Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 2 mai 2023 à 14h30
Quelle réponse au phénomène mondialisé des fraudes fiscales aux dividendes — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord remercier nos collègues du groupe CRCE d’avoir proposé ce débat, qui s’inscrit dans la continuité des travaux de notre commission des finances et de notre assemblée depuis la publication des CumEx Files en 2018.

Dès la divulgation de ces pratiques d’arbitrage de dividendes, qui coûteraient à la France entre 1 et 3 milliards d’euros par an, le groupe de suivi de notre commission des finances sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales s’était immédiatement emparé de ce sujet en proposant notamment un dispositif anti-abus. Celui-ci fut adopté par le Sénat dans le cadre de la loi de finances pour 2019, grâce au vote d’amendements identiques présentés par la quasi-totalité des membres du groupe de travail, et notamment par mon prédécesseur, Albéric de Montgolfier.

Le dispositif tendait à lutter contre les montages internes et externes d’arbitrages de dividendes. Nous savons tous ici de ce qu’il en advint : le Gouvernement de l’époque et sa majorité à l’Assemblée nationale l’ont, malheureusement, considérablement affaibli.

Le mécanisme anti-abus a été restreint aux seules opérations de prêt-emprunt de titres, empêchant de mieux lutter contre des montages reposant sur des produits plus complexes.

Surtout, l’utilisation abusive des conventions fiscales prévoyant des taux de retenue à la source sur les dividendes de 0 % a perduré, le Gouvernement n’ayant jamais cherché à renégocier ces conventions.

Parallèlement, l’administration fiscale, le PNF et les enquêteurs du service d’enquêtes judiciaires des finances et de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale ont engagé des travaux pour identifier ces montages et le préjudice fiscal pour l’État, au détriment de l’ensemble des citoyens.

Avant même les spectaculaires perquisitions dont la presse s’est fait l’écho en mars dernier, la mission d’information de notre commission des finances sur la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, dont j’étais le rapporteur, avait salué le travail réalisé par les services d’enquête et appelé à un renforcement de leurs moyens humains.

Leur professionnalisme et leur capacité à traiter des dossiers très complexes sont reconnus et les dossiers qui leur sont confiés sont de plus en plus nombreux, sans accroissement proportionnel de leurs moyens.

Lors de l’examen de la loi de finances pour 2023, nous avions proposé un redéploiement de crédits pour doubler les effectifs d’officiers fiscaux judiciaires du SEJF d’ici à cinq ans. Malheureusement, monsieur le ministre, vous aviez émis un avis défavorable. Mais, depuis lors, vous avez fait acte de contrition, car quelques mois plus tard, vous annonciez un renforcement du SEJF dans le cadre du futur plan de lutte contre la fraude. Quelle perte de temps ! Quel manque d’anticipation !

Répondre aux CumEx Files, et plus généralement à tous les montages fiscaux abusifs de grande ampleur, c’est donc d’abord renforcer les moyens des services d’enquêtes et de poursuites. C’est ensuite savoir qualifier ces montages et mettre en place des dispositifs anti-abus véritablement efficaces.

Nous savons que le scandale des CumEx Files n’a pas touché tous les pays avec la même ampleur. L’Allemagne aurait subi les pertes les plus importantes, de l’ordre de 50 milliards d’euros. En effet, contrairement à la France, le système allemand a permis à certains intermédiaires de demander le remboursement de la retenue à la source sur les dividendes, alors même qu’aucune retenue n’avait été opérée. Ces remboursements indus sont les plus facilement qualifiables de fraude.

Les montages, internes et externes, qui se sont développés en France sont plus difficiles à caractériser et se situent à la frontière entre fraude, optimisation et évasion fiscales. Nous l’avons longuement évoqué lors de la table ronde organisée par la commission des finances en décembre 2021 et qui avait vocation à poursuivre nos travaux sur le sujet.

Il convient en effet, pour l’administration fiscale comme pour les enquêteurs, puis les magistrats, de distinguer ce qui relève du fonctionnement normal des marchés de ce qui relève de manœuvres abusives. Il ne s’agit évidemment pas de paralyser les marchés financiers : le recours à des opérations de prêt-emprunt de titres ou de vente à découvert peut évidemment se justifier d’un point de vue économique, pour assurer la liquidité du marché et pour améliorer le mécanisme de formation des prix. Néanmoins, les autorités de supervision nationales comme européennes considèrent que, si ces opérations sont utiles, elles comportent un risque de déstabilisation et d’abus.

L’Autorité européenne des marchés financiers relevait ainsi, en septembre 2020, que les montages internes et externes d’arbitrages de dividendes présentaient plusieurs marqueurs de fraude fiscale.

Il faut donc arriver à distinguer ce qui relève du fonctionnement courant des marchés de ce qui relève de l’exceptionnel. Peut-on dire qu’un surplus de valorisation de titres prêtés à la date de détachement de dividendes de 160 milliards d’euros relève du fonctionnement normal des marchés ? Il est permis de suspecter dans cette manœuvre un objectif avant tout fiscal, pour faire en sorte que les personnes redevables de la retenue à la source sur les dividendes ne soient plus propriétaires du titre au moment de leur versement.

Je fais confiance aux enquêtes menées pour nous apporter de premiers éclairages sur la qualification de tels montages d’arbitrages de dividendes.

Il nous reviendra ensuite, à nous législateur, d’en tirer les conséquences. Faudra-t-il renforcer le dispositif anti-abus introduit sur l’initiative de notre assemblée ? L’abus de droit et l’identification des bénéficiaires effectifs sont-ils suffisants pour faire toute la lumière sur des schémas potentiellement abusifs ?

Comptez sur moi pour poursuivre les travaux de la commission sur le sujet, y compris dans nos fonctions de contrôle. Je rappelle à ce titre que la recommandation n° 20 du rapport de notre mission d’information demandait au Gouvernement de renégocier certaines conventions fiscales pour prévenir la mise en place de montages abusifs.

Renforcer les services d’enquêtes spécialisés, évaluer le dispositif anti-abus et renégocier les conventions fiscales : voilà ce que serait une réponse claire au phénomène des CumEx Files.

Monsieur le ministre, à vous de jouer !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion