Commission des affaires européennes

Réunion du 25 juin 2020 à 8h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CEDH
  • CJUE
  • adhésion
  • clinique
  • directive
  • europe
  • juridique
  • traite
  • évaluation

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je voudrais d'abord saluer mes collègues présents physiquement ici et tout autant ceux en visioconférence.

Nous nous réunissons aujourd'hui pour traiter de trois sujets sur lesquels nous avions jugé nécessaire de nous pencher, avant que la crise sanitaire n'impose son actualité.

Nous allons tout d'abord entendre le rapport de nos collègues Philippe Bonnecarrère et Jean-Yves Leconte, qui traite de l'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme. Cette adhésion est prévue dans les traités depuis Lisbonne ; pourtant, elle n'est toujours pas effective. Elle soulève en effet des questions délicates : d'une part, au plan juridique, puisqu'elle oblige à articuler deux cours de justice, celle de l'Union européenne et celle des droits de l'Homme, et donc deux ordres juridiques ; et d'autre part, au plan politique, car elle pourrait modifier les équilibres au sein du Conseil de l'Europe. Je laisse les rapporteurs nous présenter les enjeux de ce dossier au long cours.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

L'adhésion de l'Union européenne à la convention européenne des droits de l'Homme (CEDH) est une obligation figurant dans le traité de Lisbonne, mais qui, plus de dix ans après l'entrée en vigueur de celui-ci, n'est effectivement toujours pas réalisée.

Le projet est plus ancien encore. Il date des années 1970 et a deux motivations croisées : d'une part, le respect des droits fondamentaux et, de l'autre, le dialogue entre la Cour de Luxembourg et les juridictions constitutionnelles des États membres.

Ainsi, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a d'abord reconnu que les droits fondamentaux faisaient partie intégrante des principes généraux du droit des Communautés ; puis elle s'est engagée dans un processus de rapprochement avec les instruments internationaux de protection des droits de l'Homme, dont la CEDH. Parallèlement, les États membres et les institutions des Communautés, dont les fondations étaient d'abord économiques, ont pris position au fil des élargissements des compétences communautaires en faveur d'une meilleure prise en compte de la protection des droits fondamentaux, perçus comme partie intégrante de l'identité européenne.

Un arrêt de la CJCE, Internationale Handelsgesellschaft, en 1970, a confirmé que la primauté du droit communautaire s'exerçait même à l'égard des règles constitutionnelles des États membres. Cet arrêt faisait lui-même suite à l'arrêt Costa-Enel de 1964, par lequel la CJCE avait posé le principe de la primauté absolue du droit communautaire sur le droit national.

En réponse à ces arrêts, les cours constitutionnelles nationales, en particulier allemande et italienne, ont puisé dans leur constitution pour fonder leurs décisions à l'occasion de recours portant sur des textes européens. Le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe, dans l'arrêt dit « Solange I », a considéré que cette primauté était conditionnée par l'article de la Loi fondamentale allemande prévoyant la participation de l'Allemagne à la construction européenne, et que cet article n'autorisait pas les Communautés européennes à porter atteinte aux bases constitutionnelles de la République fédérale d'Allemagne, et notamment à la garantie des droits fondamentaux. Il fallait donc que l'ordre juridique communautaire garantisse une protection des droits fondamentaux équivalente à celle assurée par la Constitution allemande pour que la saisine du tribunal de Karlsruhe n'ait plus lieu d'être. Ainsi, « aussi longtemps que » - d'où le nom de l'arrêt - cette condition ne serait pas remplie, des recours contre une disposition de droit communautaire invoquant la violation d'un droit fondamental reconnu par la Constitution allemande resteraient recevables.

Dans ce contexte, l'idée d'un catalogue des droits fondamentaux et celle de l'adhésion de la Communauté européenne à la CEDH ont été lancées à divers niveaux, notamment par le Parlement européen. Le 2 mai 1979, la Commission européenne adressait au Conseil un mémorandum proposant une telle adhésion.

Toutefois, par un avis du 28 mars 1996, la CJCE a rappelé que l'ordre juridique communautaire reposait sur le principe des compétences d'attribution et elle a constaté qu'aucune disposition du traité ne conférait aux institutions communautaires le pouvoir d'édicter des règles en matière de droits de l'Homme ou de conclure des conventions internationales en ce domaine. Par ailleurs, la Cour a considéré que l'adhésion à la CEDH entraînerait un changement substantiel, d'envergure constitutionnelle, du régime communautaire de protection des droits de l'Homme. Elle en a déduit que seule une modification du traité permettrait une adhésion de la Communauté à la CEDH.

En décembre 2000, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne était adoptée. Toutefois, elle n'a obtenu une valeur contraignante qu'avec le traité de Lisbonne en 2009, qui inscrivait simultanément dans les textes européens le principe de l'adhésion de l'Union européenne à la CEDH. En effet l'article 6, paragraphe 2, du traité sur l'Union européenne stipule ainsi que « l'Union adhère à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales », et son protocole n° 8 annexé aux traités en définit les conditions.

Par ce traité, en 2009, les droits fondamentaux se trouvaient ainsi consacrés pour la première fois dans les textes européens tandis que l'Union acceptait la perspective d'un contrôle externe qui constitue l'horizon ultime de l'adhésion à la CEDH. Cette notion de contrôle externe est en effet fondamentale dans le dispositif de la Convention tel qu'il a été conçu dès l'origine : c'est l'idée que le droit de regard des autres États parties sur la façon dont les dispositions de la Convention sont mises en oeuvre est essentiel à la protection effective des droits fondamentaux.

Il mérite aussi d'être indiqué que le traité de Lisbonne, en établissant l'unicité de la personnalité juridique de l'Union, permettait cette adhésion, difficile à envisager auparavant.

Une telle adhésion présente bien sûr une dimension politique, à savoir confirmer l'engagement de l'Union européenne en faveur de la protection des droits fondamentaux, renforcer les liens et la cohérence entre l'Union et le Conseil de l'Europe, et affirmer l'importance pour l'Union européenne de la CEDH auprès de nos partenaires, qui sont parties à cette convention mais non membres de l'Union européenne, en particulier la Russie et la Turquie.

Sur le plan juridique, l'adhésion doit permettre de garantir une plus grande protection juridictionnelle des droits fondamentaux dans l'ordre juridique de l'Union ; elle permettrait aussi l'arrivée à Strasbourg d'un juge au titre de l'Union européenne, jouant pour l'Union le rôle des juges dits « nationaux » pour les affaires où leur pays d'origine est partie prenante.

L'adhésion a également pour objectif de garantir la cohérence des systèmes de protection des droits fondamentaux en Europe et l'évolution harmonieuse de la jurisprudence de la CJCE, devenue Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), et de la Cour européenne des droits de l'Homme (Cour EDH) en matière de droits fondamentaux. Seule l'adhésion de l'Union à la Convention serait de nature à éliminer tout risque de divergence jurisprudentielle entre les deux cours et donc toute insécurité juridique.

Sur le fondement du traité de Lisbonne, le 4 juin 2010, le Conseil a adressé à la Commission des directives de négociation avec le Conseil de l'Europe en vue de la conclusion d'un accord d'adhésion. Le 5 avril 2013, les négociateurs sont parvenus à un projet d'accord d'adhésion à la Convention et aux deux protocoles annexés qu'ont ratifiés l'ensemble des États membres : le protocole n° 1 sur le droit au respect de ses biens, à l'instruction et à des élections libres et le protocole n° 6 relatif à l'abolition de la peine de mort en temps de paix. Le 4 juillet suivant, la Commission a demandé, conformément à l'article 218 du TFUE, l'avis de la CJUE sur la compatibilité du projet d'accord d'adhésion avec les traités.

Or, dans son avis rendu en assemblée plénière, le 18 décembre 2014, la CJUE a jugé, contrairement à la prise de position de l'avocat général, que le projet d'accord d'adhésion n'était pas compatible avec le droit de l'Union européenne. Elle a relevé sept motifs d'incompatibilité. Vous les exposer tous ici serait sans doute fastidieux ; c'est pourquoi je me permets de vous renvoyer à notre rapport écrit sur ce point. J'indique toutefois que cet avis a mis en avant une vingtaine de fois le sujet de l'autonomie du droit de l'Union européenne, qui aurait été mise à mal par le projet d'accord d'adhésion et que la CJUE aurait cherché à préserver.

Cet avis a été abondamment commenté par la doctrine, le plus souvent dans un sens critique : beaucoup d'auteurs ont regretté son caractère défensif. Il s'est traduit de facto par un arrêt du processus d'adhésion, qui a duré cinq ans. Mais il constitue aussi le cadre de référence pour la relance du processus d'adhésion, en mettant en évidence les obstacles à surmonter. Car il s'agit d'objections à l'accord d'adhésion à la CEDH, pas d'une remise en cause de l'adhésion elle-même, puisque celle-ci est inscrite dans les traités dont la CJUE est le gardien. Et l'accord d'adhésion est nécessairement spécifique ; c'est en effet la première fois que ce n'est pas un État qui adhère à la CEDH, mais une entité juridique regroupant plusieurs pays, tous eux-mêmes parties à cette convention.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Merci Jean-Yves Leconte. Je donne maintenant la parole à Philippe Bonnecarrère.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Merci Monsieur le Président. Jean-Yves Leconte nous a propulsés en décembre 2014, date à laquelle la CJUE a émis sept observations défavorables, non pas au principe de cette adhésion, mais à ses modalités.

En octobre 2015, le Conseil JAI a réaffirmé son attachement à l'adhésion de l'Union européenne à la CEDH et a invité la Commission à travailler sur une analyse des questions juridiques soulevées par la CJUE dans son avis.

La présidence finlandaise du Conseil de l'Union européenne a repris ce dossier et a inscrit l'adhésion parmi ses priorités : elle est parvenue à ce que le Conseil s'accorde sur un mandat de négociation. Le Conseil JAI du 7 octobre 2019 suivant a exprimé son engagement en faveur d'une reprise rapide des négociations avec le Conseil de l'Europe sur l'adhésion et a adopté à l'unanimité des directives de négociation complémentaires. Il a apporté des réponses aux observations de la CJUE, en particulier concernant le mécanisme de codéfendeur et le fait d'exclure le contrôle des actes de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), sachant que la CJUE n'est pas compétente pour contrôler la PESC.

Les négociations devaient reprendre en octobre 2019, mais ont été reportées à septembre prochain du fait de la crise sanitaire.

Que penser de la suite des négociations ? Il n'est pas évident que les demandes présentées par l'Union seront entendues très favorablement par les États non membres de l'Union pour deux raisons principales.

D'une part, sur les 47 États membres du Conseil de l'Europe, 27 sont membres de l'Union, et on rajouterait l'Union elle-même ; donc la crainte d'un déséquilibre en faveur de l'Union est prégnante. On peut d'ailleurs préciser que le Royaume-Uni sera maintenant de l'autre côté de la barre des négociations.

D'autre part, et plus sérieusement, la réserve de la part des États non membres porte sur la perspective que l'Union européenne demande un statut à part. Il n'est pas certain que cette prétention soit acceptée volontiers, notamment par la Russie et la Turquie. Les discussions vont probablement durer longtemps.

Nous partageons, avec M. Leconte, une préoccupation commune : la défense des libertés fondamentales en Europe. Les sujets récents, de la Pologne à la Hongrie, conduisent à convenir spontanément qu'il y a un intérêt à ce que l'Union européenne adhère à la CEDH : tout ce qui vient améliorer le contrôle des valeurs est positif. Nous sommes finalement arrivés, avec M. Leconte, à la conclusion de ne pas vous proposer de résolution européenne. Il serait prétentieux de vouloir donner à la Commission des recommandations sur un sujet objectivement délicat. Si l'on raisonne en termes de bilan « avantages-inconvénients », l'adhésion comporterait bien des avantages : l'exigence du respect des traités - il est normal de respecter les engagements que l'on a pris - et l'appui à la défense des valeurs de l'Union. Il y a une considération technique complémentaire qui peut se présenter aussi comme un avantage : l'organisation de l'architecture juridique en Europe paraît cohérente - nous avons des dispositifs de contrôle interne dans notre pays dont on veille à l'indépendance ; mais il y a une autre tradition à travers le monde où le contrôle est externe et la CEDH permettrait d'assurer un tel contrôle externe.

