Intervention de Jean-François Husson

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 25 octobre 2022 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2023 — Mission « plan de relance » - examen du rapport spécial

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson, rapporteur :

Je voudrais remercier tous les collègues membres de cette mission d'information, qui y ont participé avec assiduité. Cette mission s'inscrit dans le droit fil de nos travaux menés il y a quatre ans. Je veux également rendre hommage au travail qui avait été réalisé par mon prédécesseur, Albéric de Montgolfier, qui a été rapporteur du projet de loi relative à la lutte contre la fraude.

Nous voici donc arrivés à la conclusion de ses travaux. Vous avez rappelé, Monsieur le président, leur densité.

Je souhaite vous présenter aujourd'hui les grands axes du rapport, ainsi que les recommandations que je vous propose. Je précise que les travaux de la mission d'information étaient avant tout destinés à faire un bilan des dispositifs que nous avons voté depuis 4 ans, et en particulier dans le cadre de la loi relative à la lutte contre la fraude d'octobre 2018. Cette mission ne conclut pas à la nécessité d'une « révolution fiscale », mais propose un certain nombre d'ajustements et d'évolutions destinés à accroître la portée et l'efficacité des dispositifs examinés. Il y a d'ailleurs des sujets particulièrement lourds sur lesquels nous ne pouvons pas agir par nous-mêmes, je pense par exemple aux prix de transfert.

Commençons au préalable par un constat : les résultats du contrôle fiscal augmentent depuis 2019. Ces résultats avaient connu une chute inquiétante de près de 20 % entre 2015 et 2018, pour atteindre un point bas à 7,7 milliards d'euros. 10,7 milliards d'euros ont toutefois été recouvrés en 2021, soit une hausse de 38 % par rapport à 2018. Les résultats du contrôle fiscal ont quasiment retrouvé leur niveau record de 2019, marquant un net rebond après ceux de l'année 2020, affectés par la crise sanitaire avec une chute de 40 %.

Ces résultats doivent néanmoins être relativisés. Il existe d'abord des marges d'amélioration. L'administration fiscale ne parvient à recouvrer que 75 % des montants mis en recouvrement. Ces résultats sont par ailleurs fortement dépendants de dossiers qualifiés d'exceptionnels.

Par ailleurs, et c'est sans doute la principale limite : nous ne pouvons pas savoir, en l'absence d'évaluation méthodologiquement fiable de la fraude fiscale, si le contrôle fiscal parvient à recouvrer 1 % , 10 %, 20 %, ou plus des montants fraudés.

En 2019, le Premier ministre avait demandé à la Cour des comptes d'évaluer le montant de la fraude aux prélèvements obligatoires : elle s'y était refusée, invoquant le manque de temps nécessaire pour s'y pencher. Le Gouvernement avait dès lors confié cette mission à l'Insee, qui n'a depuis publié qu'une seule étude, produite le 25 juillet 2022, sur l'estimation des montants manquants de versements de TVA, de l'ordre de 20 à 25 milliards d'euros par an. Pour produire cette évaluation, l'Insee a travaillé à partir des données de l'administration en charge du contrôle fiscal et a ensuite transmis ce « savoir-faire » à cette dernière.

L'évaluation de la fraude fiscale pourrait faire l'objet d'un travail commun entre l'Insee et l'administration fiscale, étendu à l'ensemble des impôts. Il est grand temps que nous avancions enfin sur ce sujet, alors que les estimations les plus variées ont tendance à se multiplier dans le débat public. Dans une première recommandation, je propose donc que les estimations soient intégrées dès le projet de loi de finances initiale pour 2024 au document de politique transversale relatif à la lutte contre la fraude, avec le détail des méthodologies utilisées.

