L'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme (CEDH) est une obligation figurant dans le traité de Lisbonne, mais qui, plus de dix ans après l'entrée en vigueur de celui-ci, n'est effectivement toujours pas réalisée.
Le projet est plus ancien encore. Il date des années 1970 et a deux motivations croisées : d'une part, le respect des droits fondamentaux et, de l'autre, le dialogue entre la Cour de Luxembourg et les juridictions constitutionnelles des États membres.
Ainsi, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a d'abord reconnu que les droits fondamentaux faisaient partie intégrante des principes généraux du droit des Communautés ; puis elle s'est engagée dans un processus de rapprochement avec les instruments internationaux de protection des droits de l'Homme, dont la CEDH. Parallèlement, les États membres et les institutions des Communautés, dont les fondations étaient d'abord économiques, ont pris position au fil des élargissements des compétences communautaires en faveur d'une meilleure prise en compte de la protection des droits fondamentaux, perçus comme partie intégrante de l'identité européenne.
Un arrêt de la CJCE, Internationale Handelsgesellschaft, en 1970, a confirmé que la primauté du droit communautaire s'exerçait même à l'égard des règles constitutionnelles des États membres. Cet arrêt faisait lui-même suite à l'arrêt Costa-Enel de 1964, par lequel la CJCE avait posé le principe de la primauté absolue du droit communautaire sur le droit national.
En réponse à ces arrêts, les cours constitutionnelles nationales, en particulier allemande et italienne, ont puisé dans leur constitution pour fonder leurs décisions à l'occasion de recours portant sur des textes européens. Le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe, dans l'arrêt dit « Solange I », a considéré que cette primauté était conditionnée par l'article de la Loi fondamentale allemande prévoyant la participation de l'Allemagne à la construction européenne, et que cet article n'autorisait pas les Communautés européennes à porter atteinte aux bases constitutionnelles de la République fédérale d'Allemagne, et notamment à la garantie des droits fondamentaux. Il fallait donc que l'ordre juridique communautaire garantisse une protection des droits fondamentaux équivalente à celle assurée par la Constitution allemande pour que la saisine du tribunal de Karlsruhe n'ait plus lieu d'être. Ainsi, « aussi longtemps que » - d'où le nom de l'arrêt - cette condition ne serait pas remplie, des recours contre une disposition de droit communautaire invoquant la violation d'un droit fondamental reconnu par la Constitution allemande resteraient recevables.
Dans ce contexte, l'idée d'un catalogue des droits fondamentaux et celle de l'adhésion de la Communauté européenne à la CEDH ont été lancées à divers niveaux, notamment par le Parlement européen. Le 2 mai 1979, la Commission européenne adressait au Conseil un mémorandum proposant une telle adhésion.
Toutefois, par un avis du 28 mars 1996, la CJCE a rappelé que l'ordre juridique communautaire reposait sur le principe des compétences d'attribution et elle a constaté qu'aucune disposition du traité ne conférait aux institutions communautaires le pouvoir d'édicter des règles en matière de droits de l'Homme ou de conclure des conventions internationales en ce domaine. Par ailleurs, la Cour a considéré que l'adhésion à la CEDH entraînerait un changement substantiel, d'envergure constitutionnelle, du régime communautaire de protection des droits de l'Homme. Elle en a déduit que seule une modification du traité permettrait une adhésion de la Communauté à la CEDH.
En décembre 2000, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne était adoptée. Toutefois, elle n'a obtenu une valeur contraignante qu'avec le traité de Lisbonne en 2009, qui inscrivait simultanément dans les textes européens le principe de l'adhésion de l'Union européenne à la CEDH. En effet l'article 6, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne stipule ainsi que « l'Union adhère à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales », et son protocole n° 8 annexé aux traités en définit les conditions.
