Intervention de Ramon Fernandez

Commission d'enquête Evasion des capitaux — Réunion du 30 mai 2012 : 1ère réunion
Audition de M. Ramon Fernandez directeur général du trésor

Ramon Fernandez, directeur général du Trésor :

Je vous présenterai tout d'abord les grandes lignes des missions de ma direction pour être sûr de bien identifier qui fait quoi dans nos différentes administrations, notamment à Bercy, et je me concentrerai, dans mon propos introductif, sur l'état des négociations au niveau international concernant les sujets qui intéressent plus particulièrement votre commission d'enquête.

La direction générale du Trésor est directement impliquée dans plusieurs processus qui touchent de près ces sujets, et les agendas ont été assez chargés au cours des derniers mois.

Les grandes missions de la direction générale du Trésor sont les suivantes.

La première concerne l'élaboration des prévisions économiques et le conseil sur les politiques économiques et les politiques publiques qui portent sur les domaines financier, social et sectoriel.

La deuxième a trait à la régulation du financement de l'économie et des institutions intervenant en matière d'assurance, de banque et d'investissement sur les marchés financiers.

La troisième grande mission concerne les négociations financières et commerciales bilatérales et multilatérales ainsi que l'aide publique au développement.

Ce sont les agents de ces deux derniers services, c'est-à-dire la régulation du financement de l'économie et les négociations financières et commerciales bilatérales et multilatérales, qui participent directement aux négociations sur ces sujets qui vous intéressent. Il s'agit notamment de la régulation financière, qui se discute au G20, des sujets prudentiels, qui se discutent au sein du Conseil de stabilité financière, le CSF, ou le Financial Stability Board, le FSB, et de la négociation des standards anti-blanchiment au sein du Groupe d'action financière, le GAFI.

La quatrième grande mission a trait au soutien à l'export et à l'investissement à l'étranger des entreprises.

Enfin, la cinquième grande mission concerne la gestion de la trésorerie et de la dette de l'État.

S'agissant des sujets qui vous intéressent plus particulièrement aujourd'hui, l'action de la direction se concentre notamment sur la négociation financière multilatérale au G20 mais aussi au GAFI.

Je ferai un point général sur le G20 et un point rapide sur l'état des discussions en cours avant le sommet du G20 à Los Cabos au Mexique les 18 et 19 juin prochain.

Depuis le G20 de Londres en 2009, et particulièrement tout au long de l'année 2011, dans le cadre de la présidence française du G20, la direction du Trésor a été fortement mobilisée, avec d'autres administrations, sur la régulation financière et la lutte contre les juridictions non coopératives. Je ferai un point général sur les avancées en matière de régulation financière, parce que ce sont des thèmes qui sont étroitement liés entre eux, et je ferai ensuite un point plus précis sur les avancées en matière de lutte contre les juridictions non coopératives, le sujet qui vous intéresse le plus.

Depuis le premier sommet fondateur aux États-Unis, fin 2008, à chaque réunion du G20, à l'échelon ministériel ou à l'échelon des chefs d'État, la régulation financière a donné lieu à des discussions intenses et je pense pouvoir dire qu'on a obtenu des avancées importantes, même si les observateurs peuvent parfois regretter, à juste titre sans doute, que les progrès soient trop lents.

Des progrès très importants avaient déjà été accomplis avant la présidence française du G20, je pense notamment au renforcement du cadre prudentiel des banques avec les accords dits de « Bâle III », qui ont multiplié entre quatre et cinq fois les obligations de fonds propres des banques, à la régulation des dérivés sur les marchés de gré à gré, à l'encadrement de la rémunération des opérateurs de marché et à la lutte contre les juridictions non coopératives.

La présidence française du G20 en 2011 a veillé à maintenir intact le niveau d'ambition que les chefs d'État et de gouvernement s'étaient fixé fin 2008 et qui se résume encore assez bien, me semble-t-il, dans une des phrases du communiqué d'octobre 2008, à savoir que tous les acteurs, produits et marchés financiers devaient faire l'objet d'une régulation ou d'une surveillance appropriée. C'est une définition qui illustre assez bien ce que l'on cherche à faire dans le cadre de ces travaux du G20. À Cannes, des progrès très importants ont été accomplis en ce sens.

