Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec ses aspects techniques et l'imaginaire futuriste auquel il renvoie, le tout-numérique fait l'objet de critiques parfois légitimes, en particulier les installations et la couverture réseau.
Alors que la presse grand public évoque désormais régulièrement les avancées de l'intelligence artificielle et les potentialités positives comme négatives qui s'ouvrent à nous, le haut débit se fait encore attendre pour une partie de nos concitoyens.
L'objectif de nous voir toutes et tous connectés se heurte à celui de la rentabilité et à la politique du chiffre, qui provoque de nombreux désagréments sur le terrain.
Malfaçons, raccordements ratés, débranchements intempestifs : les collectivités et les usagers font face à de lourdes difficultés lorsqu'il s'agit de désigner un responsable à ces manquements. Selon l'Avicca, qui regroupe les collectivités engagées dans le numérique, près de 75 % des raccordements réalisés en mode Stoc présentent des défauts. Le phénomène n'est pas nouveau et les appels à la vigilance des opérateurs sont récurrents, mais les contrats Stoc V1, V2 et V3 n'y ont rien changé.
La proposition de loi que nous examinons a le mérite, dans un contexte où les usagers, les installateurs ou les installations font l'objet d'un mauvais traitement, de mieux encadrer le déploiement par les opérateurs privés jusqu'alors guidés par la rentabilité, la quantité des foyers raccordés primant sur la qualité du réseau.
Je salue le travail de nos collègues Patrick Chaize et Patricia Demas, qui posent des limites à une forme de désordre que nous avons constatée dans nos départements. Ainsi, dans les zones rurales, dites « zones peu denses », on a parfois dû déployer un réseau d'initiative publique, faute de manifestations d'intérêt de la part des opérateurs privés, par défaut de rentabilité, et consacrer en conséquence un budget important au déploiement du haut débit.
Dans mon département, le coût d'un tel programme s'est élevé à 500 millions d'euros. Même si nous avons bénéficié d'un soutien de la part de l'État, 74 millions d'euros restent à la charge de la collectivité départementale.
La forte hausse du nombre des alertes constatées par l'Arcep en 2022 est révélatrice des difficultés rencontrées par les utilisateurs. La médiatrice des communications électroniques évoquait « les naufragés de la fibre » dans un rapport de 2021, en soulignant les dysfonctionnements occasionnés par des installations bâclées.
Alors que le réseau cuivre, dit « réseau historique » d'Orange, devrait être démantelé d'ici à 2030, il est légitime d'exiger des opérateurs des garanties afin de permettre le basculement vers la fibre dans les meilleures conditions pour les usagers.
La sous-traitance, qui devait être dérogatoire pour le raccordement final de la fibre au domicile, est devenue la règle, nous l'avons constaté. Or c'est précisément cette sous-traitance en cascade qui provoque des désordres sur le terrain. Les cadences imposées nuisent non seulement aux installations, mais aussi parfois à la sécurité des installateurs, souvent mal formés.
Je pense aux sous-traitants des sous-traitants, à celles et à ceux qui subissent une forme d'ubérisation qui les pousse à réaliser toujours plus de raccordements, sans en avoir véritablement les moyens, et qui sont surtout mal rémunérés.
La mise en place d'un guichet unique pour assurer la prise en charge des difficultés sur le terrain, d'un certificat de conformité sur le modèle des raccordements au gaz, et d'un contrat de sous-traitance élaboré par l'opérateur d'infrastructure et soumis à l'Arcep, participent des améliorations nécessaires et susceptibles de corriger la situation existante.
Les droits des consommateurs sont par ailleurs renforcés – c'est important – et des sanctions sont prévues en cas d'interruption du service.
Cette proposition de loi pourrait aller plus loin en remettant en cause le modèle même du déploiement de la fibre. Je pense notamment à ce que nous avons su faire pour nos réseaux de télécommunications historiques ou pour celui du gaz et de l'électricité – permettez-moi d'y penser ! ERDF, GRDF ou France Télécom : ces noms résonnent comme des vestiges après tant d'années de déstructuration et de privatisation !
Les opérateurs publics sont pourtant des gages de réussite, de durabilité et d'efficacité pour un déploiement qui est avant tout un enjeu d'intérêt général, avant d'être une source de profit.
À l'heure où nous donnons au numérique une place de plus en plus importante dans nos vies, où la dématérialisation poursuit son chemin, y compris en matière de services publics, cette proposition de loi, grâce aux objectifs qu'elle affiche, participe de la réduction de la fracture numérique, alors que l'on sait que 13 millions de nos concitoyens sont en situation d'illectronisme.
Parce que ce texte permettra une amélioration concrète, visible et attendue sur le terrain, le groupe CRCE le votera.