Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission « Sécurité », cela ne fait nul doute, est au cœur des problématiques de société les plus actuelles, non pas seulement sur notre territoire, mais aussi, de façon plus large et plus globale, bien au-delà des frontières européennes. Chaque pays cherche à appliquer à ces phénomènes, avec sa culture, ses traditions, ses appareils juridiques, sa propre conception de la sécurité.
Je voudrais pouvoir me féliciter de l’application, au pays des droits de l’homme, d’une politique équilibrée, généreuse, forte des valeurs de respect de la dignité de tout un chacun. Ce vœu me paraît être pleinement partagé, mais sa mise en œuvre trouve des voies divergentes.
En premier lieu, je veux relever, monsieur le ministre, la détermination de votre administration à donner une meilleure cohérence et, dès lors, une meilleure efficience aux structures.
La fusion entre la Direction de la surveillance du territoire et les Renseignements généraux, par exemple, est effective à l’échelon central, même si, dans les départements et les régions, il semble bien que chacun cherche encore à définir son nouveau cœur de métier.
Le rapprochement – vous m’aviez reprise, monsieur le ministre, lorsque j’avais utilisé de façon erronée le mot « fusion » – entre police et gendarmerie s’est opéré sans grand retentissement. Il est vrai que la police et la gendarmerie avaient pris, depuis plusieurs années déjà, l’habitude de mieux coopérer, selon une meilleure complémentarité, dans leurs domaines communs d’intervention. La loi du 3 août dernier, dont on peut regretter la promulgation tardive, ne faisait en fait que rendre effectives les mesures arrêtées dans la loi de finances de 2009.
La réorganisation en cours des structures de police à Paris et dans les départements de la petite couronne vient conclure une réflexion depuis longtemps engagée et qui a pour mérite de s’adapter aux nouvelles modalités de la délinquance.
Comment ne pas se satisfaire, également, du retour de ce que l’on appelait, dans les années 1997-2002, la police de proximité, et qui a été rebaptisée « unités territoriales de quartier » ? Aujourd'hui comme hier, les policiers affectés à ces entités ont pour mission de développer la connaissance des quartiers et de leur population, et de créer des liens de confiance.
En deuxième lieu, je voudrais saluer les efforts faits par votre ministère pour donner, tant à la police qu’à la gendarmerie, les moyens techniques modernes nécessaires pour assurer leurs missions : développement de la vidéosurveillance, équipement des voitures de patrouille pour participer à la lutte contre la criminalité routière, amélioration des capacités d’investigation par l’utilisation de nouvelles technologies, renouvellement du parc automobile et du parc de motos… Autant d’outils qui améliorent le fonctionnement des services, mais aussi qui se voient et donnent une meilleure image de la police à l’extérieur.
Mais, en troisième lieu – il faut bien, monsieur le ministre, que j’en vienne à ce « mais » –, le budget de la mission « Sécurité » est-il à la hauteur de vos ambitions ?
Je mesure pleinement les contorsions auxquelles donne lieu l’élaboration du budget de l’État et j’imagine qu’aucun ministre n’accepte de gaité de cœur de voir brider ses moyens : tous les domaines sont essentiels pour le développement harmonieux de notre territoire. C’est notamment le cas de la sécurité, mais l’augmentation de 1, 3 % des crédits de paiement qui y sont affectés par rapport à l’exercice 2009 est bien faible rapportée à des projets qui impliquent, avant tout, la mobilisation des hommes.
Tout d’abord, comment concilier le principe de réduction des effectifs inscrit dans la RGPP avec la nécessité de déployer, dans le même temps, des moyens nouveaux pour faire fonctionner les unités territoriales de quartier, les compagnies de sécurisation des banlieues, la nouvelle police d’agglomération, les brigades de protection des familles ? Dans ce contexte, la suppression de plus de 2 600 emplois de policier ou de gendarme est très durement ressentie au sein des services.
Ensuite, ces projets nécessitent le développement de tous les moyens technologiques adaptés aux nouvelles formes de délinquance. Le déploiement du réseau de radiocommunication ACROPOL, qui a connu bien des vicissitudes, arrive à cet égard fort opportunément, moyennant 8 millions d'euros supplémentaires. C’est l’outil incontournable pour permettre à la police et à la gendarmerie, mais aussi aux services départementaux d’incendie et de secours et aux services d’aide médicale urgente, de bénéficier d’un degré de sécurisation optimal de leurs moyens de communication.
Les services de police ne disposent pas encore des moyens embarqués leur permettant de consulter efficacement les fichiers des contrevenants aux règles de la sécurité routière. Pourtant, les atteintes à cette sécurité-là constituent bien un des plus grands fléaux pour notre pays.
Parmi les nouvelles formes de délinquance, je ne voudrais pas manquer de citer la cybercriminalité.
Police et gendarmerie ont créé des services d’enquête adaptés à la traque des dévoiements de l’utilisation d’internet, outil dont on ne saurait nier l’intérêt. Mais, pour faire rendre raison à d’ingénieux criminels qui détournent l’outil informatique de sa vocation, il faut des hommes formés, ingénieux eux aussi et dotés de moyens performants. Quels moyens ont été réservés à cette mission, monsieur le ministre ?
Je pourrais bien entendu allonger la liste des domaines dans lesquels les besoins de financement sont criants, mais je suis sûre que vous disposez déjà de cette liste, sur laquelle vous avez dû cocher des priorités, « au cas où », et que vous saurez défendre vos ambitions.
Je voudrais, en dernier lieu, évoquer non pas tant des chiffres que des comportements, des habitudes de gestion, des modes de réflexion, et en particulier l’utilisation des statistiques. Qui pourrait nier que l’on fait dire aux statistiques ce que l’on veut, comme on le veut et quand on le veut ? Sur ce point, les statistiques de la délinquance sont éclairantes. La façon dont on « entre » les données, l’interprétation que l’on donne des notions de « fait constaté » et de « fait élucidé », l’importance accordée aux diverses catégories d’infractions, les outils statistiques utilisés, qu’ils appartiennent à la police ou à la gendarmerie : autant d’éléments qui peuvent jeter la suspicion sur les résultats présentés.
Je ne peux donc que me féliciter de ce que la collecte, la mise en cohérence et l’harmonisation des statistiques de la délinquance aient été confiées à l’Observatoire national de la délinquance. Je ne peux que me féliciter, également, de la volonté de cet observatoire de partager et d’échanger les analyses avec les autres administrations de l’État, en particulier l’éducation nationale. Je me demande, néanmoins, s’il n’y aurait pas intérêt à donner à cet instrument d’analyse un véritable statut indépendant, qui le mettrait à l’abri des critiques.
Les fichiers sont une autre source de préoccupation. Certes, ce thème est récurrent, mais il faut bien admettre que depuis l’affaire du trop fameux fichier EDVIGE, la vigilance est de mise. Nous sommes tous attachés à notre sécurité, mais aussi à notre liberté ; d’où les débats sur la vidéosurveillance, opportunément rebaptisée « vidéo-protection ». La multiplication des fichiers de police pose problème : ils étaient au nombre de cinquante-huit, l’an dernier ; on en compte sans doute soixante aujourd’hui. Ces fichiers, nous les voudrions tous nécessaires, tous opérants, mais pas tous interopérables ! C’est la raison pour laquelle nous sommes nombreux à nous interroger sur les protections juridiques à mettre en œuvre avant toute création de fichier. Je sais que ce problème fait aujourd’hui débat, et je suis de celles et de ceux qui souhaitent ardemment que l’on sorte d’un flou nuisible aux valeurs républicaines de liberté et de justice.