Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par une digression. Puisque nous allons passer le reste de cette séance à parler de l’école et de ce qui l’entoure, et alors que nous aimerions que celle-ci soit un sanctuaire préservé des violences de notre société, je tiens à rappeler que, la semaine dernière, ce sont les violences policières qui se sont invitées devant un lycée de Conflans-Sainte-Honorine. (Marques d ’ agacement sur les travées du groupe Les Républicains.) Un élève a été plaqué au sol par quatre policiers, menotté et emmené au commissariat, puis relâché sans poursuites, pendant que d’autres élèves étaient menacés par des agents les visant avec des flashballs.
Nous aurions aimé, monsieur le ministre, une réaction de votre part devant cet usage manifestement disproportionné de la force.
Mais revenons au sujet du présent débat. Nous sommes aujourd’hui réunis pour débattre d’un fléau national : le harcèlement scolaire. Ce n’est pas la première fois – loin de là ! –, mais il convient à nouveau de faire état des chiffres pour bien mesurer l’ampleur du phénomène.
D’après le rapport de la mission d’information portée par nos collègues sénatrices Colette Mélot et Sabine Van Heghe, la situation est absolument dramatique. Entre 800 000 et 1 million d’enfants en sont victimes chaque année, ce qui représente deux à trois élèves par classe. Et 6 à 10 % des élèves y font face au moins une fois durant leur scolarité.
Ce qui fait du harcèlement scolaire une menace et une souffrance particulièrement difficile à vivre et à cerner, c’est qu’il ne se cantonne pas aux enceintes des écoles. Le harcèlement rattrape les élèves jusque dans leur foyer via les réseaux sociaux et toute la sphère numérique. Le cycle des violences ne s’arrête jamais. Les victimes ne connaissent aucune pause, aucun répit dans leur souffrance, ce qui échappe à la sphère parentale tout en ayant parfois lieu au sein du domicile.
Il convient de s’attaquer aux causes. De nombreux élèves sont harcelés en raison de leur genre, de leur handicap, de leur couleur de peau ou de leur orientation sexuelle. Les conséquences sont parfois terribles, définitives, inacceptables. En janvier dernier, le suicide de Lucas, 13 ans, harcelé en raison de son homosexualité, montre à quel point l’homophobie et la discrimination continuent de tuer.
À la rentrée 2022, le programme de lutte contre le harcèlement scolaire pHARe, qui prévoit notamment différentes actions de prévention et de sensibilisation, a été généralisé à l’ensemble des écoles élémentaires et des collèges.
Monsieur le ministre, vous affirmiez en novembre dernier – et vous venez de le répéter – que ce programme avait obtenu d’excellents résultats. Nous aimerions vous croire sur parole, mais nous avons en ce moment un problème avec la sincérité de la parole de l’ensemble du Gouvernement.
Sur quels critères, sur quels éléments, vous basez-vous ? Alors que le programme pHARe prévoit un mécanisme d’évaluation, aucune étude détaillée n’a jamais été communiquée publiquement. De leur côté, plusieurs associations et syndicats pointent du doigt de nombreux dysfonctionnements : déploiement inégal du programme pHARe sur le territoire, formations superficielles, absence de communication sur les numéros d’urgence, manque cruel de moyens humains et financiers… Le collège du jeune Lucas, qui s’est ôté la vie, avait d’ailleurs mis en place ce dispositif, en vain.
Le manque de moyens humains et financiers dédiés à la lutte contre le harcèlement scolaire va au-delà du programme pHARe.
Prenons l’exemple de la médecine scolaire. J’alertais déjà sur ce point l’année dernière, au moment de l’examen de la proposition de loi sur le harcèlement scolaire. L’état de la médecine scolaire dans notre pays est un scandale.
Il y a dans notre pays environ 900 médecins scolaires et 7 700 infirmiers et infirmières scolaires pour 12, 5 millions d’élèves, soit un médecin pour 14 000 élèves et un infirmier ou infirmière pour 1 600 élèves. Cela représente une chute des effectifs de près de 15 % en cinq ans.
La pandémie n’a pas été un déclic : le « quoi qu’il en coûte » s’est arrêté à la porte de l’école. Voilà des professionnels, au contact des élèves, qui pourraient identifier les situations à risque, engager le dialogue et alerter. Mais avec des moyens humains aussi dérisoires, il nous est impossible de leur confier ces missions.
Enfin, vous avez récemment annoncé, monsieur le ministre, plusieurs mesures contre les LGBTphobies à l’école comme le déploiement de campagnes de sensibilisation et la généralisation d’observatoires de lutte contre ces attitudes. C’est une première étape que je salue, mais qui est loin d’être suffisante pour endiguer le fléau des discriminations LGBTphobes à l’école. Je m’interroge également quant aux moyens qui seront dédiés à ces dispositifs et à leur pérennité.
Comment lutter efficacement contre le harcèlement scolaire LGBTphobe si les moyens mis en place ne sont pas à la hauteur des enjeux ?
Nous le savons, il n’y a pas de solutions simples pour lutter contre le fléau protéiforme du harcèlement scolaire. Nous avons bien conscience que les solutions sont multiples, au croisement de l’école et de la société qui l’entoure. Mais il faut passer à la vitesse supérieure.
Investir davantage dans la lutte contre le harcèlement scolaire, que ce soit au travers de la médecine scolaire ou des politiques de prévention contre la montée des haines, c’est investir dans l’apaisement de l’école et de la société en général. Il y va de notre responsabilité.