Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 13 constitue la clé de voûte de ce projet de loi.
Nous avons tous bien compris la consigne qui s’applique à cet article : il faut un vote conforme. Mais, ajoute-t-on, que personne ne s’inquiète, cet article ne s’appliquera pas, en tout cas pas au Sénat.
Décidément, depuis le souhait du Président Jacques Chirac de voir voter la disposition relative au contrat première embauche, ou CPE, tout en proposant de ne pas la mettre en œuvre, il semblerait que cette étrange vision de l’élaboration de la loi soit devenue une référence.
Mes chers collègues, cela fait maintenant des semaines, voire des mois, que chacun a fait valoir ses arguments. Nous avons vu comment les échanges se sont passés à l’Assemblée nationale…Depuis, nous faisons tous des efforts pour nous écouter, pour entendre les différents points de vue.
Je crois avoir compris moi aussi : tout vient de l’obstruction qui serait pratiquée et qui bloquerait donc notre mode de fonctionnement. Ce serait là le fléau qui autoriserait à réduire le temps d’expression des parlementaires quitte, même, à les empêcher de défendre leurs amendements.
Je crois, monsieur le secrétaire d’État, que vous vous trompez de cible et, mes chers collègues, vous le savez bien : ce n’est pas le Parlement qui retarde les réformes ; le Gouvernement s’en charge très bien tout seul ! À qui sont imputables la boulimie de réformes, l’inflation législative, l’empilement d’ordonnances qui désorganisent le travail ? Au Gouvernement, quelle que soit d'ailleurs sa couleur politique, et non aux parlementaires ! La véritable obstruction vient de là, et non d’une opposition sur laquelle on cherche trop souvent à se défausser.
Nous ne reconnaissons pas ce mode de gouvernance, cette « omniprésidence », qui considère que le temps du Parlement est du temps perdu. Pour nous, le temps du Parlement est le temps de la démocratie.
D’ailleurs, les expériences dans d’autres parlements le montrent : plus l’opposition dispose de moyens pour intervenir dans le processus législatif, moins elle se trouve contrainte de recourir à l’obstruction.
Et même quand la loi est plus rapidement votée, elle n’est pas mieux ni plus rapidement appliquée.
Le contrôle d’application des lois, que le Sénat a mis en place depuis 1972 et dont certains s’aperçoivent enfin de l’utilité, montre sans contestation que trop de lois, parfois bâclées, ne sont pas appliquées faute de décrets, souvent difficiles à rédiger du fait des termes trop imprécis de la loi.
Le droit d’amendement est constitutionnellement attribué et reconnu aux parlementaires. Il existe donc une contradiction fondamentale entre la globalisation du temps de parole et le droit d’amendement qui est garanti à tout parlementaire, individuellement, et qui est protégé par la Constitution.
Limiter la durée du débat parlementaire a une conséquence directe : cela revient à interdire la défense des amendements dès lors que la discussion aura dépassé le temps imparti.
Pour nous, il est clair que cette limitation des débats en séance publique conduirait à remettre en cause le droit individuel de chaque parlementaire à amender un texte en séance publique.
On aurait pu imaginer que la dureté de ce dispositif serait contrebalancée par la possibilité de le décider par consensus. C’était là, au fond, le véritable sens des propositions que j’avais pu faire dans un rapport élaboré lors de la dernière campagne des élections présidentielles et dont il a été souvent question ; nous aurons certainement l’occasion d’y revenir.
Les belles promesses de la révision, qui devait « renforcer les droits du Parlement et ceux de l’opposition », sont aujourd’hui bien loin !
S’exprimant devant le Congrès le 21 juillet 2008, le Premier ministre évoquait, s’agissant de la révision constitutionnelle, une « réforme qui tempère les pouvoirs de l’exécutif en renforçant ceux du législatif » et défiait « quiconque de trouver dans un seul de ces articles un recul pour les libertés ! » « Tous convergent pour élargir les champs de notre démocratie et mieux équilibrer les pouvoirs », affirmait-il.
La révision du 23 juillet 2008 va donc, sous couvert d’une prétendue rationalisation du droit d’amendement, aboutir à un recul de la démocratie parlementaire, alors que tout devrait être fait, au contraire, pour s’efforcer de parvenir à des consensus afin d’améliorer l’efficacité des débats en séance publique.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on aurait évité la dramatisation des débats autour de cet article 13 si vous aviez retenu cette idée de consensus, si vous aviez cherché à renforcer les droits de l’opposition, en reprenant par exemple l’idée de « charte des droits de l’opposition », qui était proposée dans le rapport Balladur et qui devait « garantir les bonnes pratiques d’une démocratie respectueuse des opinions et des personnes », ou si les mesures d’application de l’article 51-1 de la Constitution, qui évoque des « droits particuliers » en faveur de l’opposition et des groupes minoritaires, avaient été adoptées avant la discussion de ce texte.
Parce qu’elle élude la vraie question des droits de l’opposition, parce qu’elle constitue une atteinte au droit constitutionnel d’amendement, cette nouvelle procédure, que le groupe socialiste récuse de la façon la plus nette, contribue à abaisser encore davantage les droits du Parlement.
Mes chers collègues, ce que nous défendons dans ce débat, ce sont non pas nos seuls droits, mais ceux de l’ensemble des parlementaires, de la représentation nationale, le droit du peuple souverain à s’exprimer par l’intermédiaire de ses représentants.
Encore une fois, ce que nous défendons, ce sont les grands principes qui fondent notre République.