trouvent la même issue et que les membres de la majorité nous écoutent un peu plus, car cela ne fait pas du texte proposé par la commission mixte paritaire un bon texte de loi.

Les aspects nocifs perdurent. Ainsi, l’article 1er bis, qui crée une Commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux, a été maintenu, alors que nous en avions demandé la suppression.

Les missions de cette commission restent par ailleurs identiques, ce qui est en contradiction totale avec l’article 1er. Cette commission a pour mission d’évaluer les risques liés aux techniques de fracturation hydraulique ou aux techniques alternatives. Il faut être précis : si la technique de la fracturation hydraulique est interdite, est-il nécessaire d’évaluer les risques qu’elle engendre ? En effet, l’évaluation sous-entend l’expérimentation. Or cette expérimentation est bien prévue à l’article 4, alors même qu’elle devrait être impossible au regard du contenu même de l’article 1er.

On reste donc dans un dispositif ambigu et contradictoire, bref inapplicable.

Nous voyons bien, sur le fond, que la réécriture de l’article 1er par la commission mixte paritaire, si elle constitue un progrès, ne règle pas la question de manière satisfaisante et laisse la voie ouverte à l’exploration et à l’exploitation des hydrocarbures de roche.

Fondamentalement, en limitant la question de l’exploitation des hydrocarbures de roche aux seuls forages suivis de fracturation hydraulique, mais également en renversant la charge de la preuve au profit des industriels, toute latitude est donnée pour l’exploitation des huiles et gaz de schiste, contrairement à ce qui a encore été affirmé par la majorité parlementaire lors de la réunion de la commission mixte paritaire.

Non, cette proposition de loi ne ferme pas la porte à l’exploration des hydrocarbures de roche. À l’inverse, l’ensemble du dispositif de cette loi et son articulation permettent de ne pas se priver, à l’avenir, de cette ressource fossile. C’est en fait, très clairement, l’objectif de la majorité.

En effet, interdire véritablement l’exploration et l’exploitation des huiles et gaz de schistes exige que les permis de recherche soient abrogés par la loi ; car, loin des affirmations de la majorité parlementaire, ceux-ci ne sont pas muets et mentionnent explicitement les pratiques utilisées. Nous le savons aujourd’hui grâce aux documents fournis par la Commission d’accès aux documents administratifs.

De plus, en s’arrêtant, pour les techniques employées, à une dénomination qui n’a pas de définition juridique claire, la porte reste ouverte à de nouvelles appellations pour une technique qui resterait la même, et donc à de nombreux contentieux juridiques.

Et quand bien même de nouvelles techniques seraient envisageables, comment celles-ci pourraient-elles éviter la fracturation puisque le gaz est emprisonné au cœur de la roche ? Or la fracturation de la roche à grande échelle pose de nombreux problèmes, et nous avons aujourd’hui suffisamment de retours des expériences nord-américaines pour en être convaincus.

Je voudrais également revenir sur l’opacité qui a entouré cette question. Durant de nombreux mois, les maires et les populations ont été totalement ignorés, n’apprenant les risques de désastre écologique encourus que grâce à la diffusion de documentaires réalisés outre-Atlantique.

En ce domaine, nous ne le répéterons jamais assez, l’information et la transparence en matière énergétique doivent être un corollaire de l’action publique. Alors que l’accident de Fukushima devrait nous éclairer sur cette nécessité, le Gouvernement et les services de l’État ont continué de pratiquer la rétention d’information.

Je crois pourtant que nos concitoyens et les élus des territoires concernés méritent plus de respect de la part du Gouvernement.

Pour finir, mais j’aurais pu commencer par là, je dirai que reste posée la question de l’opportunité de continuer dans la voie de l’exploitation des ressources fossiles, quelle que soit la technique employée. Sur ce point, nous avons, madame la ministre, une divergence importante.

En effet, pouvons-nous encore nous permettre, en contradiction avec l’ensemble de nos engagements internationaux concernant la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre et ceux pris lors du Grenelle de l’environnement, de faire reposer l’avenir énergétique de la France sur l’extraction de ressources fossiles ?

La fin annoncée de l’ère du pétrole laisse trop de questions sans réponses parce que la transition écologique n’est pas assurée. Cette situation s’explique notamment par un déficit de recherche scientifique, mais également et surtout par la structuration du marché énergétique.

Comme ils sont principalement déterminés par la profitabilité, les principaux acteurs se placent, de fait, en dehors de toute responsabilité économique, sociale ou environnementale. Nous voyons bien là les limites concrètes du modèle libéral et son incapacité à penser de manière durable l’accès aux ressources de première nécessité.

En tout état de cause, nous estimons que l’avenir énergétique de la France, de l’Europe et du monde passera non pas par l’exploitation des huiles et gaz de schiste, mais bien par la recherche dans le domaine des énergies renouvelables, afin d’en renforcer progressivement le poids dans le bouquet énergétique.

Ainsi, fondamentalement, l’ambition en termes de politique énergétique portée par les sénateurs de mon groupe réside dans une réappropriation des enjeux, grâce à une maîtrise publique renforcée, seule à même de garantir véritablement la sécurité d’approvisionnement.

Un pôle public de l’énergie, dans lequel serait par exemple intégrée une société comme Total, permettrait également d’influer sur les choix d’investissements et la politique de développement de cette dernière. Une telle évolution serait particulièrement bienvenue à l’heure actuelle alors que cette société se prépare à aller exploiter les hydrocarbures de roche présents dans le sous-sol polonais, en dehors de tout principe de responsabilité environnementale, ce qui ne devrait plus être permis.

La transition écologique et la garantie de l’accès de tous à l’énergie imposent donc de revoir les modèles libéraux appliqués par l’Union européenne et singulièrement par notre Gouvernement, ceux-là même qui nous ont conduits à privatiser GDF, à ouvrir le capital d’EDF, à octroyer des permis de recherches à des sociétés privées dont le seul objectif est de réaliser d’importants bénéfices sur les ressources de notre sous-sol. À l’inverse, l’intérêt général commande de reprendre le contrôle de notre avenir énergétique et non de le déléguer à la bonne volonté du marché et des actionnaires.

À ce titre, les révélations du New York Times, qui ont déjà été évoquées à cette tribune, devraient nous interpeller. En effet, comparant l’affaire des gaz de schiste à celle d’Enron, le célèbre journal place assez haut le niveau de mystification de la population et de détournement d’argent : un responsable du secteur forage d’un grand cabinet d’études américain aurait ainsi assuré que l’exploitation du gaz de schiste s’apparenterait à une « arnaque pyramidale » visant à gruger les investisseurs.

Du reste, alors que l’exploitation de cette ressource fossile est promue par les industriels comme le nouvel eldorado énergétique et que les élites politiques semblent convaincues, de nombreux professionnels, notamment des géologues, estiment que la révolution du gaz de schiste est survendue. Les réserves exploitables pourraient être très inférieures à celles annoncées. Au Texas, les puits ne produisent que 20 % de ce qui était annoncé. De plus, l’exploitation serait bien moins rémunératrice qu’on ne s’y attendait.

Voilà encore une illustration navrante du pouvoir des lobbies sur les choix politiques et, en l’occurrence, énergétiques, ces lobbies qui souhaitent, avec cette exploitation, engendrer une bulle spéculative permettant de dégager des profits pour les grands groupes énergétiques en dehors de la réalité économique et loin de toute considération environnementale.

Ces révélations faites par le New York Times devraient vous amener à revoir d’urgence votre copie, car elles illustrent les contradictions inhérentes à la défense de l’intérêt général face aux intérêts privés, contradictions dans lesquelles le Gouvernement s’est enlisé. La responsabilité politique devrait vous conduire à satisfaire avant tout l’intérêt général.

Pour toutes ces raisons, le groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche confirme son opposition à cette proposition de loi.

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