Aussi, je me bornerai à vous proposer trois considérations.
La première porte sur le contexte économique général. Monsieur le ministre, vous aimez citer le général de Gaulle, dont les décisions et actions ont été guidées par le souci de l’indépendance et de la souveraineté de la France, auxquelles l’armée et la dissuasion nucléaire contribuent au premier rang.
Mais cela ne suffit pas, hélas ! Que signifient la souveraineté et l’indépendance d’un pays qui consacre plus d’argent à la charge de sa dette qu’à sa défense ? Cette charge sera supérieure de près de 10 milliards d’euros au budget de la défense en 2025, soit le coût d’un porte-avions !
Que signifient la souveraineté et l’indépendance d’un pays dont le déficit du commerce extérieur est trois fois supérieur au montant du budget des armées ? Du reste, une partie de ce déficit est liée aux approvisionnements alimentaires et énergétiques, voire aux matières premières indispensables à notre industrie de défense !
Je vous concède bien volontiers que la trajectoire budgétaire de la LPM en vigueur a été respectée. Pour autant, le projet que vous nous soumettez, dans un contexte où les textes programmatiques se multiplient, entre en concurrence avec les lois de programmation des ministères de l’intérieur, de la recherche et de la justice et avec tant d’autres projets annoncés, qu’il s’agisse de transition énergétique, d’accès aux soins ou d’éducation. Or l’objectif demeure la réduction à 3 % du déficit public en 2027. C’est une gageure, comme l’a démontré le Haut Conseil des finances publiques. Lorsque tout devient prioritaire, il est urgent de faire des choix !
La deuxième considération porte sur la crédibilité financière.
Rien ne vous obligeait à déposer un nouveau projet de LPM dès cette année ni à recourir à la procédure accélérée, puisque l’actuelle loi court jusqu’en 2025. Sans contester la nécessité de l’ajuster pour mieux intégrer le maintien en condition opérationnelle (MCO), qui conditionne la disponibilité effective de nos armements, et la montée en puissance du cyber, j’observe que l’ambition capacitaire de 2030 est reportée à 2035, sur fond de retour de la guerre sur le sol européen.
Encore plus problématique est la trajectoire proposée, puisque le Président de la République, qui vantera les mérites de cette programmation dès le 14 juillet prochain, n’est pas celui qui aura à trouver les milliards annoncés à compter de 2028. Laisser à d’autres le soin de financer dans cinq ans les décisions prises aujourd’hui n’est acceptable ni politiquement ni démocratiquement.
Et c’est sans compter qu’une telle trajectoire des crédits serait en contradiction avec le concept d’« économie de guerre », que vous avez introduit dans ce projet de LPM avec la définition suivante : produire plus, plus vite et moins cher. Mais, à la fin des fins, on risque de produire moins, moins vite et plus cher. La montée en puissance doit donc débuter dès cette législature.
Par ailleurs, on peut s’interroger sur les fameuses marges frictionnelles, qui consistent à anticiper des retards de livraison ou de paiement. Les reports de charges devraient approcher les 5 milliards d’euros en 2023, auxquels il faudrait ajouter les 6, 2 milliards d’euros que vous projetez pour la période 2024-2030. Au total, il manquerait donc 11 milliards d’euros, soit 20 % d’une année de fonctionnement ou encore un porte-avions !
De notre point de vue, dès lors qu’un besoin financier estimé à 413 milliards d’euros est inscrit dans un projet de loi de programmation, il doit être intégralement couvert par des crédits budgétaires, exception faite de recettes extrabudgétaires dûment documentées. C’est pourquoi nous proposons de porter a minima l’enveloppe de crédits budgétaires à 407, 4 milliards d’euros sur la période.
À défaut de garanties sur la révision de la trajectoire pour la rendre plus linéaire sur la période et sur la réévaluation plus réaliste du besoin de financement, nous considérons que la crédibilité et la sincérité de ce texte ne sont pas acquises.
La troisième considération porte sur la méthode.
Monsieur le ministre, vous êtes en quelque sorte la victime de la manière dont le Gouvernement a traité le Parlement tout au long de l’actuelle LPM et singulièrement de son refus d’appliquer l’article 7 de ce texte, selon lequel la programmation devrait faire l’objet d