Intervention de Hussein Bourgi

Réunion du 10 mai 2023 à 15h00
Respect du droit à l'image des enfants — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Hussein BourgiHussein Bourgi :

… ne serait-ce que pour l'élaboration des études d'impact.

Permettez-moi de rappeler que le dernier texte d'origine gouvernementale date de 2016 et avait été défendu à l'époque par Axelle Lemaire, secrétaire d'État chargée du numérique lors du quinquennat de François Hollande. Ces travaux de Mme Lemaire avaient abouti à l'adoption de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, comprenant la dernière grande avancée digitale pour les enfants, à savoir une amélioration substantielle du droit à l'oubli des mineurs sur le Net.

À l'ère des mutations numériques, 2016, c'est très loin ! Depuis, le cyberenvironnement a beaucoup évolué. Les problématiques qui y ont trait se sont encore multipliées, en particulier pour les personnes mineures. Un rapport de 2018 de Mme Rachel de Souza, commissaire à l'enfance pour le Royaume-Uni, peut nous éclairer sur l'ampleur du phénomène dont il est ici question. Selon cette étude, un enfant paraîtrait en moyenne sur 1 300 photographies publiées en ligne avant l'âge de 13 ans, sur ses propres comptes, sur ceux de ses parents ou des proches de ces derniers.

Si le fait de poster des photos d'enfants sur les réseaux sociaux peut sembler anodin de prime abord, la situation devient plus grave lorsque celles-ci sont détournées à des fins sordides. Selon les rapports du Centre national pour les enfants disparus ou exploités, qui œuvre aux États-Unis, la moitié des photographies d'enfants s'échangeant sur les réseaux pédophiles et pédopornographiques ont été à l'origine postées sur le Net par leurs parents, par leur famille ou par leurs proches. Ces publications, innocentes dans l'intention, peuvent donc être source de détournements, mais aussi de cyberharcèlement.

Aussi, face à ces risques et à ces dangers aux multiples facettes, nous devons nous interroger sur la pertinence, sur l'utilité et sur l'efficacité du texte que nous étudions aujourd'hui.

Il semble que, dans sa forme initiale, cette proposition de loi était dotée d'une portée normative limitée. En effet, ses articles 1er, 2 et 3 semblaient relativement superflus, car déjà plus ou moins satisfaits par le droit positif. Tout au plus garantissaient-ils une meilleure lisibilité de notre législation. L'article 4, relatif à la délégation partielle, sous contrainte, de l'autorité parentale, concernait principalement des cas rares, ce qui prédestinait cette mesure à être peu usitée.

En raison de ces faiblesses, le texte tel qu'il a été adopté à l'unanimité à l'Assemblée nationale pouvait davantage être considéré comme une proposition de loi déclarative, visant à sensibiliser l'opinion et notamment les parents aux risques auxquels sont exposés les enfants faisant l'objet de publications sur internet.

Déclarer, déclamer, proclamer, c'est bien ; avoir le souci de l'efficacité, c'est mieux. Je sais, madame la rapporteure, que vous avez une appréciation similaire au sujet de cette initiative parlementaire. Vous avez donc souhaité amender ce texte afin d'en garantir une meilleure application et une plus grande efficacité. Je vous en remercie.

Cependant, tous les apports et toutes les modifications effectués par la commission ne sont pas de nature à nous convaincre totalement.

Nous soutenons évidemment la suppression de l'article 2, dont l'apport n'était pas nécessaire, répétant simplement des dispositions déjà en vigueur dans le droit.

Nous nous montrons davantage circonspects quant aux réécritures des articles 1er et 3. Dans les deux cas, il semble que les rédactions choisies puissent donner lieu à interprétation et compliquer, dans la pratique, le travail du juge. Le mérite initial de ces articles était pourtant d'assurer aux professionnels du droit une plus grande clarté de notre législation.

Le nouvel article 5 suscite également quelques interrogations. Celui-ci est venu conférer au président de la Cnil, par voie de référé, le droit d'ordonner aux juridictions compétentes toute mesure nécessaire à la sauvegarde de la vie privée d'un mineur sans que soient requis des critères de gravité ou d'immédiateté, comme c'est le cas actuellement. Le concept même du référé est intrinsèquement lié au caractère urgent d'une situation : il nous semble donc contradictoire d'autoriser une procédure en référé sans que la considération d'urgence du cas d'espèce entre en ligne de compte. De grâce, ne banalisons pas la notion de référé !

Enfin, nous nous montrons plutôt défavorables à la suppression de l'article 4 de cette proposition de loi. En effet, son dispositif ayant été encadré à l'Assemblée nationale et ne devant concerner que de rares affaires, cette nouvelle mesure aurait pu trouver sa place au sein de notre arsenal législatif.

Ces doutes étant exprimés, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiendra malgré tout cette initiative parlementaire. Lacunaire, ne couvrant qu'un pan extrêmement restreint de la thématique que ses auteurs souhaitent traiter, cette proposition de loi ne permettra sans doute pas à elle seule de protéger les mineurs des dangers d'internet. Elle a cependant pour mérite de mettre en lumière ces nouveaux risques liés à l'univers numérique, en particulier pour les enfants, et elle ouvrira certainement de nouveaux débats en la matière.

Aussi, je forme le vœu que le Gouvernement se saisisse pleinement de ce sujet afin que nous puissions rapidement nous doter d'une législation encore plus volontariste et plus protectrice pour toutes et pour tous. La balle est désormais dans le camp de l'exécutif. S'il juge le sujet digne d'intérêt, ce que je crois, il saura saisir l'occasion.

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