Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je me réjouis que le Gouvernement n’ait pas engagé la procédure accélérée sur cette proposition de loi d’Isabelle Santiago, ce qui nous permettra de travailler dans la durée sur un sujet éminemment complexe : la question de l’autorité parentale en cas de violences intrafamiliales. Je tiens aussi à féliciter notre collègue députée d’avoir travaillé sur cette question.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à intervenir ponctuellement sur deux mécanismes : la suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale, créée par la loi du 28 décembre 2019, et le retrait de l’autorité parentale par les juridictions pénales.
Pour bien comprendre les enjeux de ces dispositions, il convient de garder à l’esprit que le retrait de l’autorité parentale prive un parent de l’ensemble de ses attributs, y compris les plus symboliques comme le droit de consentir au mariage ou celui de consentir à l’adoption de son enfant. C’est donc la titularité même qui est mise en cause.
Le retrait de l’exercice de l’autorité parentale revient, quant à lui, à confier exclusivement à l’autre parent le soin de veiller sur l’enfant et de prendre les décisions nécessaires pour sa santé, son éducation, etc. Pour autant, l’autre parent conserve le droit d’entretenir des relations personnelles avec l’enfant via les droits de visite et d’hébergement qui lui sont accordés, sauf « motifs graves » appréciés par le JAF. Il conserve aussi un droit de surveillance qui oblige l’autre parent à le tenir informé de tous les choix importants relatifs à la vie de l’enfant.
Cela étant rappelé, venons-en à la proposition de loi dont nous sommes saisis.
L’article 1er vise tout d’abord à étendre la suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement aux cas de poursuites ou de condamnation pour un crime ou une agression sexuelle incestueuse commis sur l’enfant. La commission a été favorable à cette extension qui permet de prendre en compte la situation de l’enfant et non pas seulement celle de l’autre parent, se conformant ainsi aux souhaits de la Ciivise.
L’article 1er tend également à revoir les conditions de durée : au lieu d’une durée maximale de six mois et d’une obligation pour le procureur de la République de saisir le JAF dans les huit jours, la suspension courrait jusqu’à la décision de non-lieu, la décision de la juridiction de jugement ou la décision du juge aux affaires familiales, s’il est saisi par le parent poursuivi.
Sur cette question, la commission a choisi de s’en tenir à la position qu’elle avait adoptée en 2020 lorsqu’elle avait été saisie d’amendements similaires, en acceptant une suspension de plein droit, mais uniquement pour six mois, et en exigeant une intervention du juge pour la suite.
Il nous semble en effet disproportionné, au regard de la présomption d’innocence et du droit de chacun de mener une vie familiale normale, de permettre une suspension automatique tout le temps de la procédure pénale, qui peut durer plusieurs années, et sans intervention obligatoire d’un juge, seul à même d’apprécier l’intérêt de l’enfant.
Enfin, les députés ont créé un régime de suspension distinct en cas de condamnation pour des violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de plus de huit jours sur l’autre parent. Le texte vise à prévoir dans ce cas une suspension provisoire de l’autorité parentale, mais uniquement si l’enfant a assisté aux faits. La suspension vaudrait jusqu’à la décision du JAF, qui devrait être saisi par l’un des parents dans les six mois à compter de la décision pénale. À défaut, le parent retrouverait l’exercice de l’autorité parentale.
Ce dispositif ne nous a pas semblé cohérent à cause de la condition liée à la présence de l’enfant – car un enfant, même non présent au moment des violences, peut tout autant ressentir la souffrance et l’insécurité –, et à cause de l’exclusion des violences volontaires sur l’enfant lui-même.
Enfin, ce dispositif nous a semblé manquer d’intérêt pratique puisque les juridictions doivent d’ores et déjà se prononcer sur l’autorité parentale en cas de condamnation pour cette infraction. Je relève que les magistrats sont de plus en plus sensibilisés à l’importance des mesures relatives à l’autorité parentale et que le nombre de mesures prononcées augmente, ce dont on ne peut que se réjouir.
L’article 2 de la proposition de loi vise ensuite à rendre plus « automatique », sans toutefois l’imposer au juge pénal, le retrait de l’autorité parentale en cas de condamnation pour un crime ou une agression sexuelle commis sur l’enfant ou pour un crime commis sur l’autre parent.
Cette disposition a le mérite d’inciter plus fortement les juges à prononcer un retrait total d’autorité parentale en cas d’infraction grave contre l’enfant ou l’autre parent, sans toutefois les priver de leur liberté de moduler leur décision au regard de l’intérêt de l’enfant, à charge pour eux de la motiver spécialement.
La commission des lois en a revu la rédaction afin de rendre le dispositif plus intelligible, et donc d’en favoriser l’application par les juridictions pénales. Elle a posé le principe du retrait total de l’autorité parentale en cas de condamnation pour un crime ou une agression sexuelle commis sur l’enfant ou pour un crime commis sur l’autre parent, et l’obligation des juridictions de se prononcer dans tous les cas de condamnation d’un parent pour crime ou délit commis sur son enfant ou pour crime commis sur l’autre parent.
Nous aurons tout à l’heure un débat sur cette rédaction : celle que nous avons choisie a le mérite de la vérité puisqu’elle expose clairement que le juge conserve malgré tout, sous réserve d’une motivation spéciale, la possibilité de ne pas prononcer le retrait total de l’autorité parentale. Les formules du type « prononce le retrait » ou « ordonne le retrait » nous semblent de ce point de vue relever davantage de l’affichage…
L’article 2 bis de la proposition de loi vise ensuite à ajouter un nouveau cas de délégation forcée de l’exercice de l’autorité parentale à un tiers en cas de poursuite, de mise en examen ou de condamnation pour un crime ou une agression sexuelle incestueuse commis sur l’enfant par un parent qui est seul titulaire de l’exercice de l’autorité parentale. La commission y a apporté un simple ajustement rédactionnel.
La commission a adopté un article additionnel 2 ter pour instituer un « répit » pour l’enfant en cas de retrait de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement. Il tend à prévoir qu’aucune demande au juge aux affaires familiales ne puisse être présentée par le parent moins de six mois après le jugement. Une disposition similaire existe en cas de retrait de l’autorité parentale et il nous a semblé opportun de le prévoir aussi en matière d’exercice.
J’en arrive à l’article 3, qui vise à procéder à diverses modifications dans le code pénal, à des fins de coordination avec l’article 2.
Cet article nous a semblé l’occasion de mettre fin au décalage qui existe entre le code civil et le code pénal en matière de retrait de l’autorité parentale. La rédaction proposée introduirait une disposition générale dans le code pénal, applicable à chaque fois qu’il y a condamnation d’un parent pour crime ou délit sur la personne de son enfant ou l’autre parent.
La commission s’est attachée à rendre les dispositions dont elle était saisie plus intelligibles et plus cohérentes, étant consciente qu’il fallait faciliter le travail des pénalistes pour qu’ils s’emparent de ces mécanismes de nature civile. C’est dans cet esprit constructif qu’elle a adopté le texte que je vous invite à voter.
Nous avons besoin de bonnes lois, mais aussi d’une volonté politique absolue et de moyens dans les juridictions. C’est à ce prix que nous pourrons protéger les plus fragiles et infléchir ce monde de violence.
Nous devons tous être des protecteurs de l’enfance et des guetteurs de violence. Car cette violence au sein de la famille empêche un enfant, tout simplement, de vivre.