Madame la présidente, monsieur le ministre, cher Éric Bocquet, mes chers collègues, « tout est dit, et l’on vient trop tard »… Je vous dirai néanmoins quelques mots sur le sujet important de la fraude fiscale aux dividendes, qui s’est développée au niveau mondial pendant plusieurs années, jusqu’à représenter 140 milliards d’euros – peut-être le casse du siècle !
Depuis 2018, ces mécanismes d’évitement de l’impôt ont été mis au jour. La plupart des États ont légiféré afin de lutter contre les montages frauduleux, adossés à l’articulation entre législations internes et conventions fiscales internationales. Tout cela est-il suffisant ? Telle est la question qui se pose à nous.
Une autre question est celle de l’optimisation fiscale : rime-t-elle avec fraude fiscale ? La frontière entre les deux notions n’est pas toujours simple à tracer. En effet, nous dit la doctrine, un montage respectueux de la lettre de la loi, mais contraire à son esprit, ne correspond pas à de l’optimisation fiscale et peut être rejeté sur le fondement de l’abus de droit fiscal, sans compter les conséquences pénales éventuelles.
Je comptais vous parler de CumCum, de CumEx et de la démarche du Sénat, mais tout a été dit grâce aux brillants rappels de mes collègues, de même pour l’action du PNF, que je salue également.
Malgré les réformes de 2018 et de 2019, la fraude fiscale s’est poursuivie en Europe et en France. Ce phénomène massif renforce un sentiment d’opacité des activités bancaires, au détriment de l’égalité fiscale. Force est de constater que les réponses apportées par le législateur sont insuffisantes et que le secteur bancaire, sans violer directement la loi, a profité d’un encadrement trop large de ces pratiques. Sur le fondement, pour être précis, de l’abus de droit, les banques sont actuellement sous le coup de procédures diligentées par le PNF, institution à fort poids politique.
Le secteur bancaire, pour prouver sa bonne foi, peut-être par nécessité, a saisi le Conseil d’État. Légiférer à nouveau sur l’encadrement de ces pratiques emporte donc plusieurs conséquences qu’il convient de considérer.
D’abord, les marchés financiers et le système bancaire, directement au contact de la mondialisation, ont besoin de sécurité juridique afin de ne pas créer de la crainte chez les investisseurs.
Ensuite, les établissements bancaires doivent rester compétitifs face à leurs homologues étrangers.
Enfin, les banques ont une image dégradée auprès des citoyens, pour qui elles incarnent une puissance capitaliste peu régulée et avide de profits, responsable de crises et affranchie d’une certaine justice fiscale, justice fiscale pourtant issue de notre pacte républicain, dont elle est une part importante.
Par voie de conséquence, quelles réponses pourrions-nous apporter ?
Premièrement, il faut un cadre juridique clair et cohérent qui préserve la sécurité juridique en matière bancaire, nécessaire pour les banques. Les établissements bancaires français, leaders sur les marchés européens, doivent être compétitifs, notamment dans le contexte concurrentiel de l’Europe, où ils occupent une place dominante. La pratique du CumEx était connue depuis longtemps par l’administration fiscale, qui faisait visiblement preuve de tolérance.
Ensuite, le risque d’interdiction pourrait entraîner un désavantage pour les banques françaises sur la scène internationale, notamment face aux Britanniques depuis le Brexit. Le CumCum profite des failles des conventions fiscales internationales ; la solution pourrait être de modifier nos conventions en ce sens. M. le ministre a rappelé les avancées à ce sujet, notamment au travers du cas de la Finlande. On peut dire aussi qu’une régulation de ces pratiques pourrait être plus efficiente au niveau européen et à l’échelle de l’OCDE.
De plus, l’ampleur de cette pratique frauduleuse a été mise au jour par un consortium de journalistes. L’administration fiscale, notamment la Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) et le PNF, disposent-ils de moyens suffisants ?
Enfin, en matière de contrôle, la DGFiP semble délaisser le fondement de l’abus de droit pour utiliser l’angle du bénéficiaire effectif, qui pourrait être plus efficace juridiquement. À la suite de l’affaire CumEx a été évoquée la possibilité de généraliser les conventions fiscales bilatérales imposant une retenue à la source sur les flux de dividendes sortants. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous en dire plus sur les négociations au sein de l’OCDE et de l’Union européenne ? Informer le Parlement de ces négociations permettrait de répondre aux interrogations posées par les contribuables et par le système bancaire, sachant que les États-Unis ont mis en place un mécanisme de lutte contre l’arbitrage des dividendes étendu aux produits dérivés.
De toute évidence, les CumEx, les CumCum et autres dispositifs de fraude, au regard de leurs répercussions médiatiques très fortes, peuvent sonner le glas de toute possibilité d’optimisation fiscale. Il est donc urgent d’agir, de combler les vides juridiques, comme nous l’avons tous indiqué, et d’avoir une approche éthique de la fiscalité mondialisée si l’on souhaite qu’il y ait encore une acceptabilité de l’impôt, c’est-à-dire, finalement, un consentement à l’impôt.