Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Réunion du 6 juin 2023 à 14h30
Orientation et programmation du ministère de la justice 2023-2027 – ouverture modernisation et responsabilité du corps judiciaire — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi et d'un projet de loi organique dans les textes de la commission

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les deux textes que nous nous apprêtons à examiner en discussion commune sont le fruit de travaux menés au cours des États généraux de la justice, lancés en octobre 2021 à Poitiers par le Président de la République, et dont les conclusions, remises en juillet 2022, figurent dans le rapport Sauvé.

Ils sont, en outre, la concrétisation législative d’une grande partie des soixante mesures du plan d’action, lui-même issu de ces États généraux, que vous avez présenté en janvier dernier, monsieur le garde des sceaux. L’objectif de ce plan était de rendre la justice de notre pays plus protectrice, plus rapide et plus efficace.

Pour ce faire, le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 prévoit d’allouer à la justice des moyens ambitieux d’ici à la fin du quinquennat : ceux-ci devraient atteindre près de 11 milliards d’euros en 2027.

Je vous prie de m’excuser, monsieur le garde des sceaux, mais je commence à être à court d’adjectifs pour saluer et caractériser l’augmentation de ces crédits ! Nous ne nous en plaindrons évidemment pas, car ces moyens financiers importants viendront renforcer les moyens humains indispensables au bon fonctionnement de cette institution et permettront de poursuivre tout à la fois le recrutement de personnels supplémentaires et la revalorisation des rémunérations et des carrières.

Ce sont donc 10 000 personnes qui seront recrutées d’ici à 2027, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers. Le texte prévoit des créations de postes inédites, telles que des postes de surveillants pénitentiaires adjoints, ou encore la constitution d’équipes, composées notamment d’attachés de justice, destinées à rompre la solitude des magistrats dans leur tâche – solitude qui, on le sait, est immense.

La réforme statutaire, que nous examinerons concomitamment, vise à accompagner cette augmentation importante des effectifs de magistrats prévue par le projet de loi d’orientation et de programmation. Elle s’inspire elle aussi des recommandations formulées par le comité des États généraux de la justice et prévoit notamment d’ouvrir le corps judiciaire sur l’extérieur, d’améliorer le déroulement de carrière des magistrats et le dialogue social, de développer la responsabilisation des magistrats et de renforcer leur protection.

En outre, ces nouveaux moyens financeront la transformation numérique, ainsi que les chantiers immobiliers du ministère.

J’entends les réticences concernant la construction de 15 000 places de prison supplémentaires d’ici à 2027, mais je souligne que ces places sont nécessaires ; de plus, leur construction s’accompagne de mesures d’aménagement de peines, telles que l’extension du champ des travaux d’intérêt général ou encore de la libération sous contrainte.

Par ces textes, monsieur le garde des sceaux, vous entendez également rationaliser l’organisation judiciaire et la répartition des contentieux entre les juridictions.

À cet égard, je ne puis que me réjouir de la reprise, à titre expérimental, du tribunal des activités économiques, dont nous avions proposé la création, François Bonhomme et moi-même, dans une proposition de loi ratifiant, modifiant et complétant l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 portant modification du livre VI du code de commerce, et déposée à la fin de l’année 2021 sur le bureau du Sénat.

La commission a adopté deux amendements déposés par mon groupe visant à prévoir que le Parlement sera associé à l’évaluation de l’expérimentation des tribunaux des activités économiques et de la contribution pour la justice économique, ce dont je me félicite.

Dans ce même esprit de rationalisation, vous proposez de procéder, par voie d’ordonnance, à la réécriture à droit constant de la partie législative du code de procédure pénale. Au comité scientifique, installé en janvier dernier, et composé de professionnels du droit, chargé d’assurer le suivi des travaux de réécriture, un contrôle parlementaire sera ajouté, afin de veiller à la conformité de la refonte du code de procédure pénale aux conditions et orientations de l’habilitation.

Nous avons souvent débattu de l’idée selon laquelle les prérogatives du Parlement seraient mises à mal par le recours aux ordonnances lors de l’examen de textes d’habilitation. Soyons honnêtes, il est assez inédit qu’un gouvernement mette en place une telle concertation : nous pouvons, au moins, le souligner.

De même, notre groupe fera usage de son droit d’amendement, en espérant qu’un certain nombre de ses amendements seront adoptés.

Pour finir, j’aborderai un sujet qui me tient particulièrement à cœur. Vous me voyez venir, j’en suis certain… §En avril dernier, le Sénat avait organisé, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, un débat sur l’état de la justice dans les outre-mer. J’avais regretté à cette occasion que, sur les 250 pages que comporte le rapport Sauvé, seules deux pages et demi soient consacrées aux outre-mer, alors que l’on sait que les terribles constats qu’il dresse sont d’autant plus graves dans ces territoires. En effet, entre particularismes géographiques, pauvreté, fracture numérique, barrières linguistiques, défaut d’attractivité et insécurité, les outre-mer cumulent les difficultés en matière de justice.

Je connais votre intérêt pour ces territoires éloignés et votre engagement en leur faveur, mes chers collègues – tout comme les vôtres, monsieur le garde des sceaux. Aussi, je vous serais reconnaissant de bien vouloir nous préciser comment ces recrutements massifs seront ventilés outre-mer et de nous communiquer l’état d’avancement des chantiers immobiliers.

Vous vous êtes récemment rendus aux Antilles, où vous avez annoncé que, en Guadeloupe, les travaux de rénovation de l’ancien palais, qui accueillera le conseil des prud’hommes, débuteraient en 2025. Pour la Martinique, vous avez indiqué que la livraison d’une structure d’accompagnement vers la sortie interviendrait au premier trimestre 2025.

À Mayotte, lors de votre déplacement en mars 2022, vous aviez annoncé la création d’une nouvelle cité judiciaire, d’un second centre pénitentiaire et d’un centre éducatif fermé. La réalisation de tels projets prend certes du temps, d’autant que nous faisons face à un énorme problème de foncier, mais il me semble important, compte tenu des événements qui frappent ce département, qu’un calendrier de mise en œuvre puisse être rapidement dévoilé.

En tout état de cause, et nonobstant les effets de tribune de certains, qui apparaissent finalement en décalage avec l’esprit constructif qui a présidé à l’examen de ces textes en commission, le groupe RDPI considère, pour sa part, qu’ils mettent en place une stratégie globale et à long terme pour moderniser notre système judiciaire.

Le Gouvernement a pris la mesure des défis auxquels l’institution judiciaire est confrontée, tels que la surpopulation carcérale, les délais de procédure excessifs et l’inégal accès à la justice, et prévoit des mesures et des moyens ambitieux pour les relever. C’est pourquoi notre groupe votera ces deux textes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion