Intervention de Philippe Bonnecarrere

Commission des affaires européennes — Réunion du 25 juin 2020 à 8h35
Justice et affaires intérieures — Adhésion de l'union européenne à la convention européenne des droits de l'homme cedh - examen du rapport d'information de mm. philippe bonnecarrère et jean-yves leconte

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere, rapporteur :

Merci Monsieur le Président. Jean-Yves Leconte nous a propulsés en décembre 2014, date à laquelle la CJUE a émis sept observations défavorables, non pas au principe de cette adhésion, mais à ses modalités.

En octobre 2015, le Conseil JAI a réaffirmé son attachement à l'adhésion de l'Union européenne à la CEDH et a invité la Commission à travailler sur une analyse des questions juridiques soulevées par la CJUE dans son avis.

La présidence finlandaise du Conseil de l'Union européenne a repris ce dossier et a inscrit l'adhésion parmi ses priorités : elle est parvenue à ce que le Conseil s'accorde sur un mandat de négociation. Le Conseil JAI du 7 octobre 2019 suivant a exprimé son engagement en faveur d'une reprise rapide des négociations avec le Conseil de l'Europe sur l'adhésion et a adopté à l'unanimité des directives de négociation complémentaires. Il a apporté des réponses aux observations de la CJUE, en particulier concernant le mécanisme de codéfendeur et le fait d'exclure le contrôle des actes de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), sachant que la CJUE n'est pas compétente pour contrôler la PESC.

Les négociations devaient reprendre en octobre 2019, mais ont été reportées à septembre prochain du fait de la crise sanitaire.

Que penser de la suite des négociations ? Il n'est pas évident que les demandes présentées par l'Union seront entendues très favorablement par les États non membres de l'Union pour deux raisons principales.

D'une part, sur les 47 États membres du Conseil de l'Europe, 27 sont membres de l'Union, et on rajouterait l'Union elle-même ; donc la crainte d'un déséquilibre en faveur de l'Union est prégnante. On peut d'ailleurs préciser que le Royaume-Uni sera maintenant de l'autre côté de la barre des négociations.

D'autre part, et plus sérieusement, la réserve de la part des États non membres porte sur la perspective que l'Union européenne demande un statut à part. Il n'est pas certain que cette prétention soit acceptée volontiers, notamment par la Russie et la Turquie. Les discussions vont probablement durer longtemps.

Nous partageons, avec M. Leconte, une préoccupation commune : la défense des libertés fondamentales en Europe. Les sujets récents, de la Pologne à la Hongrie, conduisent à convenir spontanément qu'il y a un intérêt à ce que l'Union européenne adhère à la CEDH : tout ce qui vient améliorer le contrôle des valeurs est positif. Nous sommes finalement arrivés, avec M. Leconte, à la conclusion de ne pas vous proposer de résolution européenne. Il serait prétentieux de vouloir donner à la Commission des recommandations sur un sujet objectivement délicat. Si l'on raisonne en termes de bilan « avantages-inconvénients », l'adhésion comporterait bien des avantages : l'exigence du respect des traités - il est normal de respecter les engagements que l'on a pris - et l'appui à la défense des valeurs de l'Union. Il y a une considération technique complémentaire qui peut se présenter aussi comme un avantage : l'organisation de l'architecture juridique en Europe paraît cohérente - nous avons des dispositifs de contrôle interne dans notre pays dont on veille à l'indépendance ; mais il y a une autre tradition à travers le monde où le contrôle est externe et la CEDH permettrait d'assurer un tel contrôle externe.

Toutefois, je ne suis pas sûr, chers collègues, après avoir écouté, lors des questions d'actualité, l'intervention du Président Cambon, que nous soyons forcément très enthousiastes sur ce contrôle externe et sur le fait de donner à certains pays la possibilité de donner un avis sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Si je regarde à présent les éléments négatifs, il y a probablement l'idée que nous sommes allés très loin dans la judiciarisation de la société européenne et il faut veiller à ne pas aller au-delà, au risque de mettre en danger le fonctionnement démocratique. Il y a aussi le fait qu'il ne faut pas toucher de près, ou de loin, à la plénitude juridictionnelle de la CJUE. Nous avons quand même un système, dont on voit bien à travers le Brexit, qu'il repose sur l'articulation d'un marché unique et d'une monnaie unique, pour la plupart d'entre nous, avec une seule juridiction qui arbitre l'ensemble. Si nous commençons à fragiliser ce rôle exclusif de la CJUE dans le traitement du droit de l'Union, je ne suis pas sûr qu'on lui rende un bon service. Nous avons récemment observé une CJUE qui tient le cap par rapport aux décisions du tribunal constitutionnel de Karlsruhe qui conteste la politique monétaire européenne, qui s'est montrée à la hauteur des événements en prenant position sur les dispositions polonaises en matière de révocation de magistrats et qui a pris des décisions récentes sur les ONG confrontées à des discriminations diverses en Hongrie. Tout cela me conduit à penser qu'il ne faut pas affaiblir la CJUE ; et donc être extrêmement prudent sur l'adhésion de l'UE à la CEDH. Encore une fois, il faut tenir ses engagements, mais si les négociations durent longtemps, voire très longtemps, à titre personnel, je vous suggèrerais de ne pas trop vous en formaliser...

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