Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le cheminement de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui n’a pas été un long fleuve tranquille puisque la majorité s’y est reprise à quatre fois en moins de deux ans pour imposer à ses parlementaires, le 15 juillet dernier, un texte dont ils ne voulaient pas. Je passerai sur l’épisode de décembre 2008 où, sous la pression de plus de cinquante députés UMP, l’avant-dernière mouture de ce texte a été retirée de l’ordre du jour de nos débats…
Il demeure que, malgré la pression constante du Président de la République, vingt-cinq députés de la majorité ont, d’une manière ou d’une autre, refusé d’adopter cette proposition de loi ; et on les comprend !
En effet, en raison même de son dispositif, celle-ci sera contraire au principe d’égalité cher aux constitutionnalistes, mais aussi à nos concitoyennes et concitoyens, qui y voient l’un des principes les plus protecteurs. En effet, dès lors que l’article Ier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 pose que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux droits », il est du devoir premier des législateurs de respecter ce principe et de veiller à le protéger.
Or, en imposant, demain, le travail dominical à l’ensemble des salariés dont l’entreprise ou l’établissement sera situé en zone touristique, vous transgressez deux fois ce principe.
Tout d’abord, vous privez les salariés de leur liberté de refuser une modification substantielle de leur contrat de travail et vous les plongez dans une situation d’inégalité. En effet, à n’en pas douter, en cette période de crise, alors que le chômage plane sur notre pays tel un spectre, à la situation de subordination dans laquelle sont déjà placés les salariés vis-à-vis de leur employeur s’ajoute une fragilité économique qui aggrave leur dépendance, et ils n’auront pas, vous le savez bien, monsieur le ministre, madame le rapporteur, la liberté de refuser la modification qui leur sera proposée.
Quant à l’organisation de différents modes de rémunération pour la même activité, selon que le salarié se trouve dans une zone touristique, dans un PUCE, avec ou sans contrepartie – car les deux seront possibles –, ou dans une zone non couverte par ces différentes dérogations, vous organisez un traitement différencié qui ne trouve aucune justification dans l’existence d’une situation différente puisque c’est la loi elle-même qui l’organise !
Pour notre part, nous, sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen et du parti de gauche, considérons qu’il faut renforcer la protection des salariés plutôt que de permettre aux patrons de disposer d’outils de pression supplémentaires sur leur personnel.
Avec nos collègues du groupe de la gauche démocrate et républicaine de l’Assemblée nationale, nous entendons nous associer à toutes les démarches entreprises en direction du Conseil constitutionnel afin qu’il censure une proposition de loi lourde de conséquences pour les droits fondamentaux des salariés de notre pays.
À ce titre, j’invite le Conseil constitutionnel à se pencher sur le non-respect, par cette proposition de loi, de l’esprit et des principes de notre Constitution. Je pense, par exemple, à l’interdiction, depuis l’arrêt du Conseil d’État du 27 mars 2000, de résilier un contrat de travail en raison de la situation familiale du salarié. Je citerai en particulier le cas des mères célibataires qui, dans les zones touristiques, se verront contraintes de travailler le dimanche : en raison de leur situation de famille et de l’immense précarité qui est souvent la leur – 60 % des salariés de la distribution sont des femmes, dont les salaires sont rarement supérieurs au SMIC et qui sont souvent employées à temps partiel –, elles devront soit refuser et être licenciées, soit sacrifier leur temps libre avec leurs enfants et accroître, au passage, leurs frais de garde, point évoqué tout à l’heure par M. Lardeux.
Ces femmes-là, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces mères de famille partagées entre leurs enfants et leur travail, n’iront pas le dimanche dans les commerces ouverts, faute d’en avoir le temps, mais aussi faute d’avoir suffisamment d’argent !
Par ailleurs, monsieur le ministre, je regrette que vous ne vous soyez pas conformé au respect du principe de sincérité des débats. J’en conviens, celui-ci est plus particulièrement utilisé en matière budgétaire. Il n’en demeure pas moins que, pour garantir la pleine application de l’article 3 de la Constitution, qui dispose que « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants », vous auriez dû peser de tout votre poids pour que votre majorité mette un terme à son exercice d’énonciation de contrevérités. Je regrette, à cet égard, que vous vous soyez vous-même, dans l’hémicycle, prêté tout à l’heure à ce jeu, ainsi que je vais le démontrer.
La première contrevérité se trouve dans l’intitulé de cette proposition de loi. À le lire, celle-ci permettrait de réaffirmer le principe du repos dominical. Drôle de manière de réaffirmer un principe que d’étendre les dérogations existantes et d’en ajouter de nombreuses autres !