Intervention de Marta de Cidrac

Réunion du 21 mars 2023 à 14h30
Fusion des filières rep d'emballages ménagers et de papier — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Marta de CidracMarta de Cidrac :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, pour celles et ceux qui étaient présents dans cet hémicycle à l’automne 2019 pour débattre de la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, l’échange que nous aurons ce jour aura, à l’évidence, un goût de déjà-vu.

En effet, il y a quatre ans environ, nous avions dans cet hémicycle largement complété la copie proposée par le Gouvernement, afin notamment de renforcer la responsabilité élargie des producteurs, une application du principe pollueur-payeur qui permet de transférer le coût de la prévention et la gestion des déchets aux producteurs.

Pour les filières couvertes par le service public de gestion des déchets géré par les collectivités territoriales, la responsabilité élargie des producteurs se traduit par un soutien financier des producteurs aux collectivités territoriales via des contributions financières transitant par un éco-organisme.

Il y a quatre ans, le deal de la loi Agec était très clair. Oui, les collectivités territoriales doivent améliorer la prévention et la gestion des déchets, en modernisant leurs centres de tri, en mettant en place la collecte séparée des biodéchets ou encore en développant la collecte hors foyer ; mais ces politiques ont un coût. La loi Agec prévoyait donc de renforcer la responsabilité élargie des producteurs pour que l’amélioration de notre politique d’économie circulaire pèse non pas exclusivement sur le contribuable local, en aval, mais aussi sur le producteur, en amont.

Nous avons donc créé de nouvelles REP, par exemple sur les produits et matériaux de construction ou sur les articles de bricolage, de jardinage et de sport. Nous avons aussi étendu des REP existantes : une REP emballages professionnels a par exemple été créée pour compléter la REP emballages ménagers.

Le sens de l’Histoire était donc celui de la montée en puissance des filières REP, concomitante de celle du service public de gestion des déchets.

Les choses se sont depuis quelque peu déréglées, car la mise en place ou l’extension des REP a pris du retard et même de manière importante dans le cas de la REP bâtiment, pourtant très attendue dans nos territoires pour lutter contre les dépôts sauvages.

Les contraintes sur les collectivités territoriales n’ont, quant à elles, pas été reportées. Pendant que les REP tardaient à se mettre en place, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) a continué d’augmenter et les investissements en matière de tri des biodéchets ou de modernisation des centres de tri n’ont pas été retardés.

C’est dans ce contexte qu’est arrivée la proposition de loi dont nous débattons ce soir. N’ayons pas peur des mots : ce texte est la goutte d’eau qui fait déborder le vase pour nos collectivités territoriales.

Le volet le plus problématique n’est pas celui qui est relatif à la fusion des filières REP emballages ménagers et papier, à laquelle notre commission est favorable et qui ne constitue pas le cœur du texte dont nous sommes saisis ; il porte sur la sortie de la presse de la REP.

Disons-le clairement : exclure la presse de la REP, comme le prévoyait la proposition de loi initiale, revient à faire payer, une fois de plus, les collectivités territoriales. Je rappelle que tout ce qui n’est pas pris en charge par les metteurs sur le marché doit être financé par les contribuables locaux.

J’entends déjà ceux qui estiment que le manque à gagner pour le service public de gestion des déchets est limité – une vingtaine de millions d’euros – et pourrait être facilement absorbé par les collectivités.

Je répondrai que sortir la presse de la REP pourrait constituer un dangereux précédent susceptible d’affaiblir l’ensemble des REP et, partant, le financement du service public de gestion des déchets. Ce serait en effet la première fois dans l’histoire de ce système, né en France dans les années 1990 et ayant essaimé partout en Europe, qu’un gisement serait retiré de la REP. D’autres secteurs pourraient à l’exemple de ce premier régime d’exception demander des aménagements et des exonérations pour l’avenir, au détriment des collectivités territoriales et de la protection de l’environnement.

Nous ne pouvons pas accepter une telle régression environnementale et une telle atteinte au service public de gestion des déchets géré par nos collectivités territoriales.

Cela étant dit, nous nous devons d’apporter une réponse au secteur de la presse, qui est actuellement en grande difficulté. Je le dis ici avec fermeté, comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire avec mes collègues sénateurs de la commission de la culture, en premier lieu desquels le président Lafon et Michel Laugier, avec qui j’ai beaucoup échangé lors de mes travaux préparatoires.

Je salue à cet égard le travail de Michel Laugier, dont le récent rapport a mis en exergue les difficultés conjoncturelles et structurelles auxquelles fait face la presse, notamment notre presse quotidienne régionale : doublement du prix du papier en un an, augmentation des coûts de l’énergie et diminution structurelle des ventes de la presse papier de 5 % par an. Nous nous devons d’aider la presse, cela est certain.

Fallait-il, pour autant, le faire aux dépens des collectivités territoriales, au risque de fragiliser le bel édifice que constitue la loi Agec, matrice de notre politique d’économie circulaire ? Bien évidemment, la réponse est non.

Le Gouvernement avait d’autres options pour concilier protection du service public de gestion des déchets et préservation du secteur de la presse. Il n’a tout simplement pas voulu les étudier.

La première option était que l’État prenne sa responsabilité en aidant le secteur de la presse à payer son écocontribution à compter du 1er janvier 2023. Il ne l’a pas fait.

La seconde option, c’est celle que la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a adoptée la semaine passée.

Le texte issu des travaux de notre commission maintient en effet la presse dans le champ de la REP, mais en permettant de moduler les contributions financières de la filière REP pour les produits contribuant à une information du public d’intérêt général sur la prévention et la gestion des déchets, notamment par la mise à disposition gratuite d’encarts, sous réserve de respecter des critères de performance environnementale fixés par décret. Cette modulation des contributions sous forme de prime pourra pleinement bénéficier aux publications de presse.

Les avantages de cette proposition sont nombreux. Elle préserve l’intégrité de la REP en maintenant la presse en son sein. Elle est financièrement neutre pour le service public de gestion des déchets, car les primes versées devront être compensées par la filière REP. Elle offre enfin des garanties environnementales, en conditionnant l’octroi des primes à l’atteinte de critères de performance environnementale. Elle répond enfin clairement aux préoccupations du secteur de la presse, qui pourra continuer à utiliser le système existant des encarts.

Cette option avait d’ailleurs été envisagée par les services ministériels au cours des travaux préparatoires à la loi Agec que j’avais menés il y a quatre ans.

Cette proposition me semble plus robuste juridiquement que la convention de partenariat hors REP qui était proposée dans le texte initial. Contrairement à la proposition faite par les députés, nous nous appuyons en effet sur un outil bien connu, appliqué dans l’ensemble des filières REP : la modulation des écocontributions. Le législateur peut tout à fait créer des critères d’écomodulation qui ne sont pas spécifiquement prévus par le droit européen et qui n’ont pas trait à l’écoconception du produit : c’est par exemple le choix que nous avions fait dans la loi Agec, en créant un critère d’écomodulation pour les produits ayant une visée publicitaire ou promotionnelle.

Je suis consciente que ce choix est moins confortable pour le Gouvernement que ce qui est proposé dans le texte initial, car il devra en assumer les conséquences et mettre en œuvre les modulations proposées au sein de la filière REP. Il eût sans doute été plus confortable pour lui de laisser le législateur assumer seul la responsabilité de faire payer les collectivités territoriales.

Vous l’aurez compris, ma priorité est d’abord de préserver les filières REP pour protéger le service public de gestion des déchets et nos collectivités territoriales. Elle est ensuite d’aider la presse, en lui apportant une réponse proportionnée pour faire face aux difficultés auxquelles elle fait face. Tel est le chemin de crête que notre commission a emprunté la semaine passée. Mes chers collègues, je vous propose maintenant de l’emprunter à votre tour.

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