Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le mardi 28 mars 2023 fera date dans l'histoire bancaire française. En effet, des perquisitions ont eu lieu dans pas moins de cinq grandes banques. Cette opération, la plus importante menée par le parquet national financier de toute son histoire, intervient dans le cadre d'enquêtes ouvertes pour fraude fiscale aggravée et blanchiment aggravé de fraude fiscale.
Bien que les investigations soient toujours en cours, ces mises en examen montrent l'importance présumée des fraudes fiscales aux dividendes sur le sol français. En effet, BNP Paribas et la Société Générale, sociétés visées par ces perquisitions, représentent à elles seules 61 millions de clients selon le site Statista.
Mes chers collègues, face à un tel séisme, revenons d'abord sur la définition de la fraude aux dividendes. Derrière cette appellation, aux origines diverses et protégées, la manipulation entraînant cette fraude fiscale aux dividendes se nomme le CumCum, une expression qui signifie « arbitrage de dividendes ».
Le principe est le suivant : un investisseur non-résident qui détient des actions d'une entreprise cotée en France transfère temporairement, vers la date de versement du dividende, la propriété de ses titres à un établissement bancaire français. Les banques étant domiciliées en France, elles ne sont pas soumises à cet impôt qui concerne les étrangers. L'actionnaire récupère ensuite son titre une fois le dividende versé, mais il faut préciser une chose importante : il est exonéré d'impôt.
Par d'ailleurs, nous pouvons mettre le doigt sur un autre phénomène qui constitue lui aussi une fraude fiscale aux dividendes : il se nomme le CumEx. Cette pratique a été mise en lumière en octobre 2018 grâce à une enquête menée par un groupe de médias internationaux, intitulée CumEx Files. Le principe de cette opération consiste à s'échanger, entre investisseurs, la même action autour de la date de paiement du dividende. Cette action entraîne une confusion dans l'administration fiscale qui ne parvient pas à déterminer le véritable bénéficiaire du dividende : chacun reçoit ainsi une attestation fiscale au titre de l'impôt sur les revenus du capital, pourtant payé une seule fois.
D'après la même enquête, la fraude aux dividendes aurait coûté au moins 33 milliards d'euros de recettes fiscales à la France entre 2000 et 2020.
Nous comprenons donc clairement que les acteurs concernés par cette fraude profitent d'un vide juridique.
Le problème étant maintenant identifié, plusieurs questions se posent à nous : quelle réponse législative et/ou réglementaire y apporter, à l'échelle de la France, à l'échelle européenne et internationale ? Avec quel calendrier et avec quels partenaires ?
Car, comme toujours dès qu'il s'agit de lutter contre les fraudes, la coopération est une des clefs de l'efficacité ! Or, si nous voulons justement gagner en efficacité demain, nous devons bien évidemment trouver des partenaires, qui, jusqu'à présent, n'ont pas souhaité le devenir.
Et si nous ne pouvons pas convaincre tous les pays de nous rejoindre dans ce combat contre la fraude aux dividendes, peut-être pourrions-nous les y contraindre encore davantage que ce qui a été fait jusqu'à présent.
Mais une question demeure : comment, concrètement ?
Avec quels leviers pouvons-nous établir un rapport de force avec les pays qui, aujourd'hui, sont indéniablement silencieux, voire dans une certaine mesure complices de telles pratiques ?
Mes chers collègues, si nous reconnaissons que des réponses à l'échelle européenne ou internationale sont complexes et délicates à mettre en œuvre, il n'en demeure pas moins que nous pouvons d'ores et déjà apporter une réponse au vide juridique existant au sein de notre droit positif français.
Je me rappelle les débats que nous avions eus lors de l'examen des projets de loi de finances en 2019 et en 2022. Je me souviens notamment du dispositif initialement proposé par notre collègue Albéric de Montgolfier, repris par le rapporteur général Jean-François Husson.
Les schémas abusifs s'appuient sur des opérations de prêt ou de cession de titres, qui sont des opérations très courantes de couverture de position et font partie de l'activité normale des marchés, en France comme ailleurs. Il convient donc de ne cibler que les situations abusives dans lesquelles le non-résident évite délibérément la retenue à la source sur les dividendes.
Sur le plan international, l'instrument multilatéral Base Erosion and Profit Shifting (BEPS), ou érosion de la base d'imposition et transfert de bénéfices, qui a été ratifié en 2018, vient progressivement modifier nos conventions.
Dans quelle mesure cet instrument permet-il précisément de remettre en cause les avantages des conventions en cas d'usage abusif, et notamment de treaty shopping ?
Le treaty shopping, appelé aussi « chalandage de traités », désigne la pratique des investisseurs qui cherchent délibérément à bénéficier de la protection plus avantageuse d'un traité bilatéral d'investissement (TBI) signé entre un État dont ils n'ont pas la nationalité et l'État hôte dans lequel ils ont investi.
Bien évidemment, je ne suis pas le seul à le penser : j'espère que le plan antifraudes que vous présenterez bientôt, monsieur le ministre, permettra de gagner en efficacité pour endiguer ce phénomène mondial.
Car, au fond, lutter contre les fraudes, c'est agir sur bien d'autres aspects tout aussi importants pour notre démocratie. En luttant contre les fraudes sous toutes leurs formes, nous agissons pour restaurer la confiance de nos concitoyens dans l'action publique.
En ces temps où notre administration et nos institutions sont sans cesse remises en cause, tantôt à juste titre, tantôt injustement, je crois, mes chers collègues, qu'un tel combat est crucial. Tellement crucial qu'il doit être l'une de nos boussoles. C'est une priorité pour le Président de la République et, en tant que parlementaire, je poursuivrai mon engagement en ce sens.