Les pays du G20 seront désormais soumis à un suivi plus strict de la bonne mise en oeuvre des décisions prises, qu'il s'agisse des accords de Bâle, des bonus ou des marchés dérivés, et, au sein de toutes ces institutions, ont été mis en place des cadres de surveillance collectifs permettant de faire de la peer review, où chacun contrôle un peu le voisin pour être sûr que tout le monde avance d'un pas à peu près comparable, ce qui est évidemment un enjeu important.

Le Conseil de stabilité financière publie annuellement un tableau de bord pour identifier les carences observées dans la transposition des accords de principe qui sont conclus au niveau du G20.

Le G20 a également adopté un cadre commun de traitement des institutions financières d'importance systémique, intégrant une supervision renforcée, de nouveaux standards de résolution des crises et des surcharges en capital, à partir de 2016, pour les grandes banques systémiques, dont une première liste a été publiée à Cannes. Donc, au-delà de Bâle III, les grandes institutions financières systémiques devront accumuler un capital supplémentaire. Quatre banques françaises font partie de la liste des banques systémiques qui devront respecter ces engagements supplémentaires.

Le G20 s'est aussi mis d'accord sur des principes de régulation et de surveillance du système bancaire parallèle, le shadow banking - nous pourrons y revenir plus en détail -, sur des principes de régulation des dérivés de matières premières ainsi que de renforcement de la protection des consommateurs. De nouveaux chantiers de travail ont été lancés, par exemple sur le fonctionnement des marchés des Credit Default Swaps, ces CDS qui défraient régulièrement la chronique et qui justifient une régulation renforcée.

Enfin, à Cannes, le Conseil de stabilité financière a été renforcé en énonçant le principe qu'il serait doté d'une personnalité juridique, qui lui permettra d'avoir des facilités en matière de recrutement et d'effectivité de ses actions. C'est ce que, à Cannes, le Président de la République avait salué sous le nom d'« organisation mondiale de la finance ».

J'en viens à la lutte contre les juridictions non coopératives.

Le concept en tant que tel est apparu, me semble-t-il, en 2009, à un moment où l'on cherchait à déterminer et à identifier des juridictions non coopératives dans plusieurs domaines, et pas uniquement en matière fiscale. Donc, ce terme de juridictions non coopératives englobe la lutte contre les paradis fiscaux, mais aussi la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme et les territoires non coopératifs en matière prudentielle.

La mobilisation, notamment française, a permis de garder ce sujet bien en vue sur l'agenda des chefs d'État et de gouvernement. Tous les communiqués y font référence, mais il n'y a pas que de la communication : il y a aussi un soutien politique aux actions concrètes qui permettent d'avancer dans ces trois filières - quelles que soient les réticences rencontrées ici et là - et dans l'édiction d'un certain nombre de législations, de réglementations, de processus de surveillance quant à l'effectivité de standards internationaux.

Nous avons ainsi obtenu que ces trois processus - le fiscal, le prudentiel et le blanchiment - aboutissent à l'élaboration de listes internationales, auxquelles peuvent être attachées des sanctions. Les institutions financières internationales ont été mobilisées dans ce cadre, je pense notamment aux institutions de Bretton Woods - FMI et Banque mondiale -, mais aussi aux banques régionales telles que la BERD et la BEI, qui ont également été mobilisées : ces institutions ont été conduites à appliquer, en matière de juridictions non coopératives, des politiques pouvant conduire à exclure de leurs financements des pays identifiés comme étant non coopératifs.

Nous avons aussi mis à l'agenda la transparence des personnes morales et des constructions juridiques. C'est un sujet majeur et transversal par rapport aux processus que j'ai évoqués. Il s'agit d'assurer une meilleure transparence de ces entités qui servent très souvent d'écran et permettent ou facilitent l'évasion fiscale ou d'autres flux financiers illicites. C'est un sujet difficile, car il touche au droit des sociétés, mais il faut avancer sur ce point également si l'on ne veut pas que nos efforts menés par ailleurs restent vains.

