Intervention de Joël Bigot

Réunion du 21 mars 2023 à 21h30
Fusion des filières rep d'emballages ménagers et de papier — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Joël BigotJoël Bigot :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi Agec a refondé certains principes de l’économie circulaire, tout en renforçant la responsabilité des metteurs sur le marché dans la gestion des déchets, de la création du produit à sa fin de vie. En réaffirmant haut et fort le principe du pollueur-payeur, le Sénat s’est inscrit dans les enjeux de notre siècle, soucieux de l’impact environnemental de la production de biens.

Cependant, bon nombre de filières REP peinent encore à voir le jour en dépit de l’entrée en vigueur de celles-ci au 1er janvier 2023. Je pense par exemple à la REP bâtiment, à la REP jeux et jouets ou encore à la REP textile.

Autre dispositif imposé par la loi Agec qui nous intéresse ici : la fin du régime dérogatoire ouvert à la presse en 2015, qui lui permettait de contribuer sous la forme de prestations en nature et non par le versement d’une écocontribution.

Ainsi, en l’état du droit, depuis le 1er janvier 2023, le versement de l’écocontribution doit obligatoirement avoir un caractère financier pour la presse écrite.

C’est le point nodal de cette proposition de loi, qui vise à exempter la presse de cette écocontribution par la réintroduction d’un régime dérogatoire en raison des difficultés économiques rencontrées par ce secteur d’activité. Il s’agit de permettre à un secteur de déroger à un principe encore jeune et imparfaitement appliqué par les industriels.

Acter cette exemption crée un précédent fâcheux, qui, mécaniquement, suscitera d’autres demandes émanant de secteurs fragiles au sein d’autres REP, voire d’acteurs issus de la REP papier, comme l’industrie papetière, qui traverse une importante crise en continuant malgré tout à payer son écocontribution.

En reculant sur le principe du pollueur-payeur, c’est donc un mauvais signal que nous risquons d’envoyer au secteur économique dans son ensemble. Il est donc nécessaire de bien circonscrire cette exemption à la seule et unique presse.

Selon les experts que nous avons auditionnés préalablement, le manque à gagner est estimé entre 15 millions et 20 millions d’euros, ce qui aurait un impact financier sur les collectivités territoriales chargées de la collecte, du tri et du recyclage des papiers par le biais du bac jaune.

Défenseurs du service public des déchets, nous souhaitons profiter de ce débat pour mettre l’État devant ses responsabilités. Exempter purement et simplement la presse écrite ou tout autre acteur n’est pas une solution pérenne, car cela fragilise à court terme nos filières REP. Si le Gouvernement estime que les spécificités du secteur de la presse écrite justifient une telle exemption au principe général du pollueur-payeur, il faut qu’il prenne ses responsabilités. Il doit prendre en charge le coût de cette décision et, en aucun cas, ne doit la faire peser sur les autres contributeurs de la future REP fusionnée.

Deuxième point dur de ce texte : la fusion des deux REP papier et emballages ménagers.

Cette mutualisation des filières n’est pas demandée par les acteurs concernés. Je demeure dubitatif quant à cette simplification effectuée sans concertation, sachant que les deux cahiers des charges sont d’ores et déjà en vigueur, qu’ils sont utiles aux acteurs et qu’ils coexisteraient dans une filière unifiée.

Ainsi, nous tenterons lors du débat de préserver la distinction entre les deux flux financiers, supprimée par la rapporteure, afin de prendre en compte les spécificités de ces deux filières, ainsi que la différence importante de leurs poids financiers, allant du simple au décuple.

Nous pouvons tout de même saluer les efforts de la rapporteure Marta de Cidrac qui, lors des travaux de notre commission, a démontré sa volonté de trouver un consensus acceptable par l’ensemble des parties, même si des zones d’ombre persistent.

En effet, le dispositif retenu des écomodulations renvoie à un décret et, in fine, à la responsabilité de l’État : c’est donc au Gouvernement de décider.

Par ailleurs, la rapporteure a choisi de confier à l’éco-organisme le soin d’accorder ou non ces primes en fonction du futur cadre fixé dans le décret.

Mais mon inquiétude vis-à-vis de cette nouvelle écriture réside dans la porte laissée ouverte à l’ensemble des metteurs sur le marché de la filière REP, et pas seulement à la presse écrite. Avec cette boîte de Pandore qui reste entrouverte, le risque est d’aboutir à une multiplication des régimes d’exception pour des motifs conjoncturels.

Je préfère la solution d’une convention tripartite entre l’éco-organisme agréé, les collectivités territoriales et les entreprises concernées, afin de permettre au secteur de la presse de payer son écocontribution pour tout ou partie en nature, sous la forme d’encarts publicitaires visant à favoriser les écogestes et le recyclage.

S’il faut protéger le secteur de la presse, qui traverse bel et bien une crise difficile, assurons-nous, mes chers collègues, de bien circonscrire cette exemption pour garantir le respect du principe du pollueur-payeur qui nous rassemble et pour rester en conformité avec la loi Agec que nous avons votée à l’unanimité ici même.

Cette précision permettra de marquer notre volonté commune de ménager, à la fois, la presse écrite et le service public de gestion des déchets, auquel nous sommes tous très attachés sur ces travées.

En raison des éléments que je viens d’indiquer, notre groupe s’abstiendra sur ce texte.

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