Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à remercier Patrick Chaize pour le dépôt de cette proposition de loi, qui a le mérite de nous permettre de débattre d'une politique publique remarquable : le plan France Très Haut Débit, dont nous célébrons cette année le dixième anniversaire.
Cela m'offre l'occasion de rappeler à quel point ce plan est un succès français : nous sommes passés d'un million de foyers éligibles à la fibre en 2013 à 8 millions en 2017 et à 34 millions en 2022, faisant de la France le pays d'Europe le plus avancé en matière de déploiement de cette technologie.
Il s'agit sans doute du programme d'investissement le plus ambitieux et le plus important depuis le début du siècle : 34 milliards d'euros lui ont été consacrés, dont 65 % ont été pris en charge par le secteur privé, 25 % par les collectivités territoriales et 10 % par l'État.
C'est également l'un des chantiers industriels les plus ambitieux et les plus importants depuis le début du siècle, qui a mobilisé plus de 40 000 agents sur l'ensemble du territoire pour déployer des millions de prises de fibre optique. Ce succès est vraisemblablement dû à un accord intelligent trouvé il y a dix ans entre l'État, les collectivités et les opérateurs.
Pour autant, ce que je viens de dire ne correspond pas au ressenti de certains de nos concitoyens. Comme le souligne la proposition de loi de Patrick Chaize, des problèmes de qualité très significatifs empoisonnent leur quotidien, en les empêchant d'être raccordés à la fibre ou en leur infligeant des coupures.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 20 000 notifications ont été inscrites sur le site de l'Arcep l'année dernière, et des témoignages de problèmes de qualité liés à la fibre sont relayés dans les journaux chaque semaine. Il suffit d'aller à la rencontre de nos concitoyens pour prendre la mesure de leur exaspération quant à ces aléas.
Où se situe la responsabilité de ces difficultés ?
Il convient d'abord d'examiner les acteurs en cause : d'un côté, les opérateurs d'infrastructure, qui déploient les réseaux, notamment jusqu'au point de mutualisation, et de l'autre, les opérateurs commerciaux, qui assurent le branchement au dernier kilomètre, en vertu du mode Stoc. Chacun rejette la faute sur l'autre.
Cependant, dans plus de 90 % des cas, les problèmes sont dus aux opérateurs d'infrastructure, en particulier à des réseaux très accidentogènes, souvent conçus à une époque antérieure au plan France Très Haut Débit, rendant le raccordement des foyers difficile et les exposant à des risques de coupures ou de défaillances. Cela permet de rendre compte de l'immense majorité des problèmes liés à la fibre.
Voilà pourquoi j'ai demandé il y a six mois aux opérateurs d'infrastructure dans les territoires où les réseaux sont les plus accidentogènes, de me présenter, ainsi qu'à l'Arcep, un plan de reprise complète de ces réseaux.
Ces plans ont été présentés pour 450 000 locaux et commencent à être déployés ; les opérateurs d'infrastructures sont en train de reconstruire les réseaux. Sur les 450 000 prises concernées, 23 000 ont été révisées à ce stade. C'est encore peu, mais une fois ces plans achevés dans des territoires comme le Calvados, la Seine-Maritime ou l'Essonne, nous aurons résolu une partie importante du problème.
Dans leur minorité, les problèmes sont liés aux opérateurs commerciaux. C'est là le sujet de la proposition de loi que nous allons discuter. En raison de la rapidité des déploiements et de problèmes de responsabilité en cas de défaillance, qui ont bien été identifiés par l'auteur de la proposition de loi, il existe des situations de débranchements ou de coupures sauvages : les sous-traitants des opérateurs commerciaux se présentent devant une armoire pour opérer le raccordement d'un client dans des temps très contraints et le font de manière non appropriée ou au détriment d'usagers déjà raccordés.
Pour résoudre cette minorité de problèmes de qualité de la fibre, on serait tenté de remettre en question l'organisation du déploiement entre opérateurs d'infrastructure et opérateurs commerciaux, que l'on appelle le mode Stoc. Depuis une décision de l'Arcep de 2015, l'opérateur d'infrastructures a, certes, la responsabilité de la qualité du réseau de bout en bout jusqu'au domicile, mais il ne peut pas s'opposer à ce que l'opérateur commercial installe le dernier kilomètre, en lien avec son client, sauf s'il le fait dans des conditions de qualité dégradées.
Le mode Stoc présente des inconvénients et des avantages. Son inconvénient majeur est que, lorsque survient une défaillance ou une coupure, l'opérateur commercial, en charge du dernier kilomètre, et l'opérateur d'infrastructures se renvoient la balle, ce qui retarde l'attribution des responsabilités et la réparation du dommage causé à l'usager. Il s'agit donc de résoudre cette difficulté relative à l'attribution des responsabilités.
Pour autant, les avantages du mode Stoc ont sans doute contribué à la rapidité du déploiement des réseaux de fibre optique sur l'ensemble du territoire. Cette technique offre de la simplicité pour l'usager, qui n'a qu'un seul interlocuteur pour son abonnement et son raccordement : son opérateur commercial.
De surcroît, la concurrence entre les opérateurs commerciaux pour raccorder au plus vite leurs clients a également contribué à la rapidité de déploiement du plan France Très Haut Débit.
Le Gouvernement, qui accueille les débats sur ces sujets, n'entend pas supprimer le mode Stoc, mais plutôt le corriger. Supprimer cet équilibre entraînerait en effet la réécriture d'un certain nombre de contrats, ce qui retarderait d'autant le déploiement du plan France Très Haut Débit, alors que l'objectif est plutôt de l'accélérer.
De plus, cela pourrait soulever des questions d'équité concurrentielle, car les opérateurs d'infrastructure pourraient être tentés de privilégier les clients de certains opérateurs commerciaux plutôt que d'autres, en raison de liens capitalistiques existants.
Cependant, il est nécessaire de le corriger. Si le Gouvernement propose des amendements sur les trois premiers articles de cette proposition de loi, sur lesquels son avis est réservé, il accueille très favorablement les articles 4 et 5. Ceux-ci renforcent les pouvoirs de l'Arcep pour sanctionner les opérateurs commerciaux qui ne respectent pas leurs responsabilités, et améliorent la protection des usagers lorsque leur accès à la fibre est interrompu pendant une trop longue période.
Les amendements portés par la rapporteure, concernant en particulier les certificats de conformité ou de non-raccordement, vont également dans le sens d'une amélioration du mode Stoc pour le rendre plus opérant. L'objectif est d'arriver à la fin du plan France Très Haut Débit, dont l'horizon n'est plus si lointain.
Il est essentiel d'y parvenir : l'étape suivante consistera à décommissionner le réseau cuivre, qui coûte cher à entretenir et présente des coûts environnementaux et énergétiques significatifs. Pour ce faire, il est essentiel que chacun puisse accéder au très haut débit, en particulier à la fibre, dans les meilleures conditions. Aujourd'hui, 80 % des Français y sont éligibles, l'objectif est d'atteindre 100 % à l'horizon 2025.
Les corrections qui seront apportées au mode Stoc aujourd'hui et durant la navette sont donc bienvenues pour atteindre cet objectif d'aménagement numérique des territoires et d'égal accès pour tous les citoyens aux possibilités ouvertes dans la société par l'économie numérique.