Sur les trois filières, je ne reviendrai pas sur les résultats obtenus par le Forum mondial en matière de lutte contre les paradis fiscaux parce que vous avez entendu mes collègues de la direction de la législation fiscale, qui participent directement à ces travaux. Nous pourrons y revenir ultérieurement si vous avez des questions car la direction générale du Trésor travaille avec la DLF sur ces sujets, mais ce sont les « chefs de file » et ce sont eux qui sont à la manoeuvre.

Je détaillerai en quelques minutes les deux autres processus qui impliquent plus directement la direction générale du Trésor, c'est-à-dire le volet prudentiel et le volet blanchiment.

S'agissant du volet prudentiel, c'est un processus qui est conduit dans le cadre du Conseil de stabilité financière, le Financial Stability Board. Il se trouve que je préside le groupe d'experts qui prépare les travaux des différents échelons du FSB. C'est un groupe qui a été créé en 2009 pour identifier les juridictions non coopératives en matière prudentielle. Il s'attache notamment à garantir que les différents pays disposent d'une supervision efficace de leurs secteurs bancaire, assurantiel et de marché, s'agissant notamment de la capacité à échanger les informations pertinentes dont ils disposent. Typiquement, est-ce qu'une autorité de marché qui identifie une manipulation de marché va pouvoir demander d'accéder à l'information émanant d'une autre autorité de marché, information qui permettra d'identifier l'origine, par exemple, d'un délit d'initié ? Autrement dit, les autorités chargées du contrôle des banques, des assurances et des marchés, ont-elles la capacité d'accéder à l'information auprès des institutions homologues dans différents territoires, quels qu'ils soient, pouvant être à l'origine de manipulations ou de contreparties dans le cadre d'opérations frauduleuses ? Il s'agit encore une fois d'échanges d'informations dans les domaines prudentiels, élaborées par le Comité de Bâle et les comités comparables, qui édictent ces normes en matière d'assurance et de marchés.

Au terme de nos travaux, qui sont d'ailleurs toujours en cours - hier, à Hong Kong, une assemblée plénière du Conseil de stabilité financière a acté un certain nombre de points à la suite des travaux précédents -, nous sommes parvenus à faire émerger une première liste qui a été rendue publique lors du sommet de Cannes et qui identifie les territoires qui, soit jouent complètement le jeu, soit ont des failles dans leurs dispositifs mais y travaillent, soit sont clairement identifiés comme non coopératifs. Ce sujet prudentiel peut sembler à première vue un peu éloigné des sujets fiscaux, mais une supervision efficace implique que les établissements supervisés soient agréés, que les institutions chargées de leur supervision aient effectivement les moyens de mener leur mission et d'accéder à l'information en cas de doute. Cela garantit que le marché est sain et cela crée les conditions d'une détection efficace des flux financiers illicites.

En matière de blanchiment, la direction générale du Trésor participe directement aux négociations au sein du GAFI. Cette instance, qui vise à élaborer des standards internationaux pour préserver l'intégrité de nos systèmes financiers, travaille sur la prévention et la détection des flux financiers illicites. Je ne vous détaillerai pas l'ensemble des activités de cette instance, mais j'aimerais souligner quelques points d'actualité qui pourraient vous intéresser.

Le premier point concerne la liste des juridictions à risque.

Au-delà des normes qu'il a édictées, le GAFI a mis en place un processus assez « robuste » d'évaluation par les pairs, permettant d'identifier les juridictions qui n'ont pas de dispositif anti-blanchiment et de lutte contre le financement du terrorisme.

À l'issue de chaque réunion plénière du GAFI, c'est-à-dire trois fois par an, est publiée une liste actualisée de juridictions, qui identifie de façon graduelle les pays en fonction de leurs défaillances. Une trentaine de juridictions font actuellement l'objet d'une identification publique et d'un suivi renforcé afin de maintenir la pression internationale et de s'assurer qu'elles prennent les mesures nécessaires pour y remédier.

Le deuxième point a trait à la révision des standards et aux travaux en cours.