Toutefois, je ne suis pas sûr, chers collègues, après avoir écouté, lors des questions d'actualité, l'intervention du Président Cambon, que nous soyons forcément très enthousiastes sur ce contrôle externe et sur le fait de donner à certains pays la possibilité de donner un avis sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Si je regarde à présent les éléments négatifs, il y a probablement l'idée que nous sommes allés très loin dans la judiciarisation de la société européenne et il faut veiller à ne pas aller au-delà, au risque de mettre en danger le fonctionnement démocratique. Il y a aussi le fait qu'il ne faut pas toucher de près, ou de loin, à la plénitude juridictionnelle de la CJUE. Nous avons quand même un système, dont on voit bien à travers le Brexit, qu'il repose sur l'articulation d'un marché unique et d'une monnaie unique, pour la plupart d'entre nous, avec une seule juridiction qui arbitre l'ensemble. Si nous commençons à fragiliser ce rôle exclusif de la CJUE dans le traitement du droit de l'Union, je ne suis pas sûr qu'on lui rende un bon service. Nous avons récemment observé une CJUE qui tient le cap par rapport aux décisions du tribunal constitutionnel de Karlsruhe qui conteste la politique monétaire européenne, qui s'est montrée à la hauteur des événements en prenant position sur les dispositions polonaises en matière de révocation de magistrats et qui a pris des décisions récentes sur les ONG confrontées à des discriminations diverses en Hongrie. Tout cela me conduit à penser qu'il ne faut pas affaiblir la CJUE ; et donc être extrêmement prudent sur l'adhésion de l'UE à la CEDH. Encore une fois, il faut tenir ses engagements, mais si les négociations durent longtemps, voire très longtemps, à titre personnel, je vous suggèrerais de ne pas trop vous en formaliser...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Merci, je retiens deux mots forts de votre intervention : « propulser » - j'ai bien compris que l'horizon est lointain, voire très lointain - et « plénitude » - de l'architecture de la CJUE et de ses décisions récentes. Que ce soit sur la Hongrie ou sur le Royaume-Uni, restons-en aux fondamentaux que vous avez évoqués. Je comprends que vous n'ayez pas voulu vous engager dans une proposition de résolution européenne. La CJUE a un rôle important. J'apprécie beaucoup cette analyse, et c'est un sujet sur lequel je suis prudent. Je tiens à saluer la finesse de votre analyse et de vos conclusions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Comme vous l'avez peut-être compris, si nous n'avons pas souhaité faire de PPRE, c'est parce que, avec Philippe Bonnecarrère, nous sommes d'accord sur nos désaccords. Il était difficile de proposer une PPRE qui marque une direction très précise car nous avons des sensibilités différentes sur ce point.

Je me permets d'ajouter qu'il y a quand même un sujet sur lequel nous sommes vraiment en désaccord avec Philippe Bonnecarrère : la primauté du droit communautaire est un combat de la CJUE, qui manifeste des résistances et en manifestera toujours. Le Brexit met cette primauté sous tension. Contrairement à la position qui consiste à penser que, c'est en réaffirmant la primauté du droit communautaire que l'on donne de la robustesse à l'Union européenne, je pense que c'est en affrontant toutes les contradictions que l'on a entre nous et avec l'extérieur, et en affrontant le contrôle externe que l'on consolidera l'UE. La perception d'une Union européenne nous obligeant à aller à l'encontre de notre Constitution est un sujet sensible ; par conséquent, il ne faut pas considérer que la CJUE se trouve au sommet d'une pyramide et que tout ce qui la remettrait en cause est un danger pour l'Union. Je ne conteste pas son rôle essentiel. Encore la semaine dernière, sur le fait d'affirmer la liberté académique en Hongrie, la CJUE a joué son rôle. Mais je pense que le dialogue doit être favorisé, et non la préservation à tout prix d'une hiérarchie. Aussi, si nous voulons faire en sorte que les droits de l'Homme soient défendus en Turquie et en Russie, l'Union européenne ne peut pas être sur la réserve face à la Cour de Strasbourg, qui n'est pas un groupe de juges qui ne feraient que condamner les États par rapport à des requêtes de leurs citoyens. Bien au contraire, les juges nationaux ont un rôle particulier et il serait utile que l'Union européenne dispose d'un juge siégeant à la Cour de Strasbourg.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Je veux féliciter les deux rapporteurs pour leur travail, mais j'ai un double regret : nous sommes législateurs, et nous sommes dans un conflit de doctrine sur la hiérarchie des normes en Europe, entre la CJUE et la Cour européenne des droits de l'Homme. C'est un des principaux problèmes. Nous sommes aussi des responsables politiques et à travers nos actes, nous faisons passer un message au niveau européen, de nature géopolitique. Je suis assez désappointé par le choix des rapporteurs, dont je salue la qualité bien sûr, mais je rappelle que nous avons une délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), que plusieurs membres de la commission des affaires européennes en font partie et nous aurions pu envisager un binôme membre - non membre. D'ailleurs, plusieurs collègues de l'APCE s'étonnent que la délégation, sur un sujet si important et concernant le Conseil de l'Europe, ne soit pas représentée dans ce rapport. La délégation française à l'APCE comprend deux tiers de députés et un tiers de sénateurs, et nous avons pourtant des difficultés à être reconnus dans notre pays. Donc je trouve vraiment dommage que nous envoyions ce signal, en dépit de la qualité du rapport et du fait que j'approuve l'essentiel des conclusions, y compris des non-conclusions de nos rapporteurs.

Par ailleurs, j'ai un second regret. Nous avons un éminent ancien membre de cette commission, Denis Badré, qui avait fait un travail considérable lorsqu'il avait été nommé parlementaire en mission par le Premier ministre François Fillon et avait remis un rapport sur la relation entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe, dans lequel il abordait cette question de l'adhésion. Il avait proposé des avancées en vue d'une adhésion finale. Je regrette que son nom et ses travaux ne soient pas évoqués.