Certaines interrogations demeurent également quant à la capacité de l'administration fiscale à lutter contre certains des schémas de fraude complexes et difficilement détectables. En effet, la direction générale des finances publiques (DGFiP) a largement modernisé ses outils, en ayant par exemple de plus en plus recours à l'intelligence artificielle dans la programmation de ses contrôles. Ainsi, en 2021, le datamining a été à l'origine de 45 % des contrôles, pour 1,2 milliard d'euros recouvrés, soit 11 % du montant total.

Il me semble dès lors important que le Parlement dispose chaque année d'éléments permettant d'évaluer l'efficacité de cette méthode : c'est pourquoi je propose aussi de créer un indicateur de performance relatif à la part des contrôles programmés par datamining et ayant conduit, d'une part, à la mise en recouvrement de droits et pénalités, et, d'autre part, à des contentieux « à enjeux ». C'est l'objet de la deuxième recommandation.

Ces constats une fois présentés, j'en viens aux quatre axes qui ont structuré les travaux de la mission d'information et aux recommandations qui leur sont attachées.

Le premier axe concerne le renforcement de l'efficacité de la réponse pénale à la fraude fiscale. Les dispositions adoptées dans le cadre de la loi relative à la lutte contre la fraude ont en effet profondément affecté les relations entre l'administration fiscale et l'autorité judiciaire.

L'assouplissement du « verrou de Bercy » et son remplacement par un dépôt automatique des plaintes pour les dossiers de fraude fiscale les plus graves se sont traduits par une augmentation de 75 % des dossiers de fraude fiscale transmis par l'administration fiscale au parquet. Cet afflux massif de dossiers intervient dans un contexte où l'ordre judiciaire manque encore de magistrats spécialisés dans la matière économique et financière. Les délais de traitement sont de près de trois ans et demi en moyenne, ce qui fait que 42 % des plaintes transmises par l'administration fiscale depuis 2019 font l'objet de suites judiciaires, 46 % sont en cours de traitement et 12 % sont classés.

Face à ce constat, et au regard également des réserves entourant le cumul des sanctions pénale et fiscale, il ne semble pas opportun de modifier de nouveau les critères de dénonciation automatique ou de remettre en cause l'équilibre trouvé en 2018. En revanche, le déploiement des instruments de coopération entre l'administration fiscale et les parquets doit être encouragé. Ce sont par exemple les fiches d'accompagnement des dénonciations obligatoires ou les réunions trimestrielles qui permettent de parcourir les dossiers.

Les juridictions peuvent également s'appuyer sur des assistants spécialisés, détachés par la DGFiP auprès de celles-ci. Actuellement au nombre de 22, ils jouent notamment un rôle majeur pour analyser les dossiers de fraude les plus complexes et aider les parquets dans le traitement de ces affaires. Or, lors de nos échanges, notre attention a été attirée sur une divergence d'interprétation concernant la levée du secret professionnel fiscal des agents des finances publiques à l'égard des procureurs de la République.

Aujourd'hui, la levée de ce secret ne s'applique pas aux assistants spécialisés, en dépit de leur mission d'assistance aux procureurs. Une instruction du ministère de la justice prévoit toutefois, depuis juin dernier, que rien n'interdit au procureur de la République de se voir assister, lors des réunions avec l'administration fiscale ou pour l'analyse d'éléments relevant de la levée du secret fiscal, d'un assistant spécialisé agissant au titre de sa mission générale d'assistance du procureur de la République dans l'exercice de l'action publique. Une clarification du dispositif législatif pourrait dès lors être opérée pour que, sur autorisation du procureur de la République, le secret professionnel soit levé à l'encontre d'un assistant spécialisé, qu'il soit ou non accompagné. C'est l'objet de la troisième recommandation.

Une autre recommandation vise à tirer les conséquences de la réforme du « verrou de Bercy » : celle de réduire le nombre de membres de la commission des infractions fiscales (CIF), pour les faire passer de 28 à 16 ? C'est la recommandation n° 4. Le volume de dossiers traités par la CIF a considérablement chuté depuis 2018, passant de 964 à 286 en 2021. Et les nouvelles compétences qui lui ont été attribuées ne suffisent pas à justifier le maintien d'un nombre si important de membres. La CIF n'a d'ailleurs tenu que 25 séances en 2021 alors qu'elle pouvait, avant la réforme du « verrou de Bercy » se réunir jusqu'à 70 fois par an.

