Intervention de Elisabeth Doineau

Réunion du 3 mai 2023 à 21h45
Programme de stabilité et orientation des finances publiques — Débat organisé à la demande de la commission des finances

Photo de Elisabeth DoineauElisabeth Doineau :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales ne sera pas plus indulgente que la commission des finances. Je le regrette, monsieur le ministre, mais c’est ainsi. Vos hypothèses macroéconomiques sont optimistes, comme cela a été dit.

Je ne reviendrai pas longuement sur le regard que porte le Haut Conseil des finances publiques sur ces hypothèses. J’ai eu l’occasion de le dire lors de l’examen d’autres textes financiers. Le Haut Conseil considère que la prévision de croissance effective est élevée – 1, 7 % en moyenne pour la période 2025-2027 –, notamment pour ce qui concerne la hausse prévue de la consommation.

Le Haut Conseil doute également des hypothèses retenues en matière de croissance potentielle, qui supposent des « gains de productivité sensiblement plus élevés que ce que laissent attendre les tendances récentes et une augmentation de l’emploi total […] qui paraît surestimée ».

Au-delà de l’avis du Haut Conseil des finances publiques, monsieur le ministre, comment ne pas retenir l’avertissement que constitue la récente dégradation de la note de la dette française, de AA à AA–, par Fitch, l’une des principales agences mondiales de notation ? La chronique de Bertille Bayart, parue ce matin dans Le Figaro, est intitulée « Tout le monde se fiche de Fitch ». C’est un peu votre idée, puisque vous vantez la notation de l’agence Moody’s, qui vous semble plus correcte au regard de l’appréciation qui pourrait être portée sur les comptes publics. Vous pourriez d’ailleurs nous préciser si vous anticipez les conséquences de cette évolution pour les conditions de financement des administrations publiques.

C’est en tout cas sur le fondement de ces incertitudes qu’il convient de lire les prévisions du Gouvernement relatives aux administrations de sécurité sociale (Asso) qui figurent dans le programme de stabilité.

En termes de solde, il est prévu que les Asso consolident leur contribution positive au solde public au cours des années à venir : après un retour dans le vert en 2022 – +0, 3 point de PIB –, le solde consolidé des administrations de sécurité sociale s’établirait à +0, 7 point de PIB dès 2023 et oscillerait ensuite entre +0, 6 point de PIB en 2024 et +0, 9 point de PIB en 2027.

Il est important de rappeler qu’il s’agit d’un solde « toutes administrations de sécurité sociale », plus large que le périmètre des lois de financement de la sécurité sociale.

Ce solde positif est d’ailleurs largement tiré par des organismes en dehors de ce périmètre : d’abord, la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades), puisque l’amortissement de la dette sociale est enregistré comme un « bénéfice » des Asso, ce qui est assez paradoxal ; ensuite, l’assurance chômage, sous l’effet de la diminution du nombre de demandeurs d’emploi dont l’ampleur devra tout de même être vérifiée, mais dont on se réjouit ; enfin, les organismes complémentaires de retraite, notamment l’Agirc-Arrco.

À l’inverse, même après la réforme des retraites, les régimes obligatoires de base de sécurité sociale devraient, eux, rester en déficit au cours de l’ensemble de la période couverte par ce programme de stabilité. Ainsi, l’annexe du récent collectif social prévoit une dégradation des comptes dans les années à venir, avec un déficit consolidé qui passerait de 8, 2 milliards d’euros en 2023 à un peu plus de 13 milliards d’euros en 2025 et 2026.

Dans ces conditions, monsieur le ministre, comment gérer cette nouvelle accumulation de déficits, alors même que le plafond de transferts à la Cades a été atteint ? Envisagez-vous de demander au Parlement de nouvelles autorisations de transferts à la Cades à court ou à moyen terme ?

S’agissant de l’évolution des dépenses publiques, je relève que le Gouvernement prévoit un fort dynamisme des dépenses de la sécurité sociale en 2023 et en 2024, malgré l’extinction progressive des dépenses exceptionnelles liées à la crise épidémique de covid-19, ainsi que vous l’avez précisé, monsieur le ministre. Cette extinction devrait toutefois être plus que compensée par la progression des prestations sociales liées à l’inflation, en particulier les pensions de retraite et les prestations familiales.

Je conclus en soulignant que les réformes structurelles sur lesquelles s’appuie le Gouvernement pour amorcer une trajectoire de désendettement concernent, pour l’instant, uniquement la sphère sociale, qu’il s’agisse de la réforme de l’assurance chômage ou de la réforme des retraites. Je souligne également, monsieur le ministre, la part que le Sénat, en particulier sa commission des affaires sociales, a prise dans l’examen de ces deux réformes.

Nous avons, à chaque fois, su prendre nos responsabilités et faire preuve de cohérence avec nos positions passées.

Qu’en sera-t-il des mesures à venir qui permettront de « tenir » les dépenses publiques au niveau fixé par ce programme de stabilité ? Pourront-elles concerner de nouveau les administrations de sécurité sociale, alors même que les besoins en matière de santé et d’autonomie sont grandissants ? Ce document est assez lacunaire sur ce point essentiel.

Monsieur le ministre, j’espère que vous pourrez nous apporter davantage de précisions à l’occasion de ce débat. Laisser creuser la dette est une pure inconscience : c’est une perte de liberté.

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