Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le philosophe grec Ésope a dit, voilà à peu près vingt-six siècles, « la langue est la meilleure ou la pire des choses ».
Cette citation peut s’appliquer à la technique d’authentification biométrique, qui peut être un outil précieux pour identifier une personne recherchée, mais également servir la politique de répression d’un régime totalitaire.
Son usage fait la une de l’actualité à quelques mois de la Coupe du monde de rugby en septembre prochain et des jeux Olympiques en juillet 2024. Ne faut-il pas avoir peur de cette technologie potentiellement redoutable ?
Rappelez-vous, le 16 avril dernier, la République islamique d’Iran a annoncé la mise en place d’une politique répressive pour lutter contre le non-port du voile. Pour arriver à ses fins, le régime des mollahs a annoncé l’introduction du système de reconnaissance faciale pour traquer ces femmes, militantes de la liberté.
En Chine populaire, dans un pays qui maîtrise parfaitement cette technologie, la reconnaissance faciale a été généralisée au point que les autorités sont en mesure d’identifier dans la rue chaque individu, de connaître le solde de son compte bancaire, de procéder à la filature et à l’arrestation de celui ou de celle n’ayant pas payé son reliquat d’impôts ou une amende reçue dans le train ou le métro.
Plus récemment encore est apparu un programme informatique américain, ChatGPT, qui bouleversera sans doute notre rapport à la compétence.
C’est dans ce contexte que, lors de l’examen au Sénat, en janvier dernier, du projet de loi relatif à l’organisation des jeux Olympiques de Paris, la question de la reconnaissance biométrique s’est posée à la représentation nationale.
En effet, 2024 sera une année où la France accueillera des sportifs et supporters du monde entier. Il serait terrible pour notre image que la menace terroriste ou la criminalité organisée viennent ternir cette période.
Cela nous a permis de prendre conscience du vide juridique existant en droit français sur ce sujet. Il était donc urgent de légiférer et cette proposition de loi vient donner un cadre légal à l’usage de cette pratique. Pour cela, je remercie vivement mes collègues Marc-Philippe Daubresse, Arnaud de Belenet et Bruno Retailleau de nous présenter aujourd’hui ce texte.
Un rapport d’information publié le 30 mars 2023 par quatre sénateurs de la commission des affaires européennes du Sénat a pour autant qualifié de « pratique à haut risque » la mise en place de la reconnaissance biométrique dans l’espace public, invitant le législateur à l’interdire totalement, sauf raison très exceptionnelle.
Le texte qui vient aujourd’hui devant le Sénat tient compte de toutes ces préoccupations.
Sur le fond, il précise, dès son article 1er, que la reconnaissance biométrique est limitée par plusieurs lignes rouges. Il vise à interdire formellement la catégorisation, la notation et la reconnaissance biométrique des personnes physiques dans l’espace public.
Je salue également le travail de la commission des lois et de son rapporteur Philippe Bas, qui a ajouté l’interdiction de l’identification a posteriori dans l’espace public. Ces interdictions posent les bases d’une garantie de maintien des libertés, empêchant notre pays de sombrer dans une société de surveillance généralisée.
Ceci étant, il est nécessaire de se doter de tous les moyens que la technologie nous offre pour protéger les Français des attaques terroristes ou de la criminalité grandissante.
Ainsi, il est proposé d’expérimenter pour trois ans un système de reconnaissance biométrique. Les différentes exceptions au principe d’interdiction seraient obligatoirement autorisées par la loi et l’application réglementaire se ferait après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ou de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
En ce qui concerne l’utilisation d’images en temps réel, cette pratique serait limitée aux actions antiterroristes, afin d’éviter une attaque sur des civils innocents. Ainsi, à titre expérimental, les services du premier cercle, notamment la DGSI et Tracfin, pourront utiliser la reconnaissance faciale sur la voie publique, lorsqu’une action concernera, par exemple, la défense nationale ou la prévention d’un attentat terroriste.
L’utilisation d’images pour des enquêtes judiciaires, quant à elle, ne pourra se faire qu’après autorisation de l’autorité judiciaire afin de lutter contre la grande criminalité ou de rechercher des fugitifs ou des victimes d’enlèvement.
Enfin, pour des événements particuliers ayant lieu sur la voie publique comme les jeux Olympiques, par exemple, ce système pourra être mis en place pour des actions de police administrative, donc préventive, lorsqu’une menace grave planera sur ledit événement.
Même si je n’évoquerai pas en détail tous les points de la proposition de loi, celle-ci arrive à point nommé. Elle me semble constituer un bon équilibre entre la nécessaire garantie des droits fondamentaux d’une démocratie comme la France et le défi d’une protection efficace de nos concitoyens.
Ce texte, je l’espère, servira de base et d’exemple pour nos homologues européens en matière d’utilisation de la reconnaissance biométrique.
Il était donc logique, dans ces conditions, que la commission des lois tienne compte des craintes exprimées sur les dangers potentiels de la mise en œuvre d’une telle technologie dans l’espace public.
Le texte issu des travaux de la commission, qui sera soumis au vote du Sénat, exprime de façon très didactique la prise en compte des interrogations légitimes de certains élus sur les possibles dérives de la reconnaissance biométrique dans l’espace public et organise un dispositif légal garant de la sécurité des citoyens et des libertés publiques. Il a d’ailleurs été approuvé à l’unanimité par la commission des lois, ce dont je me félicite.
Telles sont les raisons pour lesquelles je voterai ce texte.