Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre groupe est favorable à la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, parallèlement au développement des énergies renouvelables, pour acquérir une indépendance énergétique, qu’il ne faut pas confondre avec une souveraineté énergétique.
Si notre groupe y est favorable, c’est parce que la crise climatique nous impose de combiner les énergies et de continuer à décarboner à un coût maîtrisé, pour rendre les prix supportables pour tous les usagers : les résidentiels, mais aussi les collectivités et les entreprises. Or comme il n’y a pas d’énergie propre, car toute activité humaine a un impact sur la nature, c’est bien la combinaison des différents moyens de production d’énergie qui rendra possible une indépendance, sachant que, pour atteindre la souveraineté dans ce domaine, il nous faudrait extraire de l’uranium et arrêter les livraisons venues du Kazakhstan et du Niger, ce qui est impossible.
Avant d’en venir au fond, je voudrais vous faire part de mon agacement, madame la ministre. Au lendemain du vote en première lecture de ce projet de loi au Sénat, vous avez annoncé que le projet de fusion entre l’IRSN et l’ASN serait introduit dans la navette parlementaire.
Au-delà des questions de fond, et de l’importance d’une séparation entre l’expertise scientifique et les activités de contrôle se pose une question de forme. Pensez-vous respecter le Sénat en agissant de la sorte, sans parler des salariés et de leurs syndicats, qui ont découvert ce projet dans la presse ?
Heureusement, l’affaire a été enterrée à l’Assemblée nationale et, pour cette fois, votre coup de force ne passera pas. Mais nous resterons attentifs.
J’en viens au texte tel que nous l’examinons aujourd’hui. Le problème est le même qu’en première lecture. Vous segmentez le sujet, sans donner de cadre général, sans évoquer ni le financement, ni EDF, ni l’Arenh, ni encore la régulation. Pour vous, les seuls problèmes existants, ce sont les délais administratifs.
C’est comme si un constructeur automobile commençait par construire les enjoliveurs sans évoquer le moteur et l’habitacle. C’est joli, l’enjoliveur, mais cela ne fait pas rouler une voiture ! De même, les délais administratifs ne construiront pas de centrale nucléaire.
Tout d’abord, le moteur du nucléaire, c’est son entreprise historique, EDF, amputée de 60 milliards d’euros de dette dont 8 milliards d’euros sont issus de l’Arenh +, qui avait été décidé seul par le Gouvernement, avant même que le Parlement ne donne son accord en août. Comment le groupe, que vous réétatisez, pourra-t-il investir plusieurs dizaines de milliards d’euros dans huit nouveaux EPR avec un tel endettement ?
Vous allez devoir céder des actifs comme Dalkia, et une partie d’Enedis. Mais où allez-vous chercher le reste ? Allez-vous le chercher dans le privé ? En ce cas, à qui vous adresserez-vous ? La compagnie TotalEnergies ne se dit pas intéressée. Vous adresserez-vous à des investisseurs privés étrangers ? Dans ce cas, madame la ministre, il serait bon que la représentation nationale soit impliquée dans cette démarche et puisse donner son avis.
La question du moteur ayant été posée, parlons maintenant de l’habitacle et du volant, à savoir de la régulation.
Vous voulez continuer l’Arenh, dont l’objectif escompté était de faire investir les alternatifs dans la production, au-delà de 2025. C’est raté. Aucun ne l’a fait, sauf TotalEnergies et Engie. Tous les autres profitent du système, et revendent sur les marchés pour leurs propres bénéfices. Ma collègue Dominique Estrosi-Sassone et moi-même rendrons d’ailleurs prochainement un rapport sur les abus qui ont eu lieu en 2022.
Sans vous en révéler les conclusions, je peux déjà vous dire ce qu’il y a dans la presse, à savoir que les abus sont nombreux et qu’ils pèsent sur le portefeuille d’EDF tout en rackettant celui des Français.
Venons-en maintenant au marché européen et au principe du coût marginal qui lie le prix du gaz à celui de l’électricité. Cette invention de Marcel Boiteux, qui s’entend sur un territoire national, est une aberration sur le marché européen.
La réformette que vous avez d’ailleurs adoptée, loin de s’en défaire, continuera de favoriser l’industrie allemande à notre détriment. Or comme la demande de gaz repartira à la hausse avec l’industrie chinoise cet été, au moment même où vous mettrez fin au bouclier tarifaire et aux tarifs réglementés du gaz, la facture sera lourde pour tous les usagers.
J’évoque enfin un dernier point, madame la ministre. Pour construire une belle voiture, comme pour construire de belles centrales nucléaires, il faut des salariés bien qualifiés, bien rémunérés et bien protégés.
Alors que votre gouvernement vient de casser le statut et les retraites des salariés des industries électriques et gazières (IEG), que nous tenions de Marcel Paul, sans un mot de votre part, comment comptez-vous redonner de l’attractivité à une filière qui souffre depuis quinze ans, en partie du fait de l’inaction des pouvoirs politiques ? Vous mentionnez 100 000 nouvelles recrues nécessaires, du chaudronnier à l’ingénieur : comment redonnerez-vous envie à toute une génération de se réinvestir dans le nucléaire ? Là encore, nous n’obtenons pas de réponse.
Votre texte n’aborde aucune de ces questions structurelles, qui sont pourtant indispensables aux objectifs que vous lui avez assignés. Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste s’abstiendra.