Ce débat entre la CJUE et la Cour européenne des droits de l'Homme pose des questions de nature juridique, de hiérarchie des normes, voire de conflits entre des juges à la complémentarité évidente parce que la CJUE dispose d'une arme forte - les pénalités économiques - que la Cour EDH n'a pas, mais qui a la capacité géopolitique du « name and shame » qui fait qu'un État condamné par la Cour EDH est pointé du doigt. On l'a vu récemment sur la polémique au sujet de la libération anticipée d'un certain nombre de détenus pendant la crise du Covid-19 ou résultant des condamnations multiples de la Cour à l'égard de la France concernant sa surpopulation carcérale. La Cour repose sur un système de représentation spécifique - un juge par État partie - soulevant des questions géopolitiques. Pour être membre de la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme de l'APCE, je peux vous dire qu'avec la montée des États illibéraux, par exemple avec le retour actif de la Russie, nous nous battons à chaque réunion lorsque nous avons des résolutions sensibles à adopter sur des rapports, pour avoir une majorité de deux voix dans cette commission, pour ne pas avoir une majorité russe, turque, azérie ou ukrainienne qui nous conduirait à des résolutions parfois illibérales. Nous sommes sur une question de périmètre de compétence juridique et nous sommes aussi sur des questions géopolitiques. Si nous avons des États illibéraux au sein de l'Union européenne, nous en avons davantage au sein du Conseil de l'Europe. Je rappelle aussi qu'on nous regarde et que si nous voulons avoir une délégation française qui pèse, c'est dans la manière de la traiter et de la représenter au sein de nos parlements nationaux que cela se joue aussi.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

J'entends très bien toutes les observations géopolitiques formulées par André Gattolin avec sa fougue et sa passion habituelles. Vous dites regretter que nous n'ayons pas de position politique. Elle l'est fortement : en vous faisant part de mon approche personnelle sur le marché unique, la monnaie unique et la juridiction unique, je plaide pour favoriser les conditions d'une intégration européenne plus importante. Je récuse l'idée que notre approche serait purement technique, mais la balance avantages-inconvénients que je vous ai dessinée penche en faveur de la CJUE, et se trouve plus défavorable à la Cour EDH : l'orientation très claire est de continuer à travailler à une plus forte intégration européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Merci Philippe Bonnecarrère. Je remercie les rapporteurs, et je rappelle à André Gattolin que la désignation des rapporteurs n'a fait l'objet d'aucune contestation en commission. Nos collègues membres de l'APCE ne sont pas intervenus sur ce point, mais ils seront les bienvenus à s'y pencher car le sujet va durer un certain temps... André Gattolin a fait référence au rapport de Denis Badré qui fut un grand européen au sein de cette commission. Son rapport n'était pas un rapport du Sénat, mais celui d'un parlementaire en mission, riche d'informations. Je rappelle à l'intention de nos collègues membres de l'APCE que nous rendons désormais régulièrement compte, au sein de cette commission, des travaux de cette Assemblée. Enfin, je considère que c'est important de mettre en lumière le travail du Conseil de l'Europe. Pour ce qui est de la conclusion politique de nos rapporteurs, j'estime qu'elle ne réside pas dans votre souci de ne pas fragiliser une architecture déjà affectée aujourd'hui. Essayons de prendre un peu de hauteur, c'est un sujet extrêmement important, propulsons nous dans un certain temps.

À l'issue du débat, la commission autorise, à l'unanimité, la publication du rapport d'information, disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Nous examinons à présent une proposition de résolution européenne que nous soumettent nos collègues Pascale Gruny et Laurence Harribey sur l'évaluation des technologies de santé. Ce sujet fait l'objet d'une proposition de règlement présentée par la Commission européenne il y a plus de deux ans. Le Sénat, à l'initiative de notre commission, avait adopté en avril 2018 un avis motivé sur ce texte qui ne nous semblait pas respecter le principe de subsidiarité. Notamment, il tend à communautariser l'évaluation des technologies de santé alors que cette évaluation a des incidences sur leur remboursement, qui relève pourtant des États membres. La nouvelle Commission semble cependant vouloir faire aboutir ce règlement, aussi les rapporteures vont-elles nous soumettre une proposition de résolution européenne et d'avis politique, afin de faire valoir nos positions avant la conclusion des négociations. J'ajoute que le contexte de la crise épidémique de la Covid-19 donne à ce sujet une nouvelle acuité.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

Laurence Harribey et moi avons souhaité, avec l'accord de notre président Jean Bizet, revenir sur la proposition de règlement relative à l'évaluation des technologies de santé présentée par la Commission européenne en février 2018.

Pour rappel, les technologies de santé regroupent les médicaments, le matériel médical et les modes opératoires. L'évaluation d'une technologie de santé comprend deux volets : d'une part, une évaluation clinique comparative destinée à déterminer l'efficacité relative d'une technologie déjà autorisée sur le marché de l'Union, d'autre part, une évaluation non clinique relative à des questions éthiques ou économiques. Ces évaluations sont réalisées par les États membres pour déterminer notamment la politique de remboursement de ces technologies par leur système de sécurité sociale.

Cette proposition de règlement visait principalement à coordonner l'action des États membres dans le domaine de l'évaluation clinique des technologies de santé.

Avec ce texte, la Commission entend instituer un groupe de coordination composé de représentants des États membres qu'elle co-présidera et auquel elle apportera un soutien logistique et financier. Ce groupe devra décider des évaluations cliniques qui seront réalisées en commun. Les résultats de celles-ci devront être repris par les États membres qui ne pourront plus réaliser leurs propres évaluations cliniques. C'est là, le vrai sujet de cette proposition.

Outre la réalisation d'évaluations cliniques communes, le groupe de coordination pourra aussi travailler à identifier les technologies de santé émergentes, organiser des consultations scientifiques communes pour les technologies en développement et approfondir la coopération volontaire dans le domaine de l'évaluation globale des technologies de santé.

