Je dirai d'abord, pour répondre à votre question, madame le sénateur, que nous avons besoin d'une mobilisation politique permanente.
Nous avons eu dans le passé des processus comparables, notamment au GAFI ou en matière fiscale, avec des listes qui permettaient de mettre une pression publique sur un certain nombre de territoires et qui les incitait à prendre les mesures susceptibles de les faire sortir de ces listes.
Et puis, au fil du temps, la pression se relâche, on passe à autre chose et, finalement, il n'y a plus de liste. On procède bien à des exercices, mais ils ne se font plus sous l'oeil politique vigilant des autorités les plus élevées. Ce sont des exercices qui associent des fonctionnaires mobilisés sur ces questions, mais qui risquent de s'arrêter au niveau des fonctionnaires. S'il n'y a pas de pression politique ensuite pour changer une loi, pour faire respecter un standard, ça ne marche évidemment pas.
De ce point de vue, la grande vertu du G20, c'est de faire en sorte que ces questions de régulation financière en général, mais notamment ces questions de juridictions non coopératives, soient traitées au niveau le plus élevé.
La presse, à l'époque, me semble-t-il, avait raconté comment s'était déroulé le sommet de Londres en avril 2009, comment quelques chefs d'État avaient dû avoir des conversations parallèles, avec des suspensions de séance, pour essayer de se mettre d'accord en vue de trouver une méthode qui passait par une identification publique des territoires ne respectant pas les règles du jeu. C'était très difficile parce que, dans notre pays, il est assez naturel de dire que le name and shame, ça marche. Vous désignez un territoire en disant : « Il ne joue pas le jeu, et ce n'est pas bien ! »
Ce n'est pas consensuel du tout et, d'ailleurs, ce n'est pas déshonorant. Certains partenaires de la France, qui sont très respectables, partent d'une logique différente. Ce sont des territoires coopératifs impliqués dans ces démarches, mais ils vous disent : « On n'obtiendra pas de résultats de cette façon, il faut discuter entre nous ; si on stigmatise, on n'obtiendra pas de résultats et, au contraire, on risque de reculer parce que les uns et les autres se replieront sur leurs bases et refuseront d'engager ces dialogues. Or c'est, en réalité, par le dialogue que l'on progressera. »
Ce qui se fait aujourd'hui au niveau international, c'est une tentative de compromis entre ces deux approches, qui aboutit notamment à la question que vous m'avez posée sur les juridictions non coopératives en matière prudentielle : pourquoi diable n'y a-t-il que deux États ?
En réalité, il y en a beaucoup plus que deux. Soixante et un États ont été scrutés à la loupe et une trentaine, voire une quarantaine d'entre eux ont été clairement identifiés comme n'étant pas complètement en phase, mais on va éviter de les désigner comme étant non coopératifs parce que ce n'est pas vraiment le cas. Ils disent : « Aujourd'hui, je reconnais que je ne respecte pas tous ces standards, mais ce n'est pas une volonté de non-coopération, c'est simplement un état de fait. Les législations ou les standards ont évolué, il faut me laisser le temps de m'adapter. » C'est uniquement au terme d'un processus que l'on constate qu'il y a de la mauvaise foi, de la mauvaise volonté et, à ce moment-là, on l'identifie. C'est typiquement le cas de l'un des États cités précédemment. Ce peut être le cas d'autres États se trouvant dans la zone du milieu, mais qui, au bout d'un moment, se retrouvent dans la mauvaise liste parce qu'ils ont un délai pour se mettre en conformité et, au terme de celui-ci, s'ils ne font rien, le doute ne leur profite plus.
Aujourd'hui, dix-sept pays clairement identifiés comme non coopératifs en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme sont inscrits sur la liste noire. Cela suscite de nombreux débats. Vous avez, dans ces listes, des pays qui sont parfois membres du G20 et qui doivent donc s'expliquer auprès de leurs partenaires.
Que doit-on faire pour l'avenir ? À mon sens, il faut continuer à exercer cette pression politique via l'ensemble de ces processus de revue, et il faut que l'on investisse sur ces revues par les pairs, qu'on y consacre du temps, de l'énergie, y compris du temps de fonctionnaires. Des fonctionnaires des autorités de supervision, de régulation, du Trésor, de la direction de la législation fiscale, doivent pouvoir être détachés dans des groupes d'experts qui passeront du temps à évaluer les autres pays et à pouvoir identifier les défaillances pour qu'elles puissent être corrigées.
Nous-mêmes, nous faisons parfois partie d'équipes chargées d'évaluer la performance des autres. C'est aussi la raison pour laquelle je préside ce groupe d'experts sur la filière prudentielle. Il faut que tout le monde se mobilise et que l'on maintienne ces sujets à l'ordre du jour du G20 au niveau politique et la réunion de Washington le mois dernier - qui a permis de renouveler le mandat du GAFI - est aussi le moyen de maintenir la pression.
Nous avons pour l'essentiel les outils techniques, même si certains doivent être complétés, notamment sur les trusts, les fiducies, les structures opaques, qui sont des mondes un peu moins bien identifiés aujourd'hui. Cela prendra du temps, mais, sur le reste, nous avons quarante recommandations du GAFI qui sont très claires et à l'aune desquelles nous examinerons la conformité des régimes juridiques des différents États, mais aussi la conformité de la pratique. C'est ce que l'on vous a expliqué sur la filière fiscale. Le Forum global a une phase 1 et une phase 2. Phase 1, on regarde d'abord la lettre des textes : avez-vous un régime juridique permettant de lutter contre la fraude fiscale, etc. ? Phase 2 : la lettre c'est bien, mais quelle est la pratique ? Si vous ne passez pas en phase 2, c'est que la lettre n'était pas conforme et vous faites l'objet d'une pression assez forte pour vous adapter.