Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parfois, la loi va jusqu’à changer fondamentalement le quotidien de nos concitoyens. Ce texte sur le travail le dimanche en est un exemple frappant.
Adoptée à l’Assemblée nationale à une courte majorité mercredi dernier, cette proposition de loi, que nous examinons à partir d’aujourd’hui, n’est pas, comme voudrait le faire croire le Gouvernement, un simple toilettage technique des dérogations autorisant le travail le dimanche. Nous en sommes bien loin, hélas !
En France, le travail dominical est déjà une réalité.
Si l’on additionne les dérogations autorisant le travail le dimanche au titre de l’intérêt général, dans les transports et les hôpitaux, par exemple, les dérogations au motif de l’intérêt économique, dans le secteur touristique, ou encore les dérogations exceptionnelles que les maires peuvent accorder, au nombre de cinq par an, ce sont sept millions et demi de Français qui travaillent déjà le dimanche, soit près d’un salarié sur trois.
En Europe, nous nous situons dans la fourchette haute : nous sommes au troisième rang pour le travail le week-end – qui constitue la moyenne entre le travail du samedi et celui du dimanche – et au premier rang pour le travail le samedi. Nous sommes donc bien loin des stéréotypes selon lesquels les Français travaillent moins que les autres.
Alors, pourquoi ce texte ?
En ces temps de crise, le Gouvernement avance un argument qui résonne dans les esprits : l’extension du travail le dimanche produirait de la croissance et des emplois. En changeant les conditions de l’offre, la systématisation du travail le dimanche devrait libérer une partie de l’épargne jusqu’ici bloquée et l’orienter vers la consommation, produisant ainsi de la richesse et des emplois. Ce raisonnement est séduisant, mais, économiquement, il ne tient pas.
Tout d’abord, pour que l’ouverture des magasins le dimanche génère des bonus de consommation, il faudrait qu’existent actuellement des lacunes dans l’offre, des goulets d’étranglement qui réduiraient notre capacité à consommer. Ce n’est pas le cas. Au contraire, les conditions de l’offre sont excellentes en France. D’ailleurs, trois Français sur quatre considèrent que le temps d’ouverture des magasins est suffisant.
Ensuite, comme l’ont révélé plusieurs études, l’ouverture le dimanche ne produit pas d’activité économique supplémentaire mais entraîne uniquement un transfert d’activité. Au lieu de consommer en semaine, nous consommerons le dimanche. L’étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, le CREDOC, fait apparaître que l’essentiel des ventes réalisées le dimanche correspond au transfert de ventes initialement réalisées les autres jours de la semaine.
Enfin, pour qu’il y ait davantage de consommation, il faut plus d’argent disponible. Mais quand on a un reste à vivre hebdomadaire de cinquante euros, qu’on le dépense en semaine ou le dimanche, on n’a toujours que cinquante euros pour boucler la semaine. De plus, en période de crise, l’épargne tend à se contracter : elle sert non pas à consommer, mais à tenir en cas de coup dur. Il n’est pas nécessaire d’avoir fait HEC pour comprendre qu’en pleine crise, alors que le chômage explose, les Français ne vont pas casser leur plan épargne et leur CODEVI, ou sacrifier leur bas de laine pour s’acheter une nouvelle télévision simplement parce que Darty sera ouvert le dimanche !