Le Sénat, à l'initiative de notre commission, avait adopté en avril 2018 un avis motivé sur ce texte qui ne nous semblait pas respecter le principe de subsidiarité.

En effet, la santé demeure une compétence des États membres. L'article 168 paragraphe 7 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne prévoit que « l'action de l'Union doit être menée dans le respect des compétences des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. Ces compétences incluent l'allocation des ressources notamment financières affectées aux soins ».

Cette position était également celle des gouvernements allemand et français. Les deux chambres des parlements tchèque et allemand ont également adopté un avis motivé sur le sujet ; l'Assemblée nationale française et les deux chambres du parlement polonais ont elles aussi considéré cette proposition contraire au principe de subsidiarité, sans pour autant adopter d'avis motivé.

La Commission européenne, quant à elle, justifie sa proposition en s'appuyant, d'une part, sur l'article 114 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui lui octroie une compétence d'harmonisation des réglementations pour assurer un meilleur fonctionnement du marché intérieur, et, d'autre part, sur le fait que seule la partie clinique de l'évaluation sera faite en commun.

Compte tenu de l'opposition d'un certain nombre d'États membres à ce texte, je dois vous avouer que nous ne pensions pas que la nouvelle Commission européenne reprendrait ce texte à son compte. C'est pourtant ce qu'a annoncé Mme Stella Kyriakides, commissaire européen à la santé dans son programme de travail.

Dès lors, il nous est apparu nécessaire de revenir également sur ce texte pour rappeler que la construction du marché intérieur ne peut se faire au détriment de l'obligation d'assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine, d'une part, et de respecter les compétences des États membres, d'autre part.

La crise que nous venons de vivre nous conforte dans cette position. S'il faut réfléchir à une plus grande coordination entre États membres, ce n'est pas dans un objectif économique mais bien dans un objectif sanitaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

Je commencerai par mentionner les propositions intéressantes de ce texte. Il vise notamment à encourager la coopération volontaire entre États membres pour l'évaluation non clinique des technologies de santé. Cette coopération volontaire entre États membres doit être encouragée car elle permet un partage d'expérience et la mise en commun de moyens. On ne peut pas être trop rétif sur la question de la coopération. En outre, et c'est le deuxième aspect positif pour nous, ce texte propose que le groupe de coordination identifie en amont les technologies de santé émergentes à un stade peu avancé de leur développement et pouvant avoir une incidence majeure sur la santé des patients. Ceci peut être utile, notamment en prévision de nouvelles menaces sanitaires.

En revanche, et ce sera l'essentiel de mon propos, il subsiste des aspects problématiques. Le texte propose d'instituer des consultations scientifiques communes permettant aux développeurs des technologies de santé de solliciter le groupe de coordination afin d'obtenir des conseils scientifiques sur les données susceptibles d'être requises dans le cadre d'une évaluation clinique commune. Cela peut certes permettre la mise à disposition plus rapide de certaines technologies au profit des patients, mais ces consultations doivent se faire dans des conditions de transparence et d'indépendance - et nous avions déjà insisté là-dessus - permettant de garantir leur objectivité et leur intérêt pour une plus grande sécurité sanitaire. Il est nécessaire que ces conditions soient précisées dans le texte, ce qui n'était pas le cas en 2018.

Enfin, le texte propose la réalisation d'évaluations cliniques communes sur lesquels les États membres seraient contraints de s'appuyer. À ce sujet, trois points nous semblent particulièrement importants pour garantir la sécurité sanitaire et les compétences des États membres.

Tout d'abord, les États membres ne doivent pas être contraints de s'appuyer uniquement sur l'évaluation clinique commune pour évaluer une technologie de santé. En effet, il est nécessaire qu'en cas de doutes sur une étude ou en cas de besoin d'éléments complémentaires, les États membres puissent prendre en compte d'autres études ou les réaliser eux-mêmes si besoin - ce qui n'était pas inscrit dans le texte de 2018.

Le Parlement européen, dans une résolution législative adoptée en février 2019, proposait d'assouplir les contraintes des États membres en prévoyant qu'ils « utilisent », et non plus « appliquent », le rapport de l'évaluation clinique commune dans leur évaluation d'une technologie de santé. En outre, chaque État membre pourrait effectuer des évaluations complémentaires destinées à prendre en compte des données et des critères cliniques qui lui sont spécifiques et qui n'auraient pas été pris en compte dans le cadre de l'évaluation clinique commune. Cette solution nous semble satisfaisante et nous souhaitons qu'elle soit soutenue au Conseil.

Ensuite, la proposition de règlement ne peut avoir pour seule base juridique l'article 114 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qui vise à une harmonisation des règles au sein du marché intérieur. En effet, en cas de litige, les États membres qui auront réalisé des évaluations cliniques complémentaires devront pouvoir le justifier en invoquant la base légale du texte. Il est donc nécessaire d'ajouter à cette base légale l'article 168 qui fait référence à l'impératif d'assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine. À la construction du marché unique doit s'ajouter l'enjeu de la sécurité sanitaire. Le Parlement européen et la Commission soutiennent aujourd'hui cette proposition qui devra figurer dans la version définitive du texte.

Un troisième point important à souligner est que le texte présenté par la Commission en 2018 prévoyait que certaines dispositions seraient adoptées par le biais d'actes délégués ou en comitologie. Il y a une tendance à la comitologie qui pose un problème de transparence. Ainsi, les mesures destinées à garantir la qualité des évaluations n'ont pas été prévues par le texte, de même que les conditions de recrutement des experts chargés de mener les évaluations. Or il nous semble qu'il s'agit de mesures essentielles et qu'à ce titre, elles ne sauraient être prises par la Commission seule, via des actes délégués.

Je rappelle que la confiance dans une évaluation scientifique passe par la transparence des conditions de sa réalisation et l'impartialité de ses auteurs. Il est donc nécessaire de prévoir des mesures pour éviter les conflits d'intérêts et mettre à disposition du public certaines données ou études. Le Parlement européen a commencé ce travail qui devra être complété lors des débats au Conseil. Par ailleurs, il faudra également prévoir les règles en matière de conflits d'intérêts s'appliquant aux membres du groupe de coordination, un groupe qui aura un poids déterminant, ainsi que les règles relatives à la publicité de ses travaux.

