Mes chers collègues, les 10 et 11 octobre derniers, une délégation de la commission des finances du Sénat s'est rendue à Prague pour assister à la conférence interparlementaire semestrielle dite « article 13 ». Pour mémoire, l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) prévoit, en effet, le principe d'une conférence réunissant « les représentants des commissions concernées du Parlement européen et les représentants des commissions concernées des parlements nationaux afin de débattre des politiques budgétaires et d'autres questions » régies par ce traité.
Ce rendez-vous semestriel nous donne donc l'occasion d'échanger sur les enjeux budgétaires, économiques et financiers de l'Union. La commission des finances y représente donc le Sénat. Notre délégation était composée de moi-même, de Jean-Marie Mizzon, rapporteur spécial en charge du suivi de notre contribution au budget de l'Union européenne, et de Stéphane Sautarel. Le rapporteur général et notre collègue Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, étaient excusés, ainsi que nos homologues de l'Assemblée nationale, en raison d'un agenda particulièrement chargé.
Les thèmes des échanges avaient été déterminés conjointement entre le Parlement européen et les deux chambres du Parlement de la République tchèque, qui exerce jusqu'à la fin de l'année la présidence du Conseil de l'Union européenne. Trois sessions de débats ont ainsi été organisées, autour des thèmes suivants : la mise en oeuvre de la « facilité pour la reprise et la résilience », c'est-à-dire le principal dispositif du plan de relance européen ; les coûts de l'indépendance énergétique ; le renforcement de la résilience économique de l'Europe.
Le débat sur le plan de relance européen a été l'occasion pour de nombreux parlementaires d'exprimer une certaine inquiétude quant au faible rythme de décaissement des fonds européens dans le cadre du dispositif de relance et de résilience. Si la France a déjà reçu près d'un tiers des montants prévus et se place en deuxième position derrière l'Espagne, certains États n'ont au contraire, à ce stade, reçu aucun des financements prévus de la part de l'Union européenne, dont le montant représente parfois jusqu'à 5 % de leur PIB. La plupart du temps, ce retard est lié à la complexité de la procédure de validation de ces fonds et de leur utilisation - à l'exception notable de la Hongrie, dont les fonds sont bloqués en raison de tensions liées au respect de l'État de droit dans le pays. J'ai pour ma part appelé l'attention de nos homologues et de la Commission européenne sur la question du remboursement de ce plan de relance, à compter de 2028 - autrement dit demain. Dans cette perspective, les États membres s'étaient entendus en juillet 2020 sur la nécessité d'introduire de nouvelles ressources propres pour l'Union européenne, dont les recettes devront être consacrées à ce remboursement. La Commission européenne a présenté, fin décembre 2021, plusieurs propositions en ce sens, qui n'ont malheureusement toujours pas abouti. La réponse de la Commission européenne a simplement consisté à rappeler que les réflexions étaient en cours à ce sujet et que, à défaut de nouvelles ressources propres, les contributions nationales seraient augmentées au prorata de la part de chaque État membre dans le revenu de l'Union européenne, ce que nous savons tous.
D'autres participants, à commencer par l'Allemagne, se sont interrogés sur le devenir des fonds non utilisés dans le cadre du plan de relance, qui devraient in fine représenter plusieurs centaines de milliards d'euros. Une partie de ces fonds devrait être réutilisée pour le financement du nouveau plan européen pour l'indépendance énergétique de l'Europe, baptisé « REPowerEU » et présenté par la Commission européenne en mai dernier. D'autres sources de financement pour REPowerEU sont en cours d'étude par la Commission européenne au travers des outils existants, tels que le fonds de la politique de cohésion, le fonds européen agricole pour le développement rural, le fonds pour l'innovation ou bien encore la Banque européenne d'investissement, mais nous n'en savons pas plus à ce stade. Quelques jours avant notre conférence, la possibilité d'un nouvel emprunt commun pour financer le plan REPowerEU avait été évoquée dans les médias par deux commissaires européens, MM. Paolo Gentiloni et Thierry Breton, respectivement commissaire à l'économie et commissaire au marché intérieur. Cette idée a semble-t-il depuis été enterrée, notamment en raison de l'opposition de l'Allemagne, qui a décidé de faire cavalier seul en annonçant son propre plan de résilience énergétique à 200 milliards d'euros...
S'agissant de l'indépendance énergétique, notre collègue Stéphane Sautarel est intervenu pour rappeler la nécessité de réviser les conditions de fixation du prix européen de l'énergie et de mettre en place un plafonnement du prix du gaz au niveau européen, en particulier du gaz utilisé pour la production d'électricité, à l'instar des mesures déjà mises en place au niveau national par l'Espagne et par le Portugal. Il s'agit d'une proposition poussée par le Gouvernement français et appuyée par tous les acteurs français du secteur, en particulier par EDF et par la Commission de régulation de l'énergie. Malheureusement, certains pays comme l'Allemagne et les Pays-Bas y étant opposés, le texte approuvé lors du dernier Conseil européen n'évoque pas l'engagement de mettre une telle mesure en place, même s'il y est mentionné la volonté que la Commission européenne présente des propositions sur ce sujet.
Cette conférence a enfin été l'occasion d'évoquer plus largement le renforcement de la résilience économique de l'Europe et la préparation aux crises futures. La Commission européenne a rappelé que l'objectif de 2 % d'inflation demeurait d'actualité. Des réflexions sont actuellement en cours afin de déterminer les outils de politique budgétaire qui pourraient être mis en oeuvre au niveau européen pour lutter contre l'inflation, même si les marges de manoeuvre dans ce domaine demeurent limitées et si le principal outil européen en la matière demeure bien entendu la politique monétaire. La Commission nous a également indiqué que le projet de réforme du TSCG devrait être présenté très prochainement, dans le courant du mois de novembre.
Au final, qu'il s'agisse du plan de relance européen, de l'indépendance énergétique ou de la lutte contre l'inflation, ces échanges ont témoigné du moment charnière - un de plus... - dans lequel se situe l'Union européenne. L'ordre du jour de cette conférence a permis de mettre en exergue les principaux défis économiques et budgétaires que devra affronter l'Union dans les prochaines années, même si la portée politique de cette conférence demeure réduite dès lors que l'on n'y adopte pas de conclusions.
Cela dit, pour avoir participé à quelques conférences « article 13 », je dois dire qu'elle n'a été ni la plus mauvaise ni la plus inutile.
Il était intéressant d'écouter les collègues de pays beaucoup plus en difficulté que nous sur les sujets de l'énergie ou de l'inflation - ces questions sont parfois vécues très douloureusement. Nous avons pu noter une inquiétude assez profonde et des demandes réitérées d'une plus grande solidarité européenne.
Cette réunion a été magnifiquement organisée par les autorités tchèques : le déroulé était vif, le programme riche, et les tables rondes intéressantes. Par rapport à d'autres conférences « article 13 », beaucoup plus formelles, auxquelles nous avons pu participer par le passé, celle-ci donnait envie de continuer à poursuivre le suivi de ces conférences, même si les avancées qui peuvent en découler ne sont jamais définitives, puisque leur rôle n'est pas législatif.
La réunion est close à 14 h 50.