Deuxième élément de bilan sur la loi fraude, il semble que, dans un contexte de saturation de la justice, le recours aux conventions judiciaires d'intérêt public (CJIP) et aux procédures de comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) est désormais reconnu comme un gage d'efficacité, un outil à part entière de la politique pénale en matière de lutte contre la fraude fiscale.

Je rappelle que, contrairement à ce que l'on peut entendre parfois, il ne s'agit pas d'un dessaisissement de la justice. Les dossiers traités par CJIP ou en CRPC sont bien une réponse judiciaire à un dossier de fraude fiscale, avec une sanction parfois plus élevée que celle qui aurait pu être obtenue dans le cadre d'un procès. Je pense notamment à Google, qui a fini par signer une CJIP, pour un montant de 500 millions d'euros. Par le passé, et dans des dossiers très complexes, il est arrivé que le juge donne tort à l'administration fiscale pour les redressements qu'elle a opérés.

En tout, pour les sept CJIP conclues en matière de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale depuis 2019, 1,1 milliard d'euros d'amendes d'intérêt public ont été prononcés, et 2,3 milliards d'euros au total portés en recouvrement, en incluant les pénalités fiscales. La procédure de CRPC a quant à elle concerné 16 % des prévenus en 2021, contre 4 % en 2019. Le montant moyen de l'amende est passé sur la même période de 34 000 euros à 68 000 euros et les délais de traitement sont de 14 mois inférieurs à ceux de la procédure ordinaire.

Toujours sous l'angle des relations entre l'administration fiscale et les autorités judiciaires, j'en viens au soutien qui me semble devoir être apporté aux enquêteurs spécialisés, et notamment au service d'enquête judiciaire des finances (SEJF).

Nous avions douté, lors de l'examen du projet de loi relative à la lutte contre la fraude, de l'utilité d'un nouveau service de police fiscale, craignant une « guerre des polices » avec la brigade nationale de répression de la délinquance financière (BNRDF). Au final, le SEJF bénéficie d'un retour d'expérience très positif des magistrats. Il ne semble pas y avoir de conflits de compétences avec la BNRDF, les deux services étant de toute façon surchargés par le nombre de dossiers à traiter.

Le constat des magistrats est ainsi unanime : les officiers fiscaux judiciaires du SEJF, au nombre de quarante, sont très compétents mais trop peu nombreux : un nombre restreint de dossiers peut leur être transféré. Sur 169 dossiers transférés depuis le 1er juillet 2019, 148 sont en encore en cours.

Je préconise donc - c'est ma cinquième recommandation -, un doublement des officiers fiscaux judiciaires d'ici cinq ans, par redéploiement de moyens au sein des services de Bercy. Et j'oserais même dire que, si on peut aller plus vite, il ne faut surtout pas s'en priver ! Comme l'a suggéré également le magistrat chef du service lors de son audition, je propose que le champ de compétences des officiers fiscaux judiciaires soit étendu aux escroqueries à la TVA. Aujourd'hui, seuls les officiers douaniers judiciaires peuvent traiter de ces affaires, alors même que la gestion de la TVA a été transférée à la DGFiP. C'est l'objet de ma sixième recommandation.

Le deuxième axe concerne la lutte contre fraude à la TVA, qui demeure aujourd'hui massive, puisqu'elle représenterait, d'après l'estimation de l'Insee, une perte de l'ordre de 20 à 25 milliards d'euros chaque année. Cette fraude présente aujourd'hui deux caractéristiques majeures.

