Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Réunion du 3 mai 2023 à 15h00
Précarité énergétique — Rejet d'une proposition de loi

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone :

Nous partageons sans hésitation, j’y insiste, les constats et les objectifs de la lutte contre la précarité énergétique. Mais, pour des raisons de temporalité et de fond, nous pensons que les mesures qui sont proposées ici sont, pour certaines, contre-productives, pour d’autres, satisfaites par le droit existant.

Je veux donc tout d’abord insister sur la nécessité d’accélérer la rénovation des logements et des passoires thermiques, pour permettre la sortie de la précarité énergétique.

Le rapport de l’Observatoire national de la précarité énergétique, l’ONPE, qui a été publié le 16 mars dernier, dresse le constant alarmant d’une situation qui s’aggrave.

En 2021, près de 11, 9 % des Français ont dépensé plus de 8 % de leurs revenus pour payer les factures énergétiques de leur logement ; ils sont donc autant à être considérés comme souffrant de précarité énergétique.

En 2022, quelque 863 000 ménages ont subi une intervention d’un fournisseur d’énergie en raison d’impayés, soit une hausse de 28 % par rapport à 2019.

La France s’était pourtant engagée, au travers de la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, à rénover 500 000 logements par an – la moitié d’entre eux est occupée par des ménages modestes –, afin de disposer d’un parc respectant les normes bâtiments basse consommation énergétique (BBC) en 2050, et à réduire de 15 % la précarité énergétique à l’horizon de 2020. Cet engagement a d’ailleurs été réitéré à l’occasion de la loi Climat et résilience, mais notre pays risque de ne pas atteindre cet objectif ambitieux.

Selon le rapport de juin 2022 du Haut Conseil pour le climat, les émissions du secteur du bâtiment représentent 18 % des émissions nationales de CO2. Elles n’ont baissé que de 0, 2 million de tonnes entre 2019 et 2021. Pourtant, il faudrait qu’elles diminuent de 3 millions à 4 millions de tonnes dans la période 2022-2030, selon les objectifs fixés dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC).

Suivre cette trajectoire devrait se traduire par 370 000 rénovations globales et performantes par an, puis 700 000 à partir de 2030.

Selon le rapport, paru en février 2023, de l’Observatoire de la rénovation énergétique des logements, en 2019, quelque 2, 4 millions de logements ont bénéficié d’une aide pour des travaux qui ont permis une économie d’énergie de près de 8, 6 térawattheures par an. Mais il s’agit pour l’essentiel de rénovations partielles.

Selon l’Agence nationale de l’habitat, quelque 66 000 rénovations globales ont été réalisées en 2022. C’est un chiffre en progression, certes, mais qui est encore très loin de l’objectif fixé.

Au total, quelque 3, 4 milliards d’euros de subventions ont été distribués par l’Anah, mais elles ont essentiellement conduit à changer le mode de chauffage. On peut donc dire que, si la massification des aides et des gestes de rénovation a été réussie, celle des rénovations globales reste à entreprendre.

À cet égard, les mesures les plus contraignantes contre les passoires thermiques inscrites dans la loi Climat et résilience commencent à peine à entrer en vigueur et, ainsi, à produire leurs effets. Les biens les plus énergivores, classés G+, sont interdits à la location depuis le 1er janvier 2023 ; tel sera le cas pour les biens classés G, en 2025, F, en 2028, et E, en 2034.

De même, l’obligation de réaliser un audit énergétique pour les biens classés G et F est seulement entrée en vigueur le 1er avril de cette année. Elle s’appliquera aux biens classés E en 2025, et à ceux qui sont classés D en 2034.

Les conséquences de ce calendrier exigeant, qui avait suscité notre inquiétude dès 2021, sont lourdes et complexes pour les propriétaires bailleurs, pour les vendeurs et pour l’ensemble du secteur immobilier, qui subit une forte tension et qui est en cours de structuration pour faire face à cet enjeu.

Si je partage les constats et la volonté d’aller de l’avant de l’auteur de la proposition de loi, vous l’avez compris, j’estime que ce texte arrive à contretemps et que les solutions proposées sont soit contre-productives, soit satisfaites par le droit existant.

En effet, l’examen de la proposition de loi intervient en avance de phase de deux échéances importantes pour notre assemblée.

Tout d’abord, à la demande du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, le Sénat a lancé en janvier 2023 une commission d’enquête, que je préside, relative à l’efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique des bâtiments. La question de la précarité énergétique, comme l’ensemble des sujets qui s’y rapportent, fait donc actuellement l’objet d’un examen approfondi. Les conclusions et les propositions de la commission d’enquête devraient être publiées à la fin du mois de juin prochain.

Ensuite, comme l’a récemment confirmé la Première ministre, le Gouvernement doit présenter au Parlement, d’ici à la mi-2023, le nouveau projet de loi de programmation quinquennale sur l’énergie et le climat (LPEC), qui permettra de fixer, au niveau législatif, les objectifs de la politique énergétique, dont ceux qui sont afférents à la précarité énergétique.

S’ensuivra l’actualisation de la stratégie nationale bas-carbone et de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). À cet égard, monsieur le ministre, peut-être pourriez-vous nous donner quelques éléments relatifs à la rénovation énergétique de ce futur projet de loi ?

Sur le fond, après avoir consulté plusieurs acteurs du secteur et à la suite des auditions de la commission d’enquête, je doute de l’efficacité des mesures proposées par l’auteur de ce texte.

Certaines dispositions me semblent contre-productives. J’en donnerai deux exemples.

Tout d’abord, l’auteur de la proposition de loi prévoit dans son article 1er un reste à charge nul pour les plus modestes, alors qu’il est déjà prévu dans la loi, à la demande du Sénat, sur mon initiative, un reste à charge minimal.

Certes, aujourd’hui, le reste à charge est trop élevé, ce qui permet difficilement à certains ménages d’envisager une rénovation globale. Mais, d’une part, ce n’est pas la loi qui tendra à changer cette situation liée au montant et à la structure des aides ; d’autre part, la plupart des acteurs rejettent cette idée pour des raisons de respect et de dignité des personnes concernées.

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