La proposition initiale de la Commission a donc été amendée pour tenir compte d'un certain nombre de critiques que nous avions formulées, au regard de la subsidiarité. Il convient aujourd'hui de s'assurer que la mise en oeuvre de ce texte permettra de garantir la qualité des soins au sein de l'Union européenne. C'est le sens de cette proposition de résolution européenne que nous vous présentons aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Personnellement, votre proposition de résolution me convient. Rappeler la double base juridique sur laquelle ces évaluations de technologies de santé doivent s'appuyer, c'est-à-dire l'article 114 et l'article 168, permet selon moi, un bon équilibre. On ressent une demande d'une « Europe de la santé », que cette proposition de résolution permet de cadrer sur un volet particulier. Et si demain il y a une nouvelle pandémie, nous devons organiser davantage de coordination, d'harmonisation, de coopération et de prospective à l'échelle européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Harribey

À la lumière de l'audition de Madame Vestager, je crois que c'est très important d'affirmer ce que vous venez de dire. Cette Europe de la santé, sur une base de coopération approfondie, ce n'est pas un marché unique de la santé.

À l'issue du débat, la commission adopte la proposition de résolution européenne disponible en ligne sur le site du Sénat ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Nous abordons maintenant le troisième point de notre ordre du jour : il s'agit de la mobilité des professionnels de santé. Le marché intérieur implique la mobilité des travailleurs, y compris dans le secteur de la santé. Nos campagnes, qui sont souvent en manque de praticiens, bénéficient de plus en plus fréquemment de l'arrivée de professionnels étrangers, ce qui peut résoudre la question des déserts médicaux mais soulève aussi des inquiétudes : la sécurité des patients est-elle assurée ? Et ce d'autant plus que la relation au patient repose largement sur le dialogue mutuel et donc la maîtrise d'une même langue... Je laisse notre collègue Pierre Médevielle nous exposer le sujet auquel il consacre un rapport d'information. Il nous soumettra ensuite une proposition de résolution européenne et un avis politique. Je souligne aussi l'émergence de la télémédecine dans certains territoires. C'est aussi un moyen de pallier la carence des professionnels de santé. Je suis admiratif des maires qui osent y recourir dans mon territoire, d'autant que ça marche bien !

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Médevielle

Nous n'avons pas abordé dans le rapport le sujet de la télémédecine, mais c'est un sujet d'actualité, notamment dans les régions touchées par ce phénomène de désertification médicale, et même certaines grandes villes qui n'échappent pas à ce phénomène. La télémédecine représente une solution pour de nombreux examens mais encore faut-il qu'il y ait quelqu'un derrière l'appareil. Le numérique permet de développer la télémédecine à l'échelle européenne, mais il reste d'importantes réticences françaises concernant la protection des données de santé. Nos compatriotes sont souvent méfiants quand il s'agit de numérique, d'applications et de smartphone, et nous patinons sur le dossier médical personnalisé depuis 2000, époque où j'étais pharmacien pilote. C'est pourtant indispensable. Le Français confortablement installé chez lui ne voit pas pourquoi il irait partager ses données de santé. Mais le jour où il fera trois tonneaux à l'autre bout du pays, il sera peut-être content que les services de secours puissent avoir accès à son dossier médical.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Vos propos sont très imagés mais en phase avec la réalité. Cela pourra peut-être faire l'objet d'un prochain rapport à vous confier. Derrière tout cela se profile l'intelligence artificielle, dont on ne pourra pas faire abstraction.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Médevielle

J'ai participé à Tel-Aviv à un colloque sur la cybercriminalité, et j'ai constaté, en discutant avec des représentants d'autres pays, que nous avons un fort retard. Je serai en tout cas ravi de faire un rapport sur le sujet, si les électeurs le permettent !

Nous avons travaillé sur la question de la mobilité des professionnels de santé au sein de l'Union européenne. Celle-ci découle de la libre circulation des personnes qui est l'un des principes fondateurs de la construction du marché intérieur. Depuis les années 70, la Commission européenne a cherché à favoriser cette mobilité. La directive 2005-36-CE modifiée en 2013 définit les conditions de reconnaissance des qualifications d'un État membre à l'autre pour permettre cette mobilité. Il existe deux régimes de reconnaissance mutuelle des qualifications : un régime de reconnaissance mutuelle automatique et un régime général.

Le premier, la reconnaissance mutuelle automatique, concerne les professions dites sectorielles que la directive énumère. Il s'agit des médecins généralistes ou spécialistes, des dentistes, des infirmiers de soins généraux, des pharmaciens et des sages-femmes. Pour ces professions, la directive 2005-36-CE fixe le niveau des diplômes requis pour suivre les formations permettant l'exercice de ces professions. De plus, elle détermine la durée minimale de ces formations, ainsi que les connaissances et compétences qu'elles doivent permettre d'acquérir. Enfin, l'annexe V de la directive détermine, pour chaque État membre, la liste des établissements autorisés à délivrer un diplôme pour exercer ces professions sectorielles. Les professionnels qui souhaitent faire jouer la reconnaissance de leurs qualifications n'ont pas de stage à accomplir ou d'examens à passer.

Le régime général, lui, s'applique aux autres professions médicales. Il s'applique également aux professions sectorielles lorsque les conditions de la reconnaissance mutuelle automatique ne sont pas remplies. C'est le cas notamment lorsque le diplôme ne figure pas à l'annexe V de la directive déjà évoquée. Dans le cadre du régime général, les autorités de l'État membre d'accueil examinent l'ensemble des diplômes, certificats et autres titres, ainsi que l'expérience pertinente de l'intéressé, et comparent, d'une part, les compétences attestées par ces titres et cette expérience et, d'autre part, les connaissances et qualifications exigées par la législation nationale. Les autorités peuvent ensuite proposer des mesures compensatoires, qui peuvent être un stage ou une épreuve d'aptitude.

