Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du 29 juin 2023 à 14h45
Programmation militaire pour les années 2024 à 2030 — Rapport annexé précédemment réservé suite

Photo de Sébastien LecornuSébastien Lecornu :

Je commencerai par donner l’avis du Gouvernement sur les amendements identiques n° 142 et 220.

Que le Parlement soit éclairé sur le coût d’un éventuel deuxième porte-avions, c’est une demande de l’Assemblée nationale. Le raisonnement de vos collègues députés était le suivant : plus nous avancerons dans le programme du porte-avions de nouvelle génération, plus nous objectiverons des coûts réels.

L’idée était donc d’éclairer la Nation sur les économies d’échelles que nous pourrions réaliser – éternel débat – en construisant un deuxième porte-avions. Je précise, à toutes fins utiles, qu’il n’est pas question d’en construire un deuxième. Il s’agit seulement de faire la transparence sur la structure des coûts.

Je laisse M. le rapporteur déterminer avec ses collègues députés ce qu’il est bon d’inscrire dans la loi. En l’occurrence, je trouve que cela a du sens de réaliser cette étude, car le président Cambon a raison de dire que la structure des coûts du porte-avions fait l’objet de nombreux fantasmes. D’ailleurs, plusieurs de vos collègues écologistes à l’Assemblée nationale y étaient favorables afin de disposer d’un chiffre exact qui serait utile au débat.

Pour ma part, je ne suis pas favorable à ces amendements, qui tendent à refuser de documenter un chiffre. Alors que nombre d’entre vous nous appellent à la transparence et à éclairer le Parlement sur les grands choix, il me semble paradoxal de s’opposer à la démarche des députés lorsqu’ils demandent au Gouvernement de produire des structures de coûts.

Je demande donc le retrait de ces deux amendements identiques ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Ensuite, il y a la question du porte-avions en tant que tel. Je pense que Pierre Laurent ne se satisfera pas des arguments de M. le rapporteur ; aussi vais-je avancer d’autres arguments, d’ordre militaire, sur l’outil porte-avions en tant que tel.

Le porte-avions n’existe pas sans groupe aéronaval. Il faut replacer le débat sur le porte-avions dans ce contexte global. Et j’isole de mon propos la force aéronavale nucléaire (Fanu), que nous sommes la dernière puissance à posséder.

Jadis, la mer était un espace de conflictualité à partir duquel il s’agissait d’atteindre la terre, c’est-à-dire, pour présenter les choses rapidement, depuis lequel on débarquait ou on bombardait.

Aujourd’hui, la mer est devenue un espace de conflictualité à part entière. Il s’agit de garantir la liberté d’accès aux routes maritimes, y compris civiles, notamment pour l’exportation de nos matières premières agricoles ou pour l’importation d’hydrocarbures, que ce soit à Suez, à Bab el-Mandeb ou à Ormuz. L’enjeu, c’est de faire respecter le droit maritime régissant les grandes routes maritimes ; et je n’évoque pas les zones économiques exclusives (ZEE) de nos outre-mer.

Cela n’est pas sans lien avec l’amendement de Mme la ministre Carlotti relatif à la Méditerranée. La sécurité de l’espace méditerranéen devient de plus en plus tendue ; c’est vrai aussi bien sous la mer – « guerre des mines », sabotage des câbles sous-marins, protection des oléoducs, etc. – que dans le ciel au-dessus de la mer.

D’ailleurs, la sécurité maritime va désormais passer par un appui aérien durci. Aussi, je suis prudent s’agissant des arguments fondés sur les « tonnes de diplomatie en mer », lesquels sont réfutables.

De plus, au point de vue purement tactique et opérationnel, il n’est pas vrai qu’une frégate ou des corvettes peuvent assurer la même mission de protection du ciel qu’un porte-hélicoptères. De même, un porte-avions ne peut pas remplir la même mission qu’un porte-hélicoptères ; il a des missions qui lui sont propres. Par exemple, la chasse lui permet d’assurer et d’assumer des missions de police du ciel. C’est un point clef, selon moi.

Pour être cohérent, et un peu provocateur, je dirai qu’un porte-avions est aussi l’un des gages de notre autonomie stratégique, y compris au sein de l’Otan. En effet, dans la mesure où un porte-avions américain, à l’instar de l’USS H. W Bush, et son groupe aéronaval sont en permanence postés en Méditerranée, si un jour nous n’avions plus de groupe aéronaval – à Dieu ne plaise ! –, nous abandonnerions clairement une partie du segment tactique militaire en Méditerranée aux Américains. En l’assurant nous-mêmes, nous garantissons notre capacité à interagir dans cet espace.

Monsieur le sénateur Laurent, beaucoup de mes arguments ne vous convaincront peut-être pas, car votre groupe a une position historique, construite et permanente à ce sujet. Mais au-delà des arguments purement géopolitiques ou symboliques, il y a des réalités sécuritaires ou propres aux combats, qui méritent d’être soulignées, car elles justifient ce porte-avions.

Pourquoi s’agira-t-il d’un porte-avions de nouvelle génération, me rétorquerez-vous ? Cette question est un point de clivage entre les formations politiques, ici comme à l’Assemblée nationale. Il convient donc d’éclairer le Parlement à ce propos.

Les Américains et nous sommes les derniers à recourir à la propulsion nucléaire, et pour cause ! Aussi faut-il sanctuariser notre savoir-faire en la matière. Nous utilisons des chaudières nucléaires pour la propulsion du porte-avions, des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) et des SNLE. Je précise que « propulsion » ne veut pas forcément dire « dissuasion » ; pensons aux sous-marins nucléaires d’attaque.

Le savoir-faire industriel de Framatome – il faut citer leur activité au Creusot, pour être concret –, de TechnicAtome ou de la direction des applications militaires (DAM) du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, subira une rupture de charges importante si le porte-avions de nouvelle génération n’est pas doté de chaufferies nucléaires. Par ailleurs, cela altérerait notre autonomie stratégique.

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