Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que notre assemblée examine ce matin vise à augmenter la contrainte qui pèse sur les bailleurs, afin de les inciter à procéder aux travaux de mise en décence et de rénovation des logements loués à des allocataires d’aides personnelles au logement.
Si le sujet des logements non décents et insalubres ou indignes n’est pas nouveau, force est de constater que celui-ci persiste en métropole comme dans les outre-mer.
Aujourd’hui, le constat est sans appel : il y aurait 420 000 logements indignes au sein du territoire national, dont 110 000 dans les outre-mer, selon les chiffres cités par un récent rapport de la délégation sénatoriale à l’outre-mer.
La Réunion est particulièrement affectée par ces dégradations de logement, ce qui explique, sans aucun doute, le dépôt de cette proposition de loi par notre collègue, M. Jean-Louis Lagourgue, sénateur de La Réunion, qui reprend ainsi le texte déposé voilà un an, en février 2022, par l’ancien député de ce même territoire, M. David Lorion.
Introduite par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU, la notion de non-décence ne concerne, en droit, que le logement locatif. L’objectif du législateur était clairement de préciser l’obligation faite aux bailleurs de délivrer un logement en bon état et qui réponde à des normes minimales en matière de confort.
Par conséquent, pour être qualifié de décent, un logement doit notamment présenter une surface minimale, une absence de risque pour la sécurité et la santé du locataire, une absence d’animaux nuisibles et de parasites, ainsi que la mise à disposition de certains équipements nécessaires à le rendre habitable – le chauffage, l’électricité ou le système d’évacuation des eaux usées.
Toutefois, depuis le 1er janvier 2023, en application de la loi Énergie et climat, les logements locatifs doivent également répondre à des critères de performance énergétique pour pouvoir être qualifiés de « décents ». Ces critères seront progressivement durcis jusqu’en 2034, date à laquelle l’ensemble des logements classés E, F ou G ne pourront plus être loués.
Les transitions écologiques et énergétiques nous imposent de légiférer. Nous avons commencé le travail et nous le poursuivrons ! Autrement dit, mes chers collègues, notre groupe partage bien évidemment l’objet affiché par ce texte, qui vise à protéger davantage les locataires face au fléau que représentent les logements non décents.
Cela étant, je constate à mon tour que le dispositif proposé dans le texte est inadapté et qu’il risque de complexifier et d’aggraver la situation des locataires.
Le mécanisme proposé dans l’article unique est inadapté et inopérant.
Il est inadapté, car faire en sorte que le loyer soit désormais non plus versé au bailleur, mais consigné auprès de la Caisse des dépôts et consignations soulève des interrogations sur le plan opérationnel, en particulier pour les organismes payeurs que sont la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA).
Si ces organismes ne sont pas directement concernés, ils seraient néanmoins placés au cœur du mécanisme, puisqu’il leur reviendrait de transmettre à la Caisse des dépôts et consignations chaque ouverture de conservation des aides et, en toute logique, chaque levée de la conservation.
Compte tenu de la surcharge d’activités actuelle du système d’information de la Cnaf, nous pouvons craindre une réelle difficulté quant à la possibilité d’automatiser un tel signalement, sans compter la question de la sécurisation du transfert de ces données et celle du coût que cela représenterait.
Le dispositif est donc inadapté, mais il est également inopérant, car on peut s’interroger sur le potentiel effet dissuasif de la mesure proposée. Je rappelle que la procédure actuelle de retenue des allocations de logement démontre une certaine efficacité, puisque, selon les services de l’État, plus de 95 % des dossiers aboutissent à une remise en état dans les délais impartis.
Contrairement à la situation en métropole, la procédure existante concerne également les bailleurs sociaux dans les outre-mer. Or ces derniers semblent affirmer que la privation du reste à charge du loyer n’influerait en rien sur leur diligence à traiter les cas de non-décence.
De plus, l’absence de versement du loyer résiduel pourrait priver des propriétaires, au moins les plus modestes, des ressources nécessaires pour financer la réalisation de travaux. Ce sont autant de raisons qui démontrent que le dispositif du texte est inadapté et inopérant.
Par ailleurs, le mécanisme risque d’entraîner des conséquences non négligeables sur les locataires. Pour l’instant, après un signalement à la Cnaf, les locataires n’ont aucune démarche à effectuer pour que les allocations de logement cessent d’être versées aux bailleurs. Introduire une procédure active de consignation du reste à charge pourrait amener une partie des locataires à cesser de payer leur loyer, ce qui les exposerait à une expulsion, tout à fait légale, à la demande du propriétaire.
Pis encore, la suspension du versement direct des loyers aux propriétaires pourrait inciter ces derniers à retirer leurs biens du marché de la location pour les mettre en vente.
Mes chers collègues, si l’intention de l’auteur de ce texte est louable, le dispositif me semble inadapté à l’objectif qui fait sans doute consensus au sein de cette assemblée, à savoir un meilleur accompagnement des bailleurs, dans l’intérêt des locataires et de nouvelles solutions face à la dégradation des logements, qui dépasse largement le seul champ du logement non décent.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI s’abstiendra sur ce texte.