Intervention de Mattias Guyomar

Commission des affaires européennes — Réunion du 1er février 2023 à 16h45
Justice et affaires intérieures — Audition de M. Mattias Guyomar juge français à la cour européenne des droits de l'homme cedh

Mattias Guyomar, juge français à la Cour européenne des droits de l'homme :

L'effort en ce sens est constant, même si nous devons le poursuivre avec, par exemple, une diminution des délais de jugement, une rédaction plus accessible et davantage de pédagogie. Nous nous apercevons parfois qu'un arrêt n'est pas bien compris, en dépit de nos efforts. Je pense notamment à la présentation d'un mode d'emploi pour leur application, ce que nous appelons des observations sous l'article 46. C'est, par exemple, le cas de l'arrêt JBM c/France, relatif aux conditions de détention : la Cour a préconisé des mesures générales, et vous avez créé une nouvelle voie de recours avec la loi du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention.

Sur l'affaire que vous mentionnez, plus ancienne - je connais bien la situation de Mayotte, car l'une de mes premières missions au Conseil d'État en 1996 a été de travailler sur son statut -, il y a actuellement des affaires pendantes consécutives aux décisions des Comores de refuser d'accueillir des bateaux transportant des mineurs non accompagnés. Je peux, en tout cas, vous dire que nous prenons en compte le contexte. Nous faisons un contrôle in concreto, en partant du cas posé. Celui-ci est toujours situé : la situation mahoraise, en termes de pression migratoire, de difficultés de maintien de l'ordre public, de moyens disponibles à la main de l'État, n'est pas comparable à celle de la métropole. Le juge doit doser les choses entre le noyau dur des droits, avec lequel il ne faut pas transiger, et la réalité : rien ne sert d'imposer des standards inatteignables, c'est contre-productif.

Ainsi, sur l'Algérie, nous avions une jurisprudence constante, basée sur l'article 3 de la Convention, relative au renvoi vers ce pays de personnes au profil terroriste dangereux. Un jour, le gouvernement français a présenté en audience des assurances diplomatiques, fournies par l'État algérien, qui ont changé la donne : la jurisprudence a changé, et nous avons considéré qu'il n'y avait pas de violation de l'article 3 à expulser un ressortissant algérien vers l'Algérie. Nous examinons toujours in situ, in concreto.

Quant à l'influence du droit français, elle n'est pas quantifiable. Cela étant, qualitativement, parler français et faire du droit en français - je fais les deux - n'est pas la même chose que le faire en anglais. Depuis que je le fais, un nombre croissant de collègues font l'effort de délibérer en français. La langue transporte des concepts et des notions : à travers elle, nous pesons.

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