La première, c'est la persistance de schémas de fraude complexes et particulièrement difficiles à identifier pour les contrôleurs : je pense par exemple à la fraude « carrousel », qui consiste à obtenir la déduction de paiement de la TVA par l'émission de fausses factures par des sociétés fictives éphémères. Cette fraude entraînerait chaque année une perte de recettes de 50 milliards d'euros pour l'Union européenne.

La deuxième caractéristique, c'est que cette forme de fraude est favorisée par l'essor du commerce en ligne, en particulier sur les plateformes numériques : un rapport de l'Inspection générale des finances de 2019 soulignait que près de 98 % des sociétés étrangères opérant sur les plateformes n'étaient pas immatriculées à la TVA.

La loi relative à la lutte contre la fraude a, il est vrai, permis d'obtenir des avancées significatives en la matière. Je pense notamment à la mise en oeuvre de la responsabilité solidaire des plateformes en ligne, qui constitue une mesure emblématique pour notre commission, puisqu'elle est directement issue des propositions de son groupe de travail sur la fiscalité de l'économie numérique. Il s'avère que cette mesure a en effet eu un véritable effet dissuasif sur la fraude à la TVA en ligne : la responsabilité solidaire des plateformes n'a jamais été appliquée, ces dernières ayant systématiquement préféré déréférencer les vendeurs frauduleux. Ainsi, sur l'année 2021, sur 119 signalements de l'administration, près de 49 procédures ont été clôturées par un déréférencement des opérateurs.

Il me semble toutefois que ces avancées pourraient être prolongées, en plaidant pour un approfondissement de l'échange d'informations entre la DGFiP et la Douane.

Le transfert à la DGFiP de la compétence en matière de recouvrement de la TVA à la frontière rend aujourd'hui cette coopération d'autant plus importante, puisque la Douane, dans le cadre de son contrôle des flux de marchandises, est amenée à transmettre des informations à l'administration fiscale. Je souhaiterais donc que soit encouragée l'automatisation des échanges d'informations entre la Douane et la DGDDI, dans le cadre de la révision de leur protocole de coopération en cours. Il s'agit de ma septième recommandation.

La huitième recommandation reprend une proposition déjà formulée par notre commission lors de l'examen de la loi relative à la lutte contre la fraude en 2018, mais non retenue dans le texte final, concernant le contrôle de la détaxe de TVA : il serait en effet souhaitable que la Douane puisse accéder directement aux données de la DGFiP afin de connaître la résidence fiscale de certains voyageurs souhaitant bénéficier de ce dispositif. Cet accès aux fichiers de la DGFiP permettrait aux contrôleurs des douanes d'identifier des voyageurs se prévalant d'un passeport étranger, mais résidant en réalité en France. Conformément aux réserves formulées par la CNIL, cet accès serait bien sûr assorti d'un encadrement strict en matière de protection des données.

Il me paraît également essentiel de renforcer les moyens dont dispose l'administration pour sanctionner la fraude à la TVA : j'ai ainsi souhaité proposer de garantir l'effectivité de la procédure permettant à l'administration fiscale de suspendre le numéro de TVA d'une entreprise frauduleuse, dont le champ d'application apparaît aujourd'hui trop réduit. Depuis, un amendement tendant à répondre au même objectif a été intégré dans le texte retenu pour la première partie du projet de loi de finances dans le cadre de la procédure de l'article 49.3 de la Constitution. Nous pourrons nous appuyer dessus et y apporter éventuellement notre contribution, conformément à ce que je propose dans ma neuvième contribution.

Les contrôles réalisés par les services de la Douane ont également mis en avant la fraude au dédouanement à l'importation. Elle consiste, pour une entreprise, à créer des droits fictifs d'exonération de TVA à l'importation, en indiquant à l'administration douanière que la marchandise a déjà été taxée dans un autre État membre de l'Union, alors que celle-ci a en réalité été directement importée depuis un État tiers.