L'assemblée plénière de février 2012 a acté deux évolutions majeures qui vous concernent tout particulièrement.

Premièrement, la fraude fiscale est désormais explicitement entrée dans le champ des infractions dont traite le GAFI. C'était déjà le cas en France et au niveau communautaire, mais ce n'était pas encore officiellement acté par le GAFI. C'est donc une avancée importante, à laquelle la France a fortement contribué : aujourd'hui, blanchiment et fraude fiscale ne peuvent plus être distingués, c'est une novation résultant de la révision des standards, qui date de février 2012.

Deuxièmement, les standards sur la transparence des personnes morales ont été, là aussi avec le soutien actif de la France, clarifiés et renforcés. Comme vous avez pu le constater, la plupart des montages de fraude ou d'optimisation fiscale utilisent des structures opaques, qui permettent de dissimuler le bénéficiaire réel des fonds et ainsi de les soustraire à l'impôt. Nous avons en France un système de registre des sociétés très complet et très largement accessible, qui nous permet d'avoir et d'échanger beaucoup d'informations sur nos personnes morales, ce que le GAFI a noté lors de l'évaluation de la France. Toutefois, ce n'est pas le cas de nombreuses autres juridictions, ce qui complique, de nombreuses enquêtes fiscales ou judiciaires, voire les empêche d'aboutir. Ce sujet transversal est très important, il doit aussi progresser au niveau du Forum mondial qui traite également de ces sujets. Le G20 a mandaté le GAFI et l'OCDE pour faire un rapport sur l'avancée de leurs travaux en la matière lors du G20 de Los Cabos, en juin prochain.

Enfin, troisième point, le GAFI a mis en place un mécanisme novateur d'examen des dispositifs nationaux de régularisation fiscale, qui le conduit à analyser dès leur mise en place les mécanismes de ce type pour s'assurer qu'ils ne conduisent pas à favoriser le blanchiment de capitaux. Par exemple, le dispositif espagnol de rapatriement des avoirs fera l'objet, dès l'assemblée plénière du mois de juin, un examen attentif et donnera lieu, si nécessaire, à des recommandations au gouvernement espagnol. C'est donc un processus qui est mis en place de manière systématique.

En conclusion, on peut dire, me semble-t-il, que, avec la crise financière, le monde a pris conscience de l'importance des sujets de régulation financière et de la nécessité de progresser pour limiter les risques systémiques.

Dans cet agenda, la lutte contre les juridictions non coopératives a pris une place importante : il n'y a pas de réunion du G20 où le sujet ne soit pas évoqué. Vous aurez vu, au fil des communiqués du G20, que la pression est maintenue pour que l'ensemble des instances compétentes se penchent sur la question. Je dois dire, en tant que président de ce groupe d'experts sur le volet prudentiel, que ce processus oblige les différentes instances compétentes à se mobiliser et à délivrer des résultats puisqu'il y a des procédures de revue par les pairs.

Ce processus de listing, d'identification des juridictions non coopératives a un impact très fort, qui n'est d'ailleurs pas consensuel. Vous avez des pays dans lesquels cette pratique consistant à mettre à l'index des territoires au motif qu'ils ne respectent pas un certain nombre de règles n'est, en réalité, pas du tout consensuelle. C'est, nous semble-t-il, un processus efficace, la pression publique permettant d'obtenir des résultats. Nous continuerons donc à peser en ce sens.

En même temps, il faut être conscient du fait que ce sont des dispositifs qui n'avancent que dans la mesure où l'on obtient l'assentiment des différents États concernés. C'est donc un processus qui peut paraître lent, parfois même trop lent, mais il avance dans ce cadre où nous arrivons collectivement à élaborer des règles partagées et appropriées par les différents territoires.

Les travaux vont continuer, les vôtres permettront, me semble-t-il, de mettre plus précisément l'accent sur l'un des aspects de cette démarche, mais les sujets sont liés les uns aux autres et nous avons intérêt à maintenir une pression collective sur ces trois volets : fraude fiscale, blanchiment et filière prudentielle, car, en réalité, les trois permettent de croiser les informations et d'avoir une approche plus efficace de cette problématique.

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