Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Réunion du 21 mars 2023 à 14h30
Violences intrafamiliales — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, 400 000 enfants vivent aujourd’hui dans un foyer où s’exercent des violences intrafamiliales, et un enfant en meurt tous les cinq jours. Par ailleurs, plus de 160 000 enfants sont victimes chaque année de violences sexuelles, selon un rapport de plusieurs inspections datant de 2018.

Ces chiffres sont éloquents, mais ils sont d’une tout autre ampleur dans les territoires d’outre-mer. Dans une étude de 2017, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) rapportait que les violences intrafamiliales étaient plus fréquentes et plus graves outre-mer qu’en métropole, et ce en raison de l’insularité et de la faible superficie de certains territoires, qui peuvent entraver la libération de la parole et rendre inopérant l’éloignement du conjoint violent ou le choix d’un lieu anonyme pour être accueilli et écouté sans crainte. Plus récemment, un bilan du ministère de l’intérieur révélait qu’à Mayotte, ces violences avaient augmenté entre 2021 et 2022.

L’un des enjeux de la lutte contre les violences intrafamiliales est de mieux reconnaître la souffrance des enfants qui en sont victimes et de les protéger. Nous savons aujourd’hui que les traumatismes répétés qu’ils subissent peuvent déclencher diverses maladies et être un facteur de reproduction de violences à l’âge adulte.

Aussi, dans le prolongement du Grenelle des violences conjugales, lancé par le Gouvernement le 3 septembre 2019, le Parlement avait adopté deux lois prévoyant le renforcement des pouvoirs du juge pour retirer l’autorité parentale ou son exercice au parent violent, et pour protéger l’enfant et le parent victime.

Tout d’abord, la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a notamment créé un mécanisme de suspension provisoire de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement du parent poursuivi ou condamné, même non définitivement, pour un crime commis sur l’autre parent.

Ensuite, la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a, entre autres dispositions, ajouté les délits commis sur l’autre parent à la liste des infractions pouvant fonder une décision de retrait de l’autorité parentale par le juge pénal.

Pour traiter ces violences, notre arsenal juridique s’est, certes, considérablement renforcé ces dernières années, mais il reste encore perfectible.

Le présent texte, qui s’inspire des recommandations de la Ciivise, s’inscrit dans cette optique et prévoit la mise en place de mécanismes automatiques de retrait ou de suspension de l’autorité parentale, ou de son exercice, lorsque le parent est poursuivi, mis en examen ou condamné pour les infractions les plus graves commises sur son enfant ou sur l’autre parent.

Depuis son dépôt, des modifications substantielles ont été apportées au texte, toujours dans un esprit transpartisan et dans le cadre d’un travail de coconstruction avec le Gouvernement, qui a fait de la protection des mineurs exposés aux violences intrafamiliales une priorité absolue de sa politique pénale.

Entièrement réécrite par l’Assemblée nationale, qui l’a adoptée à l’unanimité, cette proposition de loi prévoyait plus précisément d’élargir les cas de suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement : premièrement, jusqu’à la décision du JAF éventuellement saisi par le parent poursuivi ou jusqu’à la décision de non-lieu ou la décision de la juridiction de jugement en cas de poursuite, mise en examen ou condamnation pour un crime commis sur l’autre parent, ou de crime ou agression sexuelle incestueuse commis sur l’enfant ; deuxièmement, jusqu’à la décision du JAF qui devrait être saisi par l’un des parents dans les six mois à compter de la décision pénale en cas de condamnation, même non définitive, pour des violences volontaires ayant entraîné une ITT de plus de huit jours, lorsque l’enfant a assisté aux faits.

La proposition de loi prévoyait également le retrait systématique de l’autorité parentale ou de l’exercice de l’autorité parentale en cas de condamnation pour crime ou agression sexuelle incestueuse sur l’enfant ou pour crime sur l’autre parent, sauf si le juge en décidait autrement, à charge pour lui de motiver spécialement ce choix.

Par ailleurs, elle ajoutait un nouveau cas de délégation forcée de l’exercice de l’autorité parentale à un tiers en cas de poursuite, de mise en examen ou de condamnation pour un crime ou une agression sexuelle incestueuse commis sur l’enfant par un parent, seul titulaire de l’exercice de l’autorité parentale.

Sur l’initiative de notre rapporteur, Marie Mercier, dont je tiens à souligner la qualité du travail, notre commission a choisi de réserver le déclenchement du mécanisme de suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale et des droits de visite et d’hébergement aux crimes et agressions sexuelles incestueuses commis sur la personne de l’enfant.

Nous approuvons cette position, mais il nous semble indispensable de prévoir le retrait de plein droit de l’autorité parentale ou de son exercice et des droits de visite et d’hébergement en cas de condamnation d’un parent pour ce même type d’infraction commise sur son enfant ou pour un crime commis sur l’autre parent.

Nous vous présenterons, au cours de la discussion, trois amendements visant à concrétiser le plus fidèlement possible les recommandations de la Ciivise et à sécuriser la portée du dispositif.

Au-delà de ces aménagements qui, je l’espère, recueilleront votre assentiment, nous débattrons dans les heures qui viennent d’un texte équilibré, tenant compte de la nécessité de protéger l’enfant et de préserver les relations familiales et des liens d’attachement. Voilà pourquoi le groupe RDPI, que je représente, votera en faveur de son adoption.

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