Je propose, pour lutter contre ce phénomène, de renforcer notre arsenal législatif en donnant à la Douane la possibilité de sanctionner directement les fraudes concernant les flux de dédouanement à l'importation - c'est-à-dire sans que cela ne passe par un redressement de TVA adressé par l'administration fiscale - en caractérisant cette pratique, non seulement comme une fraude fiscale, mais également comme une fraude douanière. C'est l'objet de ma dizième recommandation.

Nos travaux ont également été l'occasion de mener une réflexion sur l'efficacité de la collecte de la TVA aux frontières de l'Union européenne. À cet égard, un guichet unique de déclaration de la TVA à l'importation, le guichet IOSS, est désormais opérationnel depuis juillet 2021, et permet d'une part, de simplifier les modalités de déclaration pour les assujettis, et d'autre part, de faciliter le recouvrement de l'impôt et la collecte d'informations pour l'administration fiscale. Si le recours à ce guichet est aujourd'hui facultatif, il emporte, à peine plus d'un an après son entrée en vigueur, une forte adhésion de la part des opérateurs et de l'administration. Partant de ce constat, il convient d'évaluer la robustesse du guichet unique à l'importation, en vue d'envisager à terme de rendre son recours obligatoire. Il s'agit de ma onzième recommandation.

Plus généralement, s'agissant des pouvoirs étendus de contrôle et de saisie des services douaniers, le Conseil constitutionnel a, à l'occasion de l'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), déclaré non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 60 du code des douanes, relatives aux visites domiciliaires. Dans la mesure où il s'agit de l'une des prérogatives les plus essentielles de la Douane pour lutter contre les trafics, mais aussi contre la fraude et le blanchiment d'argent, je propose de modifier le dispositif afin de répondre à la déclaration de non-conformité du Conseil constitutionnel, l'abrogation des dispositions de l'article 60 ayant été reportée au 1er septembre 2023 par le Conseil afin de laisser le temps au législateur d'intervenir. Une habilitation à légiférer par ordonnance a depuis été déposée par le Gouvernement dans le cadre de l'examen du PLF 2023 sur ce point, mais je proposerai pour ma part une mesure « en dur ». Il s'agit de la douzième recommandation.

J'en viens maintenant au troisième axe de recommandations, qui concerne la sécurisation des dispositifs d'accès aux données, dont l'exploitation constitue aujourd'hui l'un des principaux enjeux de la lutte contre la fraude.

Les administrations ont en effet consenti d'importants investissements pour développer leurs techniques d'analyse et de valorisation des données de masse, afin de pouvoir détecter de potentielles infractions et fraudes. Le bureau de la DGFiP en charge d'exploiter ces flux de données aurait ainsi reçu en 2022 plus de 6,2 Téraoctets de données « utiles » : pour vous donner un ordre d'idée, cela correspond à plus de 40 millions de pages de documents PDF ou plus de 8 000 armoires d'archivages papier.

La collecte massive de ces données a en outre été favorisée par plusieurs avancées législatives introduites ces dernières années mais dont l'effectivité n'est pas encore pleinement assurée. Ainsi en est-il, notamment, de la collecte et de l'analyse des données librement publiées sur les réseaux sociaux aux fins de recherche d'éventuelles infractions graves au code général des impôts et au code des douanes. Cette expérimentation, votée pour une durée de trois ans, doit prendre fin au mois de février 2024. Nous avons eu une démonstration de son utilité lors de notre déplacement à la DGFiP : une exploitation des annonces publiées sur un site de vente bien connu a permis d'isoler le cas d'un vendeur particulier à l'origine de dizaines d'annonces de vente de voitures de luxe...