Par ce traité, en 2009, les droits fondamentaux se trouvaient ainsi consacrés pour la première fois dans les textes européens tandis que l'Union acceptait la perspective d'un contrôle externe qui constitue l'horizon ultime de l'adhésion à la CEDH. Cette notion de contrôle externe est en effet fondamentale dans le dispositif de la Convention tel qu'il a été conçu dès l'origine : c'est l'idée que le droit de regard des autres États parties sur la façon dont les dispositions de la Convention sont mises en oeuvre est essentiel à la protection effective des droits fondamentaux.
Il mérite aussi d'être indiqué que le traité de Lisbonne, en établissant l'unicité de la personnalité juridique de l'Union, permettait cette adhésion, difficile à envisager auparavant.
Une telle adhésion présente bien sûr une dimension politique, à savoir confirmer l'engagement de l'Union européenne en faveur de la protection des droits fondamentaux, renforcer les liens et la cohérence entre l'Union et le Conseil de l'Europe, et affirmer l'importance pour l'Union européenne de la CEDH auprès de nos partenaires, qui sont parties à cette convention mais non membres de l'Union européenne, en particulier la Russie et la Turquie.
Sur le plan juridique, l'adhésion doit permettre de garantir une plus grande protection juridictionnelle des droits fondamentaux dans l'ordre juridique de l'Union ; elle permettrait aussi l'arrivée à Strasbourg d'un juge au titre de l'Union européenne, jouant pour l'Union le rôle des juges dits « nationaux » pour les affaires où leur pays d'origine est partie prenante.
L'adhésion a également pour objectif de garantir la cohérence des systèmes de protection des droits fondamentaux en Europe et l'évolution harmonieuse de la jurisprudence de la CJCE, devenue Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), et de la Cour européenne des droits de l'Homme (Cour EDH) en matière de droits fondamentaux. Seule l'adhésion de l'Union à la Convention serait de nature à éliminer tout risque de divergence jurisprudentielle entre les deux cours et donc toute insécurité juridique.
Sur le fondement du traité de Lisbonne, le 4 juin 2010, le Conseil a adressé à la Commission des directives de négociation avec le Conseil de l'Europe en vue de la conclusion d'un accord d'adhésion. Le 5 avril 2013, les négociateurs sont parvenus à un projet d'accord d'adhésion à la Convention et aux deux protocoles annexés qu'ont ratifiés l'ensemble des États membres : le protocole n° 1 sur le droit au respect de ses biens, à l'instruction et à des élections libres et le protocole n° 6 relatif à l'abolition de la peine de mort en temps de paix. Le 4 juillet suivant, la Commission a demandé, conformément à l'article 218 du TFUE, l'avis de la CJUE sur la compatibilité du projet d'accord d'adhésion avec les traités.
Or, dans son avis rendu en assemblée plénière, le 18 décembre 2014, la CJUE a jugé, contrairement à la prise de position de l'avocat général, que le projet d'accord d'adhésion n'était pas compatible avec le droit de l'Union européenne. Elle a relevé sept motifs d'incompatibilité. Vous les exposer tous ici serait sans doute fastidieux ; c'est pourquoi je me permets de vous renvoyer à notre rapport écrit sur ce point. J'indique toutefois que cet avis a mis en avant une vingtaine de fois le sujet de l'autonomie du droit de l'Union européenne, qui aurait été mise à mal par le projet d'accord d'adhésion et que la CJUE aurait cherché à préserver.
Cet avis a été abondamment commenté par la doctrine, le plus souvent dans un sens critique : beaucoup d'auteurs ont regretté son caractère défensif. Il s'est traduit de facto par un arrêt du processus d'adhésion, qui a duré cinq ans. Mais il constitue aussi le cadre de référence pour la relance du processus d'adhésion, en mettant en évidence les obstacles à surmonter. Car il s'agit d'objections à l'accord d'adhésion à la CEDH, pas d'une remise en cause de l'adhésion elle-même, puisque celle-ci est inscrite dans les traités dont la CJUE est le gardien. Et l'accord d'adhésion est nécessairement spécifique ; c'est en effet la première fois que ce n'est pas un État qui adhère à la CEDH, mais une entité juridique regroupant plusieurs pays, tous eux-mêmes parties à cette convention.