Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie notre collègue Jean-Louis Lagourgue et le groupe Les Indépendants de donner, ce matin, l’occasion à notre assemblée de faire un point sur la lutte contre le logement indécent dans notre pays et, plus particulièrement, outre-mer.
C’est un sujet qui me tient particulièrement à cœur et sur lequel je me suis beaucoup investie, avec la commission des affaires économiques et sa présidente Sophie Primas, notamment après le drame de la rue d’Aubagne, survenu le 5 novembre 2018, très présent encore dans nos mémoires.
Le logement est un bien de première nécessité, avons-nous coutume de répéter. C’est aussi un droit et un élément central de notre pacte républicain. C’est l’abri de la famille, la protection de la vie privée, une possibilité d’épanouissement personnel et, normalement, une garantie d’égalité, car grandir dans un logement délabré diminue les chances de réussite et même l’espérance de vie.
Mais ce droit est également un combat. Il nous mobilise, quel que soit notre groupe politique. Ce combat se fonde sur des principes simples – l’égalité, la justice et l’humanité –, mais il se décline dans des réalités compliquées. Malheureusement, il n’y a pas de martingale, pas de cause ou de responsable uniques, pas de baguette magique pour une solution immédiate.
Cette tension, nous la ressentons aujourd’hui en examinant la proposition de loi qui nous est soumise. La rapporteure de la commission, Micheline Jacques, dont je tiens à saluer le travail de fond, a osé affronter la complexité de la lutte contre l’habitat indécent et ne s’est pas contentée de solutions séduisantes, mais mal adaptées.
En effet, personne, bien évidemment, ne peut s’opposer à la recherche d’une meilleure protection des locataires bénéficiant d’une allocation logement et vivant dans un habitat non décent, comme l’indique le titre de la proposition de loi.
S’appuyant sur le rapport d’information de juillet 2021 de notre délégation aux outre-mer, dont Micheline Jacques était déjà l’un des auteurs, Jean-Louis Lagourgue souligne qu’environ 13 % des logements seraient considérés comme indignes dans les départements et régions ultramarins, soit 110 000 sur 900 000. C’est certainement un problème central et urgent.
Pour y porter remède, l’auteur de la proposition de loi propose, au-delà du mécanisme de retenue des aides personnelles au logement, que les locataires ne versent plus de loyer à leurs propriétaires, et que le montant de celui-ci soit consigné auprès de la CDC.
À première vue, on peut être séduit par la solution qui désigne un coupable et un seul : le bailleur ! C’est malheureusement trop simple. Le rapport de la commission a démonté cette fausse évidence.
On doit relever tout d’abord que le droit actuel, qui prévoit la retenue des APL lorsque le locataire fait valoir une situation d’indécence, est efficace dans 95 % des cas. Il permet donc, d’ores et déjà, d’apporter les solutions attendues.
Aller plus loin en retirant toute ressource aux propriétaires bailleurs aurait donc une dimension plus punitive qu’incitative, approche qui n’est pas justifiée par les faits. À La Réunion, la Fondation Abbé Pierre a estimé que la majorité des logements problématiques appartenaient à des propriétaires modestes dont les conditions de vie sont similaires à celles de leurs locataires. On le sait, à l’échelle nationale, un tiers des propriétaires ne sont pas imposables et deux tiers n’ont qu’un seul bien à louer, souvent pour compléter une retraite.
Par ailleurs, à La Réunion, de nombreux logements indécents sont des logements sociaux ; leur caractère indécent est notamment dû à des problèmes d’infiltrations. On se rend alors compte qu’il s’agit moins d’un conflit de classes entre propriétaires et locataires que d’un problème plus structurel de qualité du bâti, y compris pour les constructions récentes.
Utiliser l’outil de l’indécence des logements, c’est aussi faire reposer le poids de la résorption de l’habitat indigne sur les seuls locataires, dont on sait que beaucoup hésiteront à lancer une procédure face au risque de ne pas disposer d’un autre logement et de perdre le bénéfice des APL après les dix-huit mois de suspension s’ils demeurent dans le logement.
Par ailleurs, centrer la lutte contre l’habitat indigne sur les seuls locataires, c’est laisser de côté un pan important du sujet : les nombreux propriétaires qui vivent dans des logements de ce type et la question des copropriétés dégradées. Je sais que ce problème particulièrement difficile et long à traiter vous tient particulièrement à cœur, monsieur le ministre.
En outre-mer, l’habitat informel, ou spontané, est un sujet souvent important, mais il ne résulte pas de difficultés dans les relations entre propriétaires et locataires.
Enfin, les problèmes de logement indigne outre-mer, et plus particulièrement à La Réunion, ont un caractère structurel qui dépasse largement les défaillances d’entretien des logements.
Le rapport de la commission, sur la base des témoignages des services de l’État, mais aussi des associations de locataires et des bailleurs sociaux, pointe des malfaçons récurrentes, une formation et une qualification insuffisantes des professionnels et des matériaux inappropriés. Ainsi, beaucoup d’immeubles récents, encore sous garantie décennale, seraient aujourd’hui problématiques. Certains de ces défauts pourraient s’expliquer par un usage mal contrôlé des possibilités d’investissement défiscalisé.
Aussi, plutôt que de mettre en cause les seuls propriétaires bailleurs, le problème de l’habitat indigne outre-mer ne pourra trouver de solutions qu’à la suite d’une analyse multifactorielle de ses différentes causes, d’autant que ces départements font face à des risques sismiques et climatologiques spécifiques.
À cet égard, je regrette que l’auteur de la proposition de loi n’ait pas accepté la proposition d’un renvoi en commission, qui aurait permis de procéder à cette analyse conjointement avec la délégation aux outre-mer.
C’est pourtant la solution que nous avions trouvée sur la proposition de loi déposée par notre collègue Bruno Gilles à la suite du drame de la rue d’Aubagne. Nous avions pu mener un travail en profondeur et faire adopter la proposition de loi modifiée quelques mois plus tard.
Une expérimentation du dispositif évoqué dans la seule île de La Réunion ne paraît pas plus pertinente que la rédaction initiale s’appliquant à l’ensemble du territoire national, compte tenu des arguments que j’ai évoqués.
C’est pourquoi le groupe Les Républicains suivra et appuiera les recommandations de la rapporteure et de la commission des affaires économiques, en rejetant, à regret, le présent texte et l’amendement présenté par son auteur.