Ce n'est qu'une fois la qualification reconnue que l'État membre d'accueil peut procéder à des tests de langue, afin de vérifier que les professionnels de santé pourront communiquer avec les patients.

La mobilité de ces professionnels est évidemment corrélée à la maîtrise de la langue du pays d'accueil et à sa proximité géographique, mais elle est souvent liée aussi aux conditions socio-économiques : les professionnels migrent généralement vers les États où le budget de la santé est le plus élevé.

Ces mouvements modifient l'offre de soins dans les États membres. Dans les pays de départ comme la Bulgarie ou la Roumanie, l'offre de soins diminue dangereusement. À l'inverse, dans les États membres d'accueil comme le nôtre, l'arrivée de praticiens étrangers a permis de limiter l'impact de la diminution du nombre de professionnels de santé. En effet, ces praticiens venus d'autres États membres et notamment de Roumanie ont contribué à maintenir l'offre de soins dans certaines zones rurales, ce dont on peut se féliciter. Toutefois, on observe que, passé un certain temps, les professionnels venus d'autres États membres ont tendance à s'installer dans les mêmes zones que les professionnels formés en France, et qu'ils préfèrent en outre travailler en libéral plutôt qu'à l'hôpital où les besoins ne sont pas comblés. Dans ma région du Sud-Ouest, de nombreuses agences proposent à des généralistes qui ne trouvent pas de successeurs de faire venir des médecins roumains, et c'est souvent la collectivité qui va payer les frais d'agence, autour de 12 000 euros. Dans ma ville, c'est un chef-lieu de 1500 habitants, on avait six médecins il y a trente ans, aujourd'hui ils sont cinq, dont deux Roumains et un Hollandais.

Bien qu'elle ait facilité la mobilité, l'application de la directive 2005-36-CE pose un certain nombre de difficultés.

Tout d'abord, on note des différences notables dans les formations. En premier, les durées de formation, que ce soit dans le cas du régime général ou de la reconnaissance automatique, ne sont pas harmonisées. Dans le cas de la reconnaissance automatique, la directive ne fixe qu'une durée minimale de formation. Ainsi, pour les sages-femmes, elle est de trois ans. En France comme en Suède, la durée de formation est de 5 ans alors qu'en Espagne, les sages-femmes obtiennent la qualification d'infirmière spécialisée en soins obstétricaux après seulement trois années d'étude validées. De plus, ces différences se retrouvent également dans le contenu des formations et dans les actes autorisés à la pratique à l'issue de la formation. Ainsi, les infirmières peuvent faire des injections intraveineuses en France, alors que cet acte est réservé aux médecins en Allemagne et aux Pays-Bas.

Les tentatives d'harmonisation dans ce domaine se heurtent au fait que l'éducation demeure une compétence nationale et que les organismes de formation et les organisations professionnelles souhaitent garder leurs spécificités.

Par ailleurs, il apparaît difficile de faire respecter les exigences de la directive. Selon l'ordre des chirurgiens-dentistes, certains praticiens diplômés dans d'autres États membres n'ont reçu aucune formation pratique alors que celle-ci est expressément prévue par la directive. Il est donc nécessaire que les États membres assurent dans la durée un contrôle des établissements de formation pour s'assurer qu'ils respectent toujours les exigences de la directive 2005-36-CE. L'ordre plaide pour une révision de la directive 2005-36-CE afin que soit mis en place, dans chaque État membre, un système obligatoire d'évaluation publique, régulière et indépendante de tous les établissements délivrant un diplôme conforme à la directive 2005-36-CE. Il faut bien comprendre que l'État membre d'accueil n'a pas de pouvoir de contrôle sur ce qui se passe dans les établissements des autres États membres. En cas de doute sur la validité d'un diplôme, il doit se référer à l'autorité compétente de l'État membre d'origine. Ainsi, la Cour de justice de l'Union européenne a précisé que l'État membre d'accueil n'a pas à vérifier par lui-même le respect de la condition de durée d'une formation prévue pour l'exercice d'une profession dite sectorielle. Il peut toutefois solliciter l'État membre d'origine, à qui il appartient d'effectuer cette vérification. Dans la réalité, les contrôles effectués par les États membres d'origine sont inégaux.

De même, lorsque l'inscription à un ordre n'est pas obligatoire, il est difficile de vérifier que le professionnel de santé maîtrise bien la langue du pays d'accueil. Lorsqu'ils sont embauchés dans un établissement de santé, cette vérification peut se faire facilement mais lorsqu'ils exercent en libéral, c'est plus compliqué.

Enfin, il faut évoquer les conditions pratiques dans lesquelles se déroule la reconnaissance mutuelle des diplômes au sein des États membres. Les délais sont précisés dans la directive 2005-36-CE et apparaissent particulièrement contraints pour permettre un véritable examen de chaque cas. En outre, il est souvent difficile de vérifier la qualité des stages pratiques prescrits comme mesure compensatoire.

Ces difficultés rencontrées dans le cadre de l'application de la directive 2005-36-CE suscitent des inquiétudes quant à la sécurité des patients. Si la mobilité des professionnels de santé doit être facilitée pour permettre leur libre circulation, cela ne peut se faire au détriment de la sécurité des patients. En effet, délivrer des soins n'est pas assimilable à un commerce.

L'assimilation des professions de santé à n'importe quelle autre activité économique et commerciale inquiète les professionnels de santé : ils la jugent incompatible avec l'exercice de leurs missions d'intérêt général au profit des patients. Ces craintes se sont renforcées lorsqu'en 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que « l'interdiction générale et absolue de toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires est incompatible avec le droit de l'Union européenne », ouvrant la voie à une banalisation commerciale de ces prestations de santé.

De plus, une directive de 28 juin 2018 soumet à un examen de proportionnalité toute disposition nationale qui limite l'accès à des professions réglementées ou leur exercice. Les professions de santé sont soumises à cette directive. Elle illustre la volonté de la Commission européenne de restreindre les entraves à la mobilité et son adoption a renforcé l'inquiétude des professionnels. En effet, les ordres craignent d'être remis en cause et de ne plus pouvoir exercer leur rôle de régulateur face aux évolutions des leurs professions.