La portée de l'expérimentation a toutefois été fortement réduite par la décision du Conseil constitutionnel qui a opéré une distinction entre les données « publiquement » et « librement » accessibles : les agents habilités de la DGFiP et de la Douane ne peuvent aujourd'hui accéder qu'aux données librement accessibles, c'est-à-dire accessibles sans aucune forme de connexion, et non aux données publiquement accessibles, c'est-à-dire auxquelles tout le monde peut avoir accès, mais éventuellement en disposant d'un compte sur la plateforme concernée. Résultat, de nombreux sites et plateformes sont exclus de l'expérimentation alors même que nous savons qu'elles peuvent par exemple être utilisées pour vendre des biens et des services sans déclaration.

Je vous propose donc, sous condition d'y apporter les garanties nécessaires pour protéger les données personnelles et la vie privée des contribuables, de prévoir que les agents dûment habilités puissent avoir accès aux données publiquement accessibles. Dans le même temps, et pour que cette modification puisse pleinement prendre son effet, je vous propose de prolonger l'expérimentation de deux ans, jusqu'au mois de février 2026. Il s'agit de la treizième recommandation.

La deuxième mesure concerne l'accès aux données de connexion par les agents de l'administration fiscale et des douanes, prévu aux articles 14 et 15 de la loi relative à la lutte contre la fraude.

Quatre ans après l'adoption de la loi, ce sont les deux seules dispositions qui restent inappliquées, en l'absence de publication des décrets en Conseil d'État. Ceci s'expliquait principalement par des décisions en attente de la Cour de justice de l'Union européenne, lesquelles ont désormais été rendues.

En accord avec ces décisions, et pour assurer la pleine application de ces dispositifs, je vous propose d'aligner le dispositif d'accès applicable à la Douane sur celui de l'Autorité des marchés financiers et de la DGFiP. Il prévoit en effet une autorisation préalable d'un contrôleur général des demandes d'accès aux données de connexion. Ce dernier, indépendant, verrait son champ de compétence accru, sans qu'une nouvelle autorité n'ait besoin d'être créée et en garantissant une application harmonisée pour ces trois organes. Il s'agit de la quatorzième recommandation. Le Gouvernement doit publier rapidement les nouveaux textes d'application. À défaut, il importe que nous soyons informés des raisons qui s'opposent à la publication de ces textes, sans attendre de nouveau 4 ans.

Le quatrième et dernier axe fait écho aux enquêtes publiées récemment par la presse concernant des montages de fraude internationale, tels que les Pandora Papers ou les CumEx Files. Cet axe du rapport a la particularité de traiter en grande partie d'enjeux appelant des réponses à l'échelle internationale. Cela explique que les recommandations relèvent davantage de pistes.

En termes de bilan, les montants recouvrés en réaction à ces affaires, qui s'élèvent à 464 millions d'euros, apparaissent relativement modestes au regard des montants qui auraient, selon la presse, échappé aux États, de l'ordre de plusieurs milliards d'euros chaque année pour la France.

Ces résultats doivent néanmoins être nuancés par le fait que la plupart des investigations sont en cours. L'administration n'a par exemple pas été en mesure de nous communiquer une estimation des montants recouvrés dans le cadre des Pandora Papers. L'administration fiscale française est en outre confrontée à de nombreuses difficultés dans le cadre de ces affaires : je pense notamment au défaut de coopération des États concernés par ces montages frauduleux, aux délais de prescription, aux informations incomplètes publiées dans la presse, au fait de ne pas poursuivre certains contribuables, qui ne sont pas résidents fiscaux français.

Tout d'abord, nos travaux ont permis de faire le point sur l'efficacité des listes « noires » française et européenne. Dans ce cadre, plusieurs ONG se sont montrées favorables à ce que ces listes incluent également, parmi les critères d'inscription, le manque de coopération de certains pays. S'il convient d'être prudent sur ce sujet, compte tenu de sa forte sensibilité diplomatique, une discussion pourrait toutefois être engagée au niveau international sur l'opportunité de créer une « liste noire » des « mauvais élèves » en matière d'échange d'informations, sur la base d'informations recueillies par l'OCDE. C'est l'objet de ma quinzième recommandation.

