Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis 2015, l’accessibilité des consultations chez le médecin généraliste a reculé dans 86 départements.
Un à un, nos territoires les plus fragiles se transforment en déserts médicaux, tant et si bien que près de neuf millions de nos concitoyens disposent actuellement d’une offre médicale insuffisante pour répondre à leurs besoins en santé.
Trop de fois déjà, la commission des affaires sociales a eu à diagnostiquer l’origine du mal. Un manque de médecins, lié à l’application aveugle d’un numerus clausus trop restrictif, en est bien sûr la cause principale. Le premier cycle comporte trop peu de stages pour découvrir la médecine libérale et les hôpitaux et cabinets médicaux périphériques ne comptent pas assez d’internes. Cette situation est la conséquence d’une action publique décidée à l’échelle nationale en associant insuffisamment les collectivités.
Nombre d’administrés expriment leur désarroi, leur sentiment d’abandon et parfois même leur colère à leurs élus locaux, qui sont souvent démunis pour faire face à des départs de médecins, faute de disposer de leviers d’attractivité suffisants pour en faire venir de nouveaux.
La proposition de loi que nous examinons a été déposée par notre collègue Dany Wattebled. Son article unique vise à élargir la liste des entités éligibles à la mise à disposition de fonctionnaires territoriaux, en y ajoutant les cabinets médicaux et les maisons de santé situés en zones sous-denses.
Le texte a été adopté par la commission des affaires sociales, modifié par un amendement que j’ai soutenu. Ainsi, tout en restant fidèles à l’esprit du dispositif, nous en avons précisé le champ, encadré la durée et conditionné l’éligibilité à la participation au service public de permanence des soins ambulatoires, répondant ainsi à certaines observations formulées lors des auditions.
La mise à disposition consiste, pour un agent public réputé occuper son emploi, à exercer ses fonctions hors de l’administration où il a vocation à servir. À ce jour, la mise à disposition de fonctionnaires territoriaux est ouverte à une liste limitative d’entités, qui sont de droit public, exercent une mission de service public, ou, à titre expérimental et sur un champ restreint, sont des organismes sans but lucratif.
Le texte se situe donc entre rupture et continuité vis-à-vis du droit de la fonction publique. Rupture, tout d’abord, car il marque l’engagement du législateur dans la lutte contre la désertification médicale, puisque le dispositif ouvre la mise à disposition à des entités de droit privé à but lucratif. Continuité, ensuite, dès lors que le texte adopté en commission maintient bien le lien consubstantiel unissant l’agent mis à disposition et le service public, en conditionnant la mise à disposition à la participation à la permanence des soins ambulatoires.
L’objectif de ce texte, madame la ministre, mes chers collègues, est de proposer un accompagnement humain articulé avec les différents dispositifs existants pour aider ponctuellement l’installation de médecins en zones sous-denses.
La plupart des dispositifs existants pour lutter contre la désertification médicale se concentrent sur l’appui financier et logistique aux nouveaux arrivants. Ces dispositifs, s’ils sont une composante essentielle pour revitaliser l’attractivité médicale, ne doivent pas éclipser l’accompagnement humain du médecin libéral dans les semaines suivant son arrivée dans un nouveau territoire, qui demeure un angle mort des politiques conduites jusqu’à présent.
Pourtant, si l’on veut éviter qu’un médecin nouvellement installé ne plie bagage précocement, il convient de ne pas le laisser livré à lui-même lors de ses premiers mois d’exercice, au moment où il a besoin d’appui pour accomplir des démarches d’installation chronophages et des tâches administratives. Ces dernières, qui occupent une part importante du temps des médecins, sont démultipliées, à l’arrivée dans un nouveau territoire, par la constitution d’une nouvelle patientèle.
Le fait de pouvoir partager, voire déléguer une partie de cette charge administrative à un agent mis à disposition répondrait aux préoccupations légitimes des médecins en la matière et pourrait contribuer à lever une barrière à l’installation.
L’aide apportée pourrait également répondre à des contraintes organisationnelles. Exercer la médecine dans un nouveau territoire, dont on ne connaît ni les caractéristiques ni l’écosystème professionnel, peut relever de la gageure, à plus forte raison pour les médecins étrangers.
En effet, les représentants des professions médicales que nous avons auditionnés se sont montrés intéressés par la possibilité offerte au nouveau médecin de recourir à des fonctionnaires territoriaux, qui pourront faciliter la coordination avec les autres professionnels de santé du territoire lors des premiers mois d’installation.
La rémunération du fonctionnaire mis à disposition sera versée par l’administration d’origine, puis remboursée dans les conditions fixées par la convention de mise à disposition. Les salaires du personnel mis à disposition feront obligatoirement, je le répète, l’objet d’un remboursement intégral par l’entité bénéficiaire. À terme, le dispositif est donc neutre pour les finances des collectivités.
Dès lors, ce texte, s’il devait être voté, n’alimenterait pas une quelconque forme de concurrence financière délétère entre collectivités, comme le craignaient certains élus auditionnés. Les personnels mis à disposition pourraient être des agents de municipaux, intercommunaux ou départementaux, qui seraient chargés de l’accueil de la patientèle, de la gestion administrative – classement de dossiers, saisie de documents dans le dossier médical partagé, etc. – et de la coordination avec les autres professionnels paramédicaux.
Ces derniers, qu’ils soient infirmiers, kinés, orthophonistes, pédicures, etc. ont besoin de prescriptions dans le cadre de leur travail auprès du patient. Ainsi, la réception de demandes ou la transmission de documents entre professionnels de santé sont journaliers.
De même, les agents pourront informer les personnes en salle d’attente au cas où le médecin aurait dû s’absenter pour prescrire des soins urgents non programmés. Ils pourront parfois même prendre des rendez-vous auprès de médecins spécialistes.
Ce personnel mis à disposition travaillera bien souvent à mi-temps et de manière temporaire – trois mois renouvelables deux fois – afin que le médecin arrivant trouve ses marques et puisse recruter son propre personnel. À cet égard, ce texte, loin de faire doublon avec les dispositifs existants, notamment celui des assistants médicaux, en est le complément.
Le fonctionnaire mis à disposition a vocation à passer le témoin à un assistant médical ou à un secrétaire médical, qui sera recruté sous un contrat de droit privé par le médecin. Ce dernier aura simplement bénéficié ponctuellement d’un accompagnement personnalisé à son arrivée.
Cette proposition de loi ouvre donc une possibilité, dont pourront se saisir les collectivités qui le souhaiteront. À ceux qui estiment que les communes ne disposent pas de moyens humains ou financiers suffisants pour le faire, je rappelle que le dispositif proposé est bien sûr facultatif et qu’il est remboursé.
Au reste, les collectivités se sont pleinement saisies de l’ensemble des potentialités que leur offre, à date, la loi en matière de santé : elles se sont montrées innovantes en étant à l’origine de 23 % des créations de centres de santé à activité médicale. Elles ont également été pragmatiques et volontaristes, en mettant des locaux à disposition auprès des médecins qui s’y installeraient et en leur proposant des aides financières.
Mes chers collègues, madame la ministre, cette proposition de loi ne résoudra pas le problème de la désertification médicale.