Lors de la présentation de la proposition de directive en juin 2017, le Sénat, sur proposition de la commission des affaires européennes, avait adopté un avis motivé dans lequel il indiquait que le projet de directive ne respectait pas le principe de subsidiarité. Il estimait que tel était le cas dans le domaine de la santé où l'article 168 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dispose que l'action de l'Union est menée dans le respect et la responsabilité des États membres.

Toutefois, cette inquiétude doit être relativisée. En effet, la directive prévoit que toute nouvelle réglementation peut être justifiée par un motif d'intérêt général, notamment garantir un haut degré de protection de la santé humaine. De plus, pour transposer cette directive, les autorités françaises ont prévu de procéder à cet examen de proportionnalité à l'occasion de l'étude d'impact qu'elles doivent joindre à chaque projet de disposition législative ou de la fiche d'impact prévue pour tout projet de décret. C'est donc dans ce cadre que la proportionnalité sera examinée par les services du Gouvernement, préservant ainsi les initiatives du Parlement et des ordres en la matière. Une circulaire précisera les modalités de ce contrôle.

Par ailleurs, la jurisprudence tend également à prendre en considération l'impératif de protéger la santé humaine. Ainsi, en 2008, la Cour de justice de l'Union européenne a estimé qu'exiger qu'une pharmacie soit implantée dans l'État membre pour pouvoir approvisionner un hôpital de cet État est compatible avec le droit européen puisque cette mesure a pour objectif de garantir un approvisionnement optimal, nécessaire pour assurer un niveau élevé de protection de la santé publique.

Un autre phénomène que l'on peut aborder est celui de la grande mobilité des étudiants. 15 % des masseurs-kinésithérapeutes exerçant en France ont fait leurs études à l'étranger et beaucoup d'étudiants français font leurs études de médecine en Roumanie, ou en Espagne - je vois beaucoup de jeunes qui traversent le frontière, ou encore en Belgique pour les formations au métier de vétérinaire. Aujourd'hui beaucoup d'étudiants évitent les concours nationaux. Et les formations n'ont tout de même pas le même contenu, la même durée.

Quoi qu'il en soit, il s'agit de rester vigilant et de s'assurer que la mobilité ne se fasse pas au détriment de l'intérêt des patients. C'est le sens de la proposition de résolution européenne qui vous est soumise aujourd'hui.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascale Gruny

J'aimerais remercier notre collègue pour ce rapport, c'est un sujet contemporain et qui dure depuis longtemps déjà. Quand j'étais au Parlement européen, j'étais à la commission des pétitions et je me souviens d'une pétition reçue d'un pharmacien français à qui on refusait de travailler dans une pharmacie en Grande-Bretagne, alors même qu'il n'y avait pas aucun souci de formation. Ce sujet de la reconnaissance de diplôme soulève deux questions principalement : la subsidiarité, mais aussi la résorption des déserts médicaux. Comme vous l'avez rappelé au début de votre propos, nous avons depuis longtemps des médecins qui viennent de l'étranger et qui pallient le manque de professionnels dans certains territoires. À ce sujet, je me souviens d'un médecin qui m'avait donné une ordonnance pour une de mes filles et je n'avais rien compris. J'avais dû retourner voir un médecin généraliste français pour qu'il m'explique. La langue est très importante. Nous ne sommes pas pharmacien, ni médecin. Parfois, même dans notre langue, nous ne comprenons pas toujours tout. La qualité de la formation et celle des stages sont également des points importants. Les étudiants français qui vont se former dans les pays frontaliers après avoir été refusés aux concours sont de plus en plus nombreux. Vous avez parlé de l'Espagne, moi je suis à côté de la Belgique et je constate qu'elle ferme beaucoup de ses universités aux étrangers, car celles-ci forment énormément de Français qui ne restent pas sur son territoire. Soit on s'accorde sur l'établissement d'une formation européenne, soit on régule la mobilité des professionnels. Je connais maintenant beaucoup de jeunes qui vont faire leurs études de médecine en Roumanie, où il n'y a pas de stages pratiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Médevielle

Il faudra aussi revoir le mode de sélection afin d'éviter ces mouvements. Tous les ans, nous rejetons des étudiants qui ont une vocation mais qui ne sont pas très doués pour répondre à des QCM de mathématiques ou de physique. La médecine, ce n'est pas toujours poétique, il faut être capable d'y mettre les mains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

J'ai écouté avec beaucoup d'attention la présentation de ce rapport, et j'ai bien entendu les suggestions de Pierre Médevielle en matière de formation rapportées par. Je tiens à dire à mes collègues qu'un nouveau dispositif a vu le jour cette année : la mise en place des passerelles, permettant à des étudiants qui n'ont pas la vocation immédiate ou dont l'accès direct via Parcoursup aux facultés de médecine n'était pas évident, de mûrir un projet de santé dans une autre faculté scientifique et de rejoindre les facultés de médecine en cours de route. Je suis persuadé du bien-fondé de ce système.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Médevielle

Je n'ai pas évoqué les passerelles et je partage cet enthousiasme, c'est un excellent dispositif, qui n'était pas généralisé ! Mais je pense que cela ne nous dispensera pas de revoir le mode de sélection à la base.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Ceci dit, le nombre de places dans les passerelles reste particulièrement limité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Merci au rapporteur, merci à tous ceux qui se prononcent sur cette proposition de résolution. Je n'ai pas d'avis contraire. Je rappelle que la télémédecine doit être un sujet de réflexion pour notre commission.

Aussi, il ne faut surtout pas qu'on prenne du retard, et d'après ce qu'on peut lire, l'intelligence artificielle ne se trompe pas beaucoup par rapport à l'oeil humain - voire un peu moins ! Intelligence artificielle, respect de la propriété des données de santé et carte identité de santé, beaucoup sont des pistes à explorer pour l'avenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Médevielle

Par rapport à cette carte de santé, je ne comprends pas certaines réticences, quand les GAFAM ont déjà accès à notre mode de vie et nos profils de santé. Il ne faut pas avoir peur de ce qui existe déjà. Nos données de santé sont déjà dans la nature.