Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat qui nous est ici proposé intervient dans le contexte d’un scandale de fraude fiscale aggravée, qui aurait coûté, selon les estimations, près de 33 milliards d’euros à l’État français ces dernières années : 33 milliards au moment où le Gouvernement fait passer en force et alors que l’urgence est avérée une réforme sociale injuste pour nos concitoyens, visant à combler un déficit de 13, 5 milliards d’euros afin de financer d’ici à 2030 notre système de retraites, au moment où nous constatons qu’une proportion significative d’opérations échappe toujours à l’imposition, sans que l’administration fiscale dispose des moyens juridiques suffisants pour y faire échec…
Tragique ironie que celle qui consiste à faire peser sur l’ensemble de nos concitoyens le poids de la dette, alors que l’urgence commande des actions rapides et efficaces contre le détournement fiscal et que la justice fiscale, si précieuse pour le consentement à l’impôt, nécessaire à notre pacte social, nous intime, pour rester une société unie, de préserver notre modèle de solidarité.
Ces dernières années ont été marquées par la publication dans la presse d’enquêtes mettant en lumière des systèmes à grande échelle d’opacification de flux financiers – Pandora Papers, Panama Papers, CumEx Files –, illustrant parfaitement le caractère systémique et quasiment industriel de l’évasion fiscale. Ce constat confère aux responsables politiques, quels qu’ils soient, une responsabilité majeure.
Si nous ne pouvons nier les efforts réalisés ces dix dernières années et les progrès que représente la création du PNF, de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) et de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), force est de reconnaître que l’évasion fiscale reste un sujet d’ampleur sur lequel à ce jour beaucoup reste à faire en termes de dissuasion et de répression.
Plus de quatre ans après l’adoption de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, et à la suite de la conduite d’une première enquête sur les pratiques d’arbitrage de dividendes, connues sous le nom de CumEx Files, un consortium de journalistes a mis en lumière l’étendue des pertes fiscales colossales qu’entraînent ces pratiques abusives.
Le constat est sans appel : ces pertes s’élèvent à 140 milliards d’euros sur vingt ans pour les États concernés. Cela révèle, malgré les efforts faits ces dix dernières années, l’ampleur du travail qui reste à effectuer et l’urgence que constitue ce problème fondamental pour nos finances publiques, mais aussi pour notre pacte social et démocratique.
Je saluerai à ce titre le travail important et régulier que la commission des finances et le Sénat dans son ensemble mènent sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale ces dernières années, au gré de la mise en lumière de nouveaux schémas de dissimulation.
C’est d’ailleurs précisément à l’issue de ces travaux que notre assemblée avait à plusieurs reprises, et dans le cadre d’un consensus politique, adopté des amendements aux projets de loi de finances visant à faire échec aux opérations d’arbitrage de dividendes.
Hélas ! l’Assemblée nationale, en supprimant la partie du dispositif relatif aux montages externes, qui prévoyait un taux de retenue à la source nul pour le versement de dividendes à des résidents étrangers, a altéré l’efficacité de la mesure, qui n’a pu atteindre son plein potentiel, de sorte que ces montages abusifs perdurent.
Si nous sommes conscients de la difficulté de la tâche et de la complexité des montages, nous aimerions, car c’est notre devoir, nous assurer que la faiblesse des moyens dont dispose l’administration fiscale face à l’ampleur du problème ne constitue pas une forme de politique.
Aussi, monsieur le ministre, nous aimerions connaître les actions que vous entendez rapidement mettre en œuvre pour pallier les faiblesses juridiques et administratives persistantes, et savoir si c’est avec la même détermination dont le Gouvernement a fait preuve pour conduire la réforme des retraites qu’il mènera de front ce chantier essentiel.
Pour conclure, et au nom de mon groupe, je remercie nos collègues d’avoir permis une nouvelle fois d’engager ce débat. Il a le mérite de souligner les efforts colossaux qu’il reste à faire en cette matière : combattre les pratiques délétères destinées à lutter contre cette dimension importante, mais trop négligée, de la crise globale que subit le monde contemporain.