Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remplace pour notre groupe ma collègue Mélanie Vogel, qui est à l’origine de la proposition de résolution.
Depuis 2017, des millions d’Ouïghours et membres d’autres minorités musulmanes ont disparu dans un vaste réseau de camps de rééducation dans la région du Xinjiang. Il s’agit d’un véritable programme de génocide culturel mené par le gouvernement chinois : des femmes subissant des stérilisations forcées ; des détenus soumis à un endoctrinement politique, contraints de renoncer à leur religion, à leur culture, soumis à la torture.
Cela fait maintenant trois ans que l ’ Australian Strategic Policy Institute a rendu son rapport sur le travail forcé de la population ouïghoure, trois ans que la « liste de la honte », recensant quatre-vingt-trois marques dans les secteurs de la technologie, de l’industrie et, surtout, de la mode, a mis au jour l’utilisation massive par de grandes marques du système concentrationnaire mis en place au Xinjiang par la République populaire de Chine.
Que s’est-il passé depuis ? Quelques marques, comme Adidas ou Nike, ont annoncé avoir cessé de s’approvisionner au Xinjiang ; certaines, comme Zara ou Hugo Boss, ont condamné ce système, avant de revenir sur leurs déclarations pour ne pas froisser en Chine ; beaucoup d’autres sont simplement restées silencieuses.
Dans les faits, rien n’a changé. Les associations, comme Sherpa ou l’Institut ouïghour d’Europe, ont déposé de nombreuses plaintes, mais 20 % du coton mondial est toujours produit dans la région autonome du Xinjiang.
Ainsi, au sein même de cet hémicycle, aujourd’hui, les vêtements que nous portons, les téléphones dans nos poches, les écrans sont très certainement produits en partie au prix de la liberté d’un peuple réduit en esclavage.
Le système de traite des êtres humains mis en place contre les Ouïghours est un moteur de la politique industrielle de la République populaire de Chine, le carburant sanglant de la stratégie commerciale des nouvelles routes de la soie du gouvernement de Pékin.
Un million, ou plus probablement deux millions de personnes sont enfermées dans des camps de travail, enfermées et torturées, parfois simplement pour avoir parlé leur langue dans la rue ou pour avoir appelé quelqu’un à l’étranger. On parle ici de 10 % de la population ouïghoure.
Aujourd’hui, les sénateurs peuvent regarder les yeux grand ouverts la réalité que le régime chinois veut masquer, étouffer, nier : nous sommes face à la plus grande campagne d’internement d’une population depuis la Seconde Guerre mondiale.
Alors, que fait concrètement la France ? Trop peu, hélas ! Bien sûr, symboliquement, l’Assemblée nationale a reconnu par une résolution l’année dernière qu’il s’agissait d’un crime contre l’humanité, et nous le saluons.
Mais après ? Rien ne fait vraiment obstacle à la circulation en Europe des produits issus du travail forcé.
Aujourd’hui, nous vous invitons à avancer sur cette question fondamentale en demandant au Gouvernement français de travailler à l’échelle européenne, le plus grand marché mondial, pour mettre en place un véritable mécanisme de contrôle des produits issus du travail forcé en Chine.
Nous souhaitons ici nous inspirer de ce que font déjà les États-Unis et le Canada, entre autres États, en inversant la charge de la preuve.
Oui, aux États-Unis, depuis l’an dernier, si un produit a été fabriqué, en tout ou partie, dans le Xinjiang, il est considéré a priori comme issu du travail forcé, à charge ensuite aux entreprises de prouver le contraire.
Résultat : une baisse remarquée des importations en provenance de Chine aux États-Unis, qui, malheureusement, s’est accompagnée dans le même temps d’une augmentation des importations chinoises en Europe.
Il nous faut donc désormais, nous aussi, demander aux entreprises souhaitant accéder au marché commun européen de prouver que la traçabilité de leurs produits est sans reproche.
En ce moment même, à Bruxelles, on s’apprête malheureusement à mettre en place le processus inverse, c’est-à-dire un processus long et compliqué, difficilement lisible, qui impose aux États membres de fournir eux-mêmes la preuve du travail forcé pour interdire les produits incriminés. C’est un processus absurde et inefficace : tout le contraire de ce qu’il faudrait faire !
À l’inverse, cette résolution que nous vous proposons d’adopter aujourd’hui relève du bon sens.
La représentation nationale a déjà condamné le « caractère génocidaire » des violences à l’encontre des Ouïghours. Soyons cohérents et logiques en traduisant ces intentions dans les actes.
Comment dénoncer un crime contre l’humanité sans interdire sur notre sol les fruits de ce crime ?
Il y va de l’honneur de la France d’être le moteur, à l’échelle européenne, d’une initiative claire, nette, qui ferait véritablement obstacle à la circulation des produits de l’esclavage moderne. Ce serait un message puissant envoyé à Pékin, mais qui aurait aussi un caractère universel.
Le travail forcé et l’esclavage moderne ne doivent pas seulement être dénoncés : ils doivent également être, dans les faits, rendus impossibles.
C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de déposer cette proposition de résolution, que le groupe GEST va bien évidemment voter.