Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’y a pas si longtemps, en janvier 2007 plus exactement, je me souviens être intervenue dans la discussion générale d’un projet de loi de modernisation du dialogue social, qui visait à accorder aux partenaires sociaux un temps de négociation avant tout examen parlementaire d’un texte portant sur le travail, l’emploi et la formation professionnelle. Il s’agissait, pour le gouvernement de l’époque, de se racheter et de se réconcilier avec les partenaires sociaux, après les avoir ignorés systématiquement durant la précédente législature.
Malheureusement, les mauvaises habitudes reviennent vite. Alors que le travail dominical constituait l’une des promesses de campagne du candidat Nicolas Sarkozy et que, voilà quelques mois, les déclarations tonitruantes sur la liberté de consommer et le droit de travailler plus se multipliaient, on pouvait s’attendre à d’âpres négociations avec des partenaires sociaux majoritairement hostiles au travail dominical. Mais il n’en a rien été.
En effet, le Gouvernement n’a finalement déposé aucun projet de loi sur le travail dominical ; c’est une proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, une proposition de loi a minima, serais-je tentée de dire, qui, tout en réaffirmant le principe du repos dominical, n’aurait d’autre objet que de régler quelques situations urgentes.
Mais personne n’est dupe : l’intention de libéraliser le travail du dimanche est omniprésente dans ce texte qui élargit notamment les possibilités de dérogations aux zones et aux communes d’intérêt touristique ou thermales. Au moins 6 000 communes sont concernées.
D’ailleurs, pourquoi vouloir réaffirmer le principe du repos dominical alors qu’il figure noir sur blanc à l’article L. 3132-3 du code du travail ? Il y a de quoi semer le doute !
Comme l’a rappelé notre collègue François Fortassin, historiquement, le repos du dimanche trouve son origine dans la Bible, mais la Révolution l’a aboli en 1789. Il fut réintroduit lors de la Restauration, puis supprimé une nouvelle fois le 12 juillet 1880.
Le jour chômé était alors décidé par le patron. Sa réintroduction date de 1906 : elle fut votée sous le gouvernement de Ferdinand Sarrien afin d’apaiser les vives tensions sociales consécutives à la tragédie des mines de Courrières, mais aussi les tensions religieuses, moins d’un an après la séparation de l’Église et de l’État.
La loi Sarrien est toujours d’actualité, même si elle a fait l’objet de nombreuses dérogations au fil du temps.
Ne nous y trompons pas : c’est d’un vrai choix de société que nous débattons aujourd’hui, un choix entre le dimanche et le « jour du patron » !
Défendre le repos dominical, ce n’est pas défendre un simple jour de repos : c’est défendre une conception de la vie.
C’est défendre la vie de famille tout d’abord : la famille doit pouvoir se retrouver ailleurs qu’au supermarché, au moins une fois par semaine, autour d’un repas, d’une activité commune, qu’elle soit sportive, culturelle ou festive. Seul le dimanche le permet.
C’est aussi l’occasion de se promener, de rendre visite aux parents, aux grands-parents. Pour les enfants, le rendez-vous du dimanche en famille est un facteur de stabilité et d’équilibre.
Il n’y a pas si longtemps, monsieur le ministre, vous déclariez : « L’école le samedi matin n’est pas favorable à la vie familiale. » Pensez-vous que le travail du dimanche le soit davantage ?
D’ailleurs, les Français ne s’y trompent pas. D’après un récent sondage, près de 55 % de nos concitoyens sont hostiles au travail dominical et, pour 80 % d’entre eux, le dimanche doit rester un jour différent des autres, un jour où l’on ne travaille pas.
Défendre le repos dominical, c’est aussi défendre la vie associative. C’est souvent le dimanche qu’on se réunit pour une fête de quartier, une kermesse d’école, une fête patronale, autant de moments où se tisse le lien social. Le sport se pratique également le dimanche, qu’il s’agisse du jogging du matin ou des compétitions sportives. Chaque semaine, ce sont des milliers de bénévoles qui s’activent aux quatre coins du pays pour faire vivre leur passion.
Pourtant, le bénévolat est en crise. Croyez-vous, monsieur le ministre, que celles et ceux qui travailleront le dimanche vont continuer à s’engager ?
Enfin, n’oublions pas la vie religieuse. Nombre de nos concitoyens veulent pouvoir pratiquer leur culte le dimanche. C’est tout à fait respectable. Or, s’ils travaillent, ils en seront empêchés. Et, pour les non-pratiquants, les offices, les mariages, les baptêmes, les communions et les confirmations sont des moments importants. Des centaines de milliers de salariés en seront privés, en totalité ou en partie. C’est regrettable.
Je souhaite à présent me livrer à une petite chasse à la désinformation s’agissant de ce texte.
On nous dit que les salariés seront payés double le dimanche. Ce n’est pas exact. À ce propos, le président de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale parlait de « grosse bourde ». Bien évidemment, tous les salariés qui travailleront le dimanche ne seront pas payés double, puisque ceux des zones touristiques et thermales sont d’ores et déjà exclus du dispositif.
S’agissant des salariés qui travaillent dans les zones commerciales situées autour de Paris, de Lille et de Marseille, les fameuses PUCE, s’il y a déjà un accord collectif de branche, c’est celui-ci qui s’applique tel quel. Et si cet accord ne prévoit pas de double rémunération, rien ne changera pour eux.
Donc, le doublement n’interviendra éventuellement que pour les métiers dont la convention collective ne prévoirait pas ce cas, c'est-à-dire une toute petite minorité, car très peu d’accords de branche prévoient un tel doublement. Il y a fort à parier que la surprime éventuelle liée au travail du dimanche dans les PUCE tendra très naturellement à disparaître à proportion de la banalisation du travail du dimanche. C’est ce qui s’est passé en Angleterre et en Irlande.