Un autre groupe de recommandations a trait à l'identification des bénéficiaires effectifs de sociétés offshores, qui constitue bien souvent l'une des principales difficultés à laquelle sont confrontés les contrôleurs. La création, en France et en Europe, de registres visant à répertorier tous les bénéficiaires effectifs de sociétés a été notable. La portée de ces outils est toutefois altérée par leur caractère incomplet : en France, environ 25 % des sociétés ne se plieraient pas à leurs obligations de déclarations. Les sanctions pour défaut de renseignement des bénéficiaires effectifs doivent donc être pleinement appliquées. Il s'agit de la seizième recommandation. Les SCI seraient notamment concernées. Il n'existe par ailleurs aucune information chiffrée sur l'application effective de ces sanctions, un point qui me semble devoir être corrigé. Il s'agit de ma dix-septième recommandation.

Je propose également que soit élaboré un outil permettant de croiser les données relatives au registre des bénéficiaires effectifs avec d'autres données, notamment celles du cadastre. Cette démarche pourrait être menée au niveau européen pour que les informations soient les plus complètes possibles. Il s'agit de la dix-huitième recommandation.

Un deuxième enjeu a trait à la question de la responsabilisation des intermédiaires financiers qui, du fait de leur activité de conseil, peuvent être amenés à élaborer des montages fiscaux abusifs. La directive dite « DAC 6 » a introduit, au niveau européen, des obligations de transparence à l'égard de ces intermédiaires, qui sont désormais tenus de déclarer les montages de ce type qu'ils seraient amenés à élaborer. Il me semble important de disposer d'une première évaluation des apports de cette directive, avant d'envisager éventuellement l'introduction de nouvelles mesures de responsabilisation de ces intermédiaires financiers au niveau de l'Union européenne. Il pourrait à cet égard être envisagé, dans la droite ligne d'une proposition formulée par certaines ONG, de créer un nouveau critère d'inscription sur la liste noire des paradis fiscaux de l'Union européenne, reposant sur l'existence ou non dans ces pays d'obligation de transparence à l'égard des intermédiaires. C'est la dix-neuvième recommandation du rapport.

J'en termine sur cet axe avec un sujet défendu par notre commission dans le cadre des récentes lois de finances à de nombreuses reprises : il s'agit de celui de la lutte contre l'arbitrage de dividendes, à la suite de l'affaire dite des CumEx Files. Pour rappel, le Sénat avait adopté à l'unanimité un amendement au projet de loi de finances pour 2019 visant à lutter contre les montages abusifs internes et externes, à la suite des révélations d'un consortium de journalistes, dont Le Monde, dans l'affaire dite des CumEx Files. L'Assemblée nationale l'avait repris en nouvelle lecture, mais en le réduisant à sa portion congrue, notamment en supprimant toute la partie relative aux montages externes, qui utilisent les conventions fiscales avec des taux de retenue à la source de 0 % sur les dividendes pour échapper à l'impôt en France.

Si la réponse la plus efficace à ces montages abusifs et frauduleux ne réside probablement pas dans une modification de la loi, j'estime qu'il est impératif que le Gouvernement engage la révision des conventions fiscales dont les dispositions servent de support à ces montages fiscaux abusifs. Des dispositifs anti-abus doivent être mis en place. Il s'agit de la vingtième et dernière recommandation.

Je précise enfin que le rapport comporte une annexe permettant de présenter un court bilan quantitatif pour chacun des dispositifs de la loi relative à la lutte contre la fraude, y compris ceux qui ne sont pas abordés dans le cadre des recommandations. C'est aussi à cela que servent nos rapports de contrôle, à s'assurer de la pleine application des mesures que nous votons.

Je vous remercie, mes chers collègues, de votre patience. Nous avons mis beaucoup de temps et d'ardeur au travail. Sur de tels sujets, il faut de la patience, de la méticulosité, de la persévérance, et une vraie volonté pour combattre la fraude fiscale.

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