Intervention de Bernard Buis

Réunion du 4 mai 2023 à 10h30
Comment rendre possible le retour en ukraine des enfants déportés en fédération de russie — Débat organisé à la demande du groupe rassemblement des démocrates progressistes et indépendants

Photo de Bernard BuisBernard Buis :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur l'ambassadeur, mes chers collègues, la simple évocation du mot « déportation » réveille dans notre esprit et dans l'imaginaire collectif le terrifiant spectre des heures les plus sombres de notre humanité.

Il y a quelques décennies seulement, des millions d'individus innocents étaient déportés et exterminés pour une raison aussi simple qu'épouvantable, à savoir qu'ils étaient juifs.

Aujourd'hui, comme une irrémédiable rengaine historique, le même type d'exactions insoutenables est perpétré contre les enfants ukrainiens lors de leurs déplacements contraints et forcés en Russie.

En effet, le Gouvernement ukrainien déplore la déportation de 19 384 mineurs, soit au moins autant de familles déchirées et de mères brisées par la disparition de leur raison de vivre, de la chair de leur chair. Seuls 361 enfants ont réussi à échapper aux griffes de l'aigle bicéphale grâce aux opérations menées par les ONG.

L'université de Yale dénombre dans son rapport au moins 43 camps – devrait-on les nommer camps de concentration ? –, répartis sur l'ensemble du territoire russe ou contrôlés par la Russie. À cela, il faut ajouter un triste bilan : 500 enfants ont été tués et 1 000 blessés, endeuillant un pays déjà meurtri dans son cœur.

Mes chers collègues, nous le comprenons tous aisément, les 7, 5 millions d'enfants ukrainiens présents dans le pays avant l'éclatement de la guerre sont les tristes victimes collatérales d'un conflit qui s'éternise, au grand dam d'une population dont les plaies ouvertes par une telle barbarie ne cicatriseront jamais totalement.

Peut-on parler de crimes d'agression ? Indéniablement ! Peut-on parler de crimes de guerre ? Oui, à n'en pas douter ! Réjouissons-nous que les instances internationales et ukrainiennes se soient dès le début appliquées à réunir les preuves des crimes commis par les Russes en Ukraine.

Que dire ensuite des qualifications de crimes contre l'humanité, voire de génocide ?

La notion de génocide est à manipuler avec une certaine prudence, raison pour laquelle il nous faut en discuter.

Amorcée par de nombreux juristes, la discussion tourne aujourd'hui au débat juridique. Les juges trancheront un jour la question, mais je note que l'ancien Garde des Sceaux, maître Robert Badinter, considère que « cette forme insidieuse de déportation des enfants ukrainiens vers la Russie [est] une forme de génocide culturel ».

Les actions de l'armée russe en Ukraine témoignent donc, en réalité, d'une intention de détruire et d'humilier la population civile, d'écraser leur identité et leur intégrité.

Au-delà du droit, au-delà des qualifications juridiques du droit pénal international, il est avant tout question de vies humaines. Face aux tortures que sont les déportations, les conséquences de celles-ci sur les vies humaines sont en réalité dramatiques. Si les déportations des enfants de tout âge causent des dégâts multiples, celles des nourrissons ukrainiens risquent d'entraîner pour eux des séquelles psychologiques irréversibles. Et pour cause : imaginons que le conflit s'enlise encore pendant plusieurs années…

Comment rendre possible le retour en Ukraine des enfants déportés en Fédération de Russie si ces mêmes enfants grandissent ailleurs que dans leur pays natal, sans pouvoir s'identifier comme étant Ukrainiens, sans repères ni souvenirs ? Admettons que la situation déjà sidérante à laquelle nous faisons face s'aggrave davantage, ce serait alors toute une nation qui se retrouverait privée d'une partie de ses enfants.

Face à de tels risques, l'action n'est plus une option ! Je ne reprendrai pas à mon compte l'ensemble des critiques formulées dans cet hémicycle contre les instances internationales que sont l'ONU et l'Unicef, mais je dois également reconnaître que je m'interroge. Si l'action de l'Unicef déçoit, est-ce pour autant de sa responsabilité ?

Autrement dit, la situation actuelle ne doit-elle pas nous conduire à repenser le fonctionnement et l'articulation avec l'ONU de cette instance mondialement reconnue ?

Depuis sa création le 24 octobre 1945, chaque fois qu'un événement a eu des conséquences tragiques pour les enfants dans le monde, l'Unicef s'est engagée en agissant sur le terrain de manière concrète et incontestable.

Mais dans la guerre entamée depuis plus d'un an en Ukraine, guerre qui, malheureusement, figurera peut-être demain dans nos livres d'histoire comme étant l'un des conflits majeurs du XXIe siècle, force est de constater que l'action de l'Unicef devrait être renforcée. C'est pour atteindre cet objectif, dans l'intérêt des enfants, qu'ils soient ukrainiens aujourd'hui ou d'une autre nationalité dans les affrontements de demain, que la question de la réforme de l'ONU se pose inévitablement à nous.

Alors que les acteurs du conflit en Ukraine ont incité hier à l'escalade en appelant à « éliminer » le président ukrainien Volodymyr Zelensky en représailles à une attaque présumée de drones contre le Kremlin, imputée par Moscou à Kiev qui, de son côté, nie toute implication, nous devons préparer le moment où le dictateur Vladimir Poutine et ses complices seront traduits en justice.

Comme le souligne l'auteur Raoul Marc Jennar « si les historiens révèlent des faits, les juges, eux, doivent examiner les intentions, rechercher les mobiles, analyser les modalités d'exécution, identifier et entendre les auteurs directs et indirects ainsi que les victimes ».

Pour reprendre les récents mots de maître Robert Badinter lors de la présentation de son dernier ouvrage, « nous avons le devoir de préparer le jugement d'hommes comme Poutine et de réunir toutes les preuves à cette fin ».

Je salue l'implication d'André Gattolin sur ce sujet et je le remercie d'avoir demandé l'inscription de ce débat à l'ordre du jour de notre assemblée.

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