Intervention de Didier Reynders

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 décembre 2021 à 14h00
Justice et affaires intérieures — Audition de M. Didier Reynders commissaire européen à la justice

Didier Reynders, commissaire européen à la justice :

La définition de la notion d'État de droit que nous avons employée dans le rapport sur l'État du droit dans l'Union a pour références l'article 2 du traité sur l'Union européenne, l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux sur le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, ainsi que la jurisprudence de la CJUE et de la Cour européenne des droits de l'Homme, et plusieurs décisions du Conseil de l'Europe. Nous demandons en outre aux États membres de consulter la commission de Venise pour qu'elle s'assure du respect des standards européens dans leurs projets de réforme importants.

Si, en Pologne, c'est l'indépendance de la justice qui est en cause de manière systémique, les débats sur la primauté du droit européen sur les droits nationaux qui s'ouvrent dans d'autres situations portent plutôt sur certaines décisions d'institutions - par exemple, la Banque centrale européenne (BCE) dans le cadre de la décision de la Cour constitutionnelle fédérale allemande de Karlsruhe. Nous n'en sommes pas moins très attentifs à cette question.

Nous avons rappelé à plusieurs reprises cette primauté du droit européen, qui vaut aussi - j'y insiste - à l'égard des constitutions nationales. De même, le caractère contraignant des décisions de la Cour de justice s'impose aux autorités nationales, y compris les cours et tribunaux, cours suprêmes et cours constitutionnelles. S'il en allait autrement, nous travaillerions « à la carte » et pourrions à tout moment décider de nous éloigner de telle ou telle politique européenne, ce qui contreviendrait au principe de l'application uniforme du droit de l'Union européenne sur l'ensemble du territoire européen ainsi qu'au principe de confiance entre les États membres.

Nous réagissons aux décisions prises par les autorités nationales, moins aux propos tenus par les candidats aux élections. Néanmoins, chaque fois que l'on envisage de mettre de côté le droit européen ou la jurisprudence de la Cour de justice, nous nous inquiétons. Chaque fois que cela s'est traduit dans une décision, nous avons réagi. Dans le cas allemand, la procédure est désormais terminée. À la suite de la mise en demeure que nous avons envoyée au gouvernement allemand, ce dernier s'est engagé clairement à respecter la primauté du droit européen. De plus, la décision de la Cour constitutionnelle fédérale allemande de Karlsruhe n'a eu aucun impact sur la politique monétaire de la BCE ou de la Bundesbank. Nous restons toutefois vigilants.

Les tensions que vous avez évoquées sont effectivement préoccupantes. Comme l'a souligné la présidente de la Commission européenne, le rôle de la Commission n'est pas de construire des murs, mais des ponts. Nous sommes désireux néanmoins de protéger les frontières extérieures de l'Union. Nous avons d'ailleurs proposé que des agences européennes comme Frontex participent à des démarches en ce sens et soutenu le déploiement d'équipements numériques.

Pour réguler la situation à l'avenir, je crois plutôt au dialogue. Je me suis ainsi rendu à Budapest et à Varsovie dans le cadre de nos dialogues avec les États membres concernés. Les parlements nationaux doivent aussi échanger entre eux et avec le Parlement européen. Je propose également que les cours organisent ce même dialogue. Des contacts sont déjà noués entre les cours suprêmes et constitutionnelles et les deux cours de Luxembourg et de Strasbourg. En outre, à l'occasion de la présidence française de l'Union européenne, le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d'État organiseront des réunions entre les présidents des juridictions les plus élevées des différents États membres.

Ce dialogue est important pour évoquer les modalités de traitement des questions préjudicielles par la Cour de justice et sa compréhension des questions qui lui sont soumises. Nous continuerons par ailleurs à tenter de faire respecter nos principes fondamentaux, dans la ligne du rôle de la Commission, gardienne des traités.

Nous sommes attachés à ce que la mise en oeuvre de l'article 7 se poursuive à travers les deux procédures en cours concernant la Hongrie et la Pologne, car cela constitue une forte pression politique. Il est néanmoins difficile d'atteindre une majorité des quatre cinquièmes pour décider d'un risque de violation de l'État de droit, et plus encore d'obtenir l'unanimité pour décider de la suspension des droits de vote des deux membres concernés. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la conditionnalité portant sur les outils financiers de l'Union a pu être mise en place, car elle requiert une majorité qualifiée au Conseil de l'Union européenne. Il s'agira donc d'une solution plus simple à mettre en oeuvre. De plus, la pression budgétaire et financière a toujours un impact sur les comportements.

Nous travaillons beaucoup sur la question des subventions étrangères, à travers notamment des outils comme l'Office européen de la lutte antifraude (OLAF). En outre, le Parquet européen conclura de plus en plus d'accords avec des pays tiers pour suivre la gestion des programmes financiers. Il est vrai toutefois que les moyens d'action varient selon que l'on se trouve en dehors ou à l'intérieur de l'Union.

Les États membres ont été soucieux de bénéficier de financements dans le cadre de la numérisation des services publics en général, et de la justice en particulier. D'après les dernières évaluations, 1,6 milliard d'euros sont prévus dans les plans nationaux sur cette question. Nous déployons en outre des formations, visant à former les praticiens du droit au droit européen et aux nouveaux outils technologiques, et mettons en place des outils transfrontaliers comme e-Justice Communication via Online Data Exchange (e-CODEX). De plus, trois propositions législatives tendant à renforcer les échanges dans ce domaine seront soumises au Parlement européen et au Conseil de l'Union européenne. De manière générale, nous devons développer la numérisation sur le plan national comme à l'échelle européenne, à travers des plateformes ou via de nouveaux investissements.

S'agissant du devoir de vigilance des entreprises, il existe très peu de textes en Europe. Nous proposons une initiative horizontale couvrant l'ensemble des secteurs sur l'ensemble du continent. Un important travail de sensibilisation est requis pour convaincre tous les États membres d'aller dans cette voie. Les études d'impact que nous avons menées ont entraîné effectivement un certain retard dans l'élaboration du projet de directive. Nous essayons d'être prêts pour le premier Conseil « compétitivité » de la présidence française, la proposition devant être adoptée par la Commission en février 2022.

Il existe évidemment des points de vue différents sur ce sujet. L'essentiel est de parvenir à une solution ambitieuse sur la capacité des entreprises à prendre en compte les risques que nous connaissons pour l'environnement et les droits humains. Cette initiative doit d'ailleurs rester concomitante de celle de Nicolas Schmit portant sur le travail décent.

Dans le cadre de la proposition de la Commission d'utiliser le paragraphe 3 de l'article 78 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne concernant les possibilités de dérogation aux dispositifs existants en matière d'asile, nous avons bien rappelé que le droit d'asile était garanti, qu'il n'y aurait pas de refoulement et que la Charte des droits fondamentaux devait être respectée.

Je rappelle toutefois qu'il ne s'agit pas d'une crise migratoire classique, mais d'un trafic d'êtres humains organisé par un dictateur pour faire pression sur l'Union européenne, en réponse aux sanctions que nous avons imposées au régime de Minsk. La Commission s'est efforcée de stopper ce flux, en menaçant notamment les compagnies aériennes qui y participaient de ne plus pouvoir opérer sur le territoire de l'Union. Nous continuerons à oeuvrer en ce sens, tout en restant vigilants sur la situation des personnes victimes de ce trafic. Il faut s'assurer notamment de garder un accès ouvert aux frontières, notamment de la Pologne, aux organisations humanitaires et aux journalistes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion