Monsieur le ministre, vous en avez vous-même fait le constat : la crise agricole que nous traversons est la plus grave depuis trente ans et a atteint une ampleur rarement observée jusqu’alors. Nous devrions d’ailleurs dire « les crises », au regard de la diversité des filières touchées. Que ce soient le lait, le porc, les céréales, les fruits et légumes, la viticulture, toutes ces productions sont aujourd’hui durement malmenées.
De son côté, la filière avicole, après plusieurs années très difficiles, et malgré une légère amélioration de sa situation, est toujours en panne d’investissement ; le non-renouvellement du parc de bâtiments sera fatalement pénalisant dans l’avenir.
Personne n’est donc épargné.
Chaque situation de crise, nous le savons, bouleverse le paysage et se traduit par des disparitions d’exploitations et de nouvelles concentrations. L’exemple des producteurs de lait illustre parfaitement l’inquiétude qui frappe les agriculteurs. D’après une évaluation des centres de gestion bretons, 20 % d’entre eux sont aujourd’hui au bord du gouffre. Les difficultés, aggravées localement par l’incertitude qui plane sur l’avenir des producteurs d’Entremont Alliance, engendrent des tensions au sein de la filière dont nul ne souhaite qu’elles conduisent à des dérapages.
L’inquiétude est partagée par les salariés, trop souvent oubliés, de l’industrie agroalimentaire : la restructuration en cours aboutira à la suppression de nombreux emplois. Déjà, entre 2007 et 2008, 1 200 suppressions ont été constatées dans les entreprises Gastronome, Doux et Unicopa ; dans le secteur de la salaison, Aoste a fermé son site de Saint-Étienne. Et ce ne sont là que quelques exemples parmi bien d’autres.
Il y a également lieu d’évoquer les menaces de licenciements dans les entreprises de services liées à l’agriculture, telles que les entreprises artisanales de construction, les centres de gestion, les coopératives. À l’inquiétude des exploitants répond celle des salariés. En conséquence, la crise change de nature : d’économique, elle devient sociale.
Dans le secteur du lait, la réorganisation de la filière pourrait aboutir à la concentration en quatre ou cinq grands groupes de transformation et en autant de bassins de production. Elle ne sera d’ailleurs pas sans incidence sur les territoires et sur leur aménagement, entraînant la désertification agricole de vastes régions où la masse critique de la production ne serait plus atteinte pour maintenir la collecte. Aucun élu du monde rural, quel qu’il soit, ne peut envisager une telle perspective d’abandon.
Les conséquences environnementales devront aussi être prises en compte. La concentration des activités impliquera localement leur intensification et une plus grande pression sur les milieux naturels. On exigera d’autres rendements des parcelles agricoles, ce qui poussera les agriculteurs à redimensionner leurs exploitations. Cette évolution de l’agriculture ira-t-elle dans le sens des dispositions du Grenelle de l’environnement, prônant, notamment, la réduction des produits phytosanitaires, le respect de la qualité de l’eau ou la mise en place d’une agriculture plus responsable avec la certification environnementale des exploitations ?
En cette période de crise, toutes les productions sont touchées.
C’est ainsi que les producteurs légumiers, eux aussi, nous interpellent. La profession s’est fortement structurée et organisée, au moins dans certaines régions, afin de s’adapter au marché et à ses fluctuations. Ses responsables, néanmoins, s’interrogent sur d’éventuelles distorsions de concurrence liées à une moindre application de la réglementation phytosanitaire concernant des importations en provenance de pays tiers. À cet égard, ils sont expressément demandeurs d’une réglementation européenne s’appliquant de façon homogène à tous les pays producteurs, sans exception, ce que ne sauraient démentir les consommateurs.
Monsieur le ministre, vous nous présentez un projet de budget en trompe-l’œil, malgré les modifications apportées par l’Assemblée nationale, qui nous paraît en deçà des attentes suscitées par les circonstances graves que nous connaissons. Le contexte actuel aurait justifié un engagement et une anticipation plus déterminés de l’État dans divers champs de son action. Or les crédits de l’action 13 « Appui au renouvellement et à la modernisation des exploitations agricoles » régressent, tout comme ceux de l’action 14 « Gestion équilibrée et durable des territoires ».
Quant à ceux qui auraient pu agir sur le long terme, cela a déjà été souligné, ils sont réduits de façon drastique. Ainsi enregistre-t-on une diminution de 43 % des crédits affectés au plan de modernisation des bâtiments d’élevage, de 12 % des crédits alloués aux programmes de maîtrise des pollutions d’origine agricole, les PMPOA, et de 13, 8 % des crédits consacrés aux investissements stratégiques des industries agroalimentaires.
Comment alors envisager la sortie de crise et préparer l’avenir si l’on n’aide pas les producteurs, laitiers en particulier depuis la fin annoncée des quotas, à faire face aux conditions du marché international ?
Quant au traitement de la crise elle-même, le plan de soutien de 650 millions d’euros d’intervention d’urgence, décidé au mois d’octobre dernier, peine à être opérationnel. Or une meilleure réactivité avait pu être constatée en d’autres circonstances.
Ce projet de budget apporte des palliatifs à des producteurs et à des productions en grandes difficultés. Si les agriculteurs doivent recevoir des réponses ponctuelles aux problèmes du moment, il leur faut aussi des réponses de long terme. Quand viendront les solutions pérennes ? Quelles mesures dignes de constituer un vrai plan de relance pour l’agriculture comportera le projet de loi de modernisation en préparation ?
Au plus fort de la crise financière, le Gouvernement s’est mis en capacité de réagir afin de soutenir le secteur bancaire, en allant, ce faisant, à l’encontre de la doctrine libérale, au motif que ce dernier est un vecteur de l’économie.
L’agriculture est une activité économique essentielle à la sécurité alimentaire, à l’aménagement du territoire national, ainsi qu’à l’emploi. Cela nous ramène à une question : quel modèle d’agriculture voulons-nous réellement promouvoir demain ? Monsieur le ministre, il est urgent d’y apporter une réponse, tant le malaise est aujourd’hui profond.