Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2013, l’État s’était engagé à couvrir intégralement notre territoire en très haut débit à moyenne échéance grâce au plan France Très Haut Débit. Les objectifs fixés étaient les suivants : le raccordement de 100 % des 35 millions de logements et locaux à usage professionnel, dont 80 % en fibre optique jusqu’à l’abonné en 2022, et la généralisation de la fibre optique en 2025.
En somme, il s’agissait de faire en sorte que, d’ici à deux ans, tous les Français, notamment ceux qui habitent en zone rurale, puissent bénéficier d’une connectivité numérique performante, chez eux comme sur leur lieu de travail.
Pour rappel, il y a dix ans, le plan prévoyait initialement 20 milliards d’euros d’investissements publics et privés, dont 3, 3 milliards de subventions de l’État à destination des collectivités locales dans les zones dites « non conventionnées ».
Dans un rapport publié en janvier 2017, la Cour des comptes avait toutefois substantiellement réévalué le coût du plan à 35 milliards d’euros, et estimé que si l’objectif intermédiaire d’une couverture de 50 % du territoire était atteint, l’objectif en matière de très haut débit fixé pour 2022 semblait compromis par l’insuffisance du co-investissement privé.
Dans le cadre du plan de relance présenté en septembre 2020, le Gouvernement a amplifié son effort et mobilisé 420 millions d’euros pour soutenir les collectivités locales qui en avaient le plus besoin, n’ayant pu encore viser la généralisation de la fibre. Je pense à la Bretagne, à Mayotte et à l’Auvergne à titre d’exemples.
Quel constat faisons-nous aujourd’hui ? L’objectif d’une couverture de 80 % du territoire en fibre optique était quasi atteint au 31 décembre 2022, ce qui place la France à la tête des pays les plus fibrés en Europe.
Néanmoins, « raccordable » ne veut pas dire « raccordé » et l’on observe encore des disparités territoriales fortes entre, d’une part, les zones très denses et les zones moins denses d’initiative privée, où les taux de couverture des locaux sont respectivement de 91 % et 87 %, et, d’autre part, les zones moins denses d’initiative publique, où le taux de couverture est de 68 %. Il faut toutefois noter que ces dernières connaissent le taux de déploiement le plus dynamique, qui était de 73 % en 2022.
L’objectif d’une couverture de 100 % du territoire par la fibre en 2025 est quasi atteignable, en dépit des 670 000 locaux identifiés comme difficilement raccordables, lesquels devraient faire l’objet de mesures spécifiques et être couverts à l’horizon 2026.
S’il est incontestable que la France a mis en œuvre une dynamique puissante de déploiement de la fibre, force est aussi de constater – c’est l’objet de cette proposition de loi – que des difficultés opérationnelles sont apparues, parfois de manière intolérable, notamment pour les collectivités territoriales qui s’en sont fait l’écho.
En effet, le modèle de déploiement de la fibre repose principalement sur la sous-traitance – ce qu’on appelle le mode Stoc –, laquelle subit une forte pression sur les prix de la part des donneurs d’ordre.
Or la sous-traitance ne permet pas un contrôle optimal de la formation des techniciens chargés d’effectuer les raccordements, ce qui entraîne des malfaçons non seulement sur le réseau, mais aussi parfois sur les infrastructures situées à proximité, à l’instar des tableaux électriques ou des réseaux de gaz.
Si l’Arcep recommande un plafond de deux rangs de sous-traitance, l’Autorité indique avoir observé des opérations portant à cinq, voire à six, le nombre de rangs de sous-traitance.
Les points de mutualisation situés en pleine rue concentrent les branchements des câbles de fibre optique et les difficultés opérationnelles : entre les dégradations des armoires techniques et les débranchements sauvages, les particuliers comme les élus locaux sont nombreux à faire part de leur mécontentement. Les témoignages concernant des dégradations, des incivilités ou des malfaçons sont fréquents, autant d’actes dont les techniciens des sous-traitants sont très souvent à l’origine.
La proposition de loi que nous examinons sur l’initiative de notre collègue Patrick Chaize intervient à la suite de ces différents constats.
Notre collègue, également président de l’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (Avicca), est un fin connaisseur des questions liées à la fibre. Son expertise sur les problèmes de raccordement aux réseaux de fibre optique et d’exploitation de ces derniers, ainsi que son exigence sur la qualité de service, a constitué un éclairage qui porte déjà ses fruits.
En effet, grâce à la description alarmante de la situation en matière de raccordement des abonnés à la fibre optique effectuée dans l’exposé des motifs de la proposition de loi de juillet 2022, les acteurs de la filière ont pris pleinement conscience des difficultés rencontrées par certains usagers, de leur insatisfaction et des légitimes préoccupations des élus locaux, de même que de la vigilance des parlementaires sur ce sujet.
Face au tableau parfois sombre qui est fait du déploiement de la fibre, les opérateurs se devaient de réagir. En septembre dernier, un plan d’action a donc été décidé par les acteurs de la filière, qui repose notamment sur la prise de photos avant et après l’opération, lesquelles sont jointes au compte rendu d’intervention, et sur la remise en état des points de mutualisation.
La Fédération française des télécoms vient aussi de publier des grilles de compétences à destination des donneurs d’ordre, qu’il s’agisse des opérateurs commerciaux ou des opérateurs d’infrastructure, et de leurs prestataires. Le référentiel concernant les sous-traitants porte notamment sur la formation de leurs techniciens, sur les règles de sécurité et d’ingénierie pour les travaux optiques ou sur les bonnes pratiques lors de travaux chez le client. Ce référentiel sera en application à la fin du mois.
De la même manière, le renforcement du pouvoir de contrôle et de sanction de l’Arcep va indéniablement dans le bon sens.
À l’heure où nous examinons cette proposition de loi, ces dispositions sont mises en œuvre, mais il faudra bien évidemment un certain temps pour les évaluer correctement et pour que l’on puisse mesurer si la prise de conscience de la filière et les mesures engagées permettent de mettre fin aux dysfonctionnements dénoncés.
On pourrait nous opposer que les dispositions que nous examinons aujourd’hui risquent de ralentir le déploiement de la fibre en raison d’effets de bord préjudiciables. Les opérateurs d’infrastructure, s’ils souscrivent à l’ambition du texte, ont en effet manifesté leur crainte que certains mécanismes prévus dans cette proposition de loi ne finissent par complexifier leur tâche.
Mais nous savons bien, et cela vaut aussi pour les opérateurs, que là où il y a une volonté, il y a un chemin.
En définitive, le constat effectué dans la proposition de loi de juillet 2022 était le bon : il était clairement nécessaire. Celle-ci a d’ores et déjà produit des effets, manifestement dans le bon sens puisque le Gouvernement a obtenu un certain nombre d’engagements et de concessions de la part des opérateurs.
Il nous appartient donc de donner des signes de notre volonté d’agir. À cet égard, et même si certains peuvent juger raisonnable de laisser du temps à la filière pour poursuivre la résolution des dysfonctionnements constatés en juillet 2022, ce texte est un bel accélérateur pour faire et bien faire.
C’est pourquoi le groupe RDPI votera cette proposition de loi.