Intervention de Didier Marie

Commission des affaires européennes — Réunion du 29 mars 2023 à 14h00
Marché intérieur économie finances fiscalité — Instrument du marché unique pour les situations d'urgence - examen de la proposition de résolution européenne

Photo de Didier MarieDidier Marie, rapporteur :

Lors de la crise sanitaire, des mesures de restriction de la libre circulation des biens, des services et des personnes ont été décidées unilatéralement par les États membres, dans l'urgence et sans aucune coordination. Il en est résulté une fragmentation du marché unique, qui a entraîné de graves difficultés en matière d'approvisionnement et d'accès aux services, sans oublier les conséquences pour les citoyens, familles et travailleurs, en particulier dans les zones frontalières.

Les effets de la crise ukrainienne ont en outre montré les vulnérabilités du marché unique et de ses chaînes d'approvisionnement en situation d'urgence.

Plusieurs instruments juridiques européens ciblés permettent de répondre à certaines crises : le mécanisme de protection civile et son centre de coordination de la réaction d'urgence (ERCC), ou encore le dispositif intégré de l'UE pour une réaction au niveau politique dans les situations de crise, Integrated Political Crisis Response (IPCR), qui a été activé lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Des mécanismes sectoriels sont également prévus et sont en cours de renforcement, en particulier en matière de médicaments et de dispositifs médicaux, secteur suivi par nos collègues Pascale Gruny et Laurence Harribey.

Depuis la crise sanitaire, la Commission a en outre créé un mécanisme européen de préparation et de réaction aux crises de sécurité alimentaire, qui s'est réuni pour la première fois en mars 2022 pour examiner les incidences de la hausse des prix de l'énergie et des intrants et les conséquences de l'invasion de l'Ukraine par la Russie sur l'approvisionnement et la sécurité alimentaires.

Ces instruments ne permettent toutefois pas d'appréhender globalement et de manière coordonnée les situations d'urgence susceptibles d'avoir un fort impact sur le marché unique. C'est pourquoi, dès octobre 2020, le Conseil européen a souhaité que soient tirés les enseignements des dysfonctionnements et insuffisances constatés lors de la pandémie de covid-19. La Commission européenne a annoncé une initiative en la matière, dans son programme de travail pour 2022 présenté en mai 2021, initiative qu'elle a formalisée le 19 septembre 2022 dans une proposition de règlement établissant un instrument d'urgence pour le marché unique (IUMU) ou, plus souvent en anglais, Single Market Emergency Instrument (SMEI).

Fondé sur l'article 114, relatif au marché intérieur, l'article 21, sur la libre circulation des personnes et l'article 45, qui porte sur la libre circulation des travailleurs, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'instrument vise à préserver, dans des situations d'urgence à venir, la libre circulation des biens, des services et des personnes, ainsi que l'accès aux biens et services essentiels, dans l'intérêt des consommateurs et des entreprises de l'UE, ainsi qu'à renforcer la résilience du marché intérieur.

Il prévoit une architecture de gestion de crise à trois niveaux comportant : un cadre permanent de planification des mesures d'urgence, un cadre pour le mode « situation d'alerte pour le marché unique » et un cadre pour le mode « situation d'urgence pour le marché unique ».

De manière générale, l'opportunité de la mise en place d'un tel instrument n'est ni contestable ni d'ailleurs contestée. Mais ce nouvel instrument juridique présente plusieurs zones d'ombre - je pense en particulier à l'imprécision des notions sur lesquelles il prend appui.

Les différents interlocuteurs que nous avons rencontrés nous ont fait part de leurs préoccupations à cet égard, qu'il s'agisse de la Représentation permanente et du secrétariat général des affaires européennes (SGAE) côté français, des représentants des entreprises européennes, en particulier des PME, ou des syndicats européens.

Le premier sujet de préoccupation concerne la définition même de la notion de crise sur le marché intérieur, qui justifie le déclenchement des modes alerte ou urgence, ou encore celle des biens et services d'importance stratégique en cas de crise.

La proposition de règlement précise ainsi qu'une crise est « un événement exceptionnel, inattendu et soudain, naturel ou d'origine humaine, qui se produit à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union ». Il est en outre indiqué qu'un tel événement peut avoir un double impact sur le marché intérieur : l'apparition d'obstacles à la liberté de circulation, qui portent atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur et l'amplification des pénuries de produits et services pertinents, dans un marché fragmenté qui ne fonctionne pas.

Il en résulte une rupture des chaînes d'approvisionnement et donc des difficultés pour les entreprises à obtenir, fournir ou vendre des biens et services. Les consommateurs peuvent alors perdre l'accès à des produits et des services clés pour le fonctionnement du marché intérieur dans des domaines stratégiques et qui ne peuvent être remplacés par d'autres. L'absence d'informations peut exacerber les conséquences de ces dysfonctionnements, en particulier pour les personnes en situation économique fragile.

Cette définition est très générale et le périmètre n'en est pas défini. Nous vous proposons donc de demander que soient introduits des critères d'appréciation de l'existence d'une crise sur le marché intérieur. Il nous paraît en outre souhaitable d'expliciter le fait qu'une situation de crise ne saurait résulter de la mise en oeuvre du droit de négociation et d'actions collectives. Comme rappelé dans le considérant 36 du texte proposé par la Commission, ce droit est en effet protégé par la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et son exercice ne saurait être considéré comme susceptible de constituer une crise au sens du règlement. C'est un sujet de préoccupation pour les syndicats européens, qui, lors de notre entretien, nous ont fait part de leur crainte qu'une action collective légalement menée puisse être assimilée à une crise.

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