Intervention de Pascal Savoldelli

Réunion du 14 juin 2023 à 21h30
Protéger les logements contre l'occupation illicite — Exception d'irrecevabilité

Photo de Pascal SavoldelliPascal Savoldelli :

… puisque 3, 5 % des ménages possèdent près de 68 % du parc privé ! Il y a des situations d’occupation de logement qui posent problème, il est vrai, mais elles ne seront réglées ni par une amende, ni par la force, ni par cette proposition de loi. Derrière un texte que vous avez intitulé « loi anti-squat » se dissimulent des mesures anti-locataires.

Le manque de logements accessibles avec des loyers adaptés aux revenus des ménages, le manque de logements tout court, avec un niveau de construction au plus bas depuis vingt ans, et, bien évidemment, le nombre insuffisant de places d’hébergement sont des éléments représentatifs du manque de moyens alloués à la politique du logement. Étant donné que près de 5, 7 millions de personnes consacrent plus de 35 % de leurs revenus au logement, il paraît évident que seules la revalorisation des salaires et l’augmentation du pouvoir d’achat constitueraient une solution pérenne à la crise du logement.

Le délai anormalement long pour être reconnu prioritaire au titre de la loi Dalo ne fait qu’augmenter : il atteint dix ans – une décennie ! – à Paris et au moins trois ans en Île-de-France. Et pour beaucoup, partout, les délais sont souvent indéterminés et plus longs encore. Les hébergements sont toujours saturés, en nombre insuffisant et de mauvaise qualité.

Dans la rue, on ne vit pas, on survit, si on a de la chance. On est victime de violence, on est confronté à la solitude ou à l’isolement. Sans évoquer la situation des femmes à la rue, victimes de l’intersectionnalité de leur situation.

Les locataires endettés sont des êtres humains, des femmes, des hommes et même des enfants. Dans notre pays, les familles ne sont pas prioritaires pour un hébergement si leur enfant a plus de trois ans.

Comment ne pas penser au jeune Falou, âgé de 4 ans, et à sa maman. Passant d’hôtel en hôtel et de logement de secours en logement de secours pendant des mois, livrés à eux-mêmes et dépendants du fonctionnement aléatoire du 115. Cette situation ayant entraîné un retard de croissance inquiétant, le jeune Falou ne grandissait plus depuis ses 3 ans.

Mes chers collègues, alors que vous vous apprêtez à durcir les sanctions à l’encontre des locataires cherchant à se maintenir à l’abri, sachez que 611 personnes sans domicile sont mortes dans la rue l’an dernier ! Cette année, il y en a déjà plus d’une par jour, selon le collectif Les Morts de la rue. Sur la période 2012-2021, 126 personnes décédées étaient mineures ; en 2021, le plus jeune avait 1 mois ! Ceux-là ne sont-ils pas des enfants comme les autres ? La convention relative aux droits de l’enfant, dont l’article 1er dispose que l’on est enfant jusqu’à 18 ans et l’article 27 réaffirme le droit à l’alimentation, à l’habillement et au logement pour tous les enfants, est pourtant très claire.

Certains d’entre eux sont des enfants sans toit, alors même qu’ils sont scolarisés, comme le jeune Falou, au groupe scolaire de l’Orme au Chat d’Ivry-sur-Seine. Je connais la stupeur de ses camarades de classe, des parents d’élèves et des enseignants confrontés à l’inaction. C’est pourquoi nous avons lutté tous ensemble, avec le collectif de parrainages civils de la ville, mais aussi, je le reconnais, avec la préfète du Val-de-Marne, qui a constaté avec nous l’imperfection des dispositifs d’hébergement d’urgence.

Dans la période que nous vivons – hausse des prix de l’alimentation et de l’énergie sans hausse proportionnelle des salaires –, ce n’est pas le moment d’ajouter des punitions ni de se montrer plus sévère à l’encontre de celles et ceux qui n’y arrivent plus.

Pis, l’action mise en œuvre par le Gouvernement ces dernières semaines a eu pour seule conséquence de permettre une hausse des loyers de 3, 5 %, à la suite d’une proposition de loi débattue la semaine dernière : nous l’avons rejetée, mais elle va revenir, avec l’aide de la majorité présidentielle, de la droite et de l’extrême droite, à l’Assemblée nationale. Comme si tout n’était pas déjà assez cher ! Comme si les APL n’avaient pas été les premières cibles de la politique du logement de M. Macron dès son premier quinquennat !

Le monde vers lequel vous nous conduisez prend déjà forme : quelque 330 000 personnes sont à la rue, près de 2, 4 millions de ménages attendent un logement social, dont 100 000 dans mon département du Val-de-Marne, plus de 4 millions de personnes sont mal-logées et 12 millions de personnes sont en situation de précarité énergétique.

Aux victimes de la bombe sociale provoquée par la crise du logement, vous répondez : « payez vos loyers ou vous payerez des amendes ».

Pourtant, notre droit protège ; et il doit d’abord protéger davantage celles et ceux qui en ont le plus besoin. Voilà notre rôle d’élus, de républicains convaincus !

Alors que les pouvoirs publics n’existent que pour favoriser la cohésion sociale, ils en sont aujourd’hui les destructeurs.

Une personne, qu’elle soit pauvre ou non, a droit à un toit. Elle a droit à un logement décent, quels que soient ses revenus. Et c’est d’ailleurs le problème de ce texte, qui tend à accentuer l’asymétrie de pouvoir entre les locataires et les propriétaires. Par cette proposition de loi, vous retirez des droits aux locataires, sans ajouter de devoirs aux propriétaires, comme si le marché réglait tout.

J’avais relevé en ce sens les propos du Président de la République qui déclarait, dans un élan de lucidité : « Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. » C’était le 12 mars 2020, au début de la pandémie de covid-19, mais les promesses du monde d’avant n’ont jamais vu le monde d’après…

Les essentiels, « que nos sociétés rémunèrent si mal », comme le Président ajoutait encore, comptent justement dans leurs rangs de nombreuses personnes prises à la gorge par le prix exorbitant de leur loyer, combiné à la faiblesse de leurs revenus et à la violence de certaines lois.

Vous vous rangez derrière le droit de propriété, c’est là votre seul argument – je viens de l’entendre de nouveau. Pourtant, ce droit n’est pas mis à mal, le propriétaire restant tout à fait propriétaire de son bien, qui doit demeurer différent de son domicile. Sur ce point aussi, la proposition de loi ajoute de la confusion en mettant sur le même plan les notions de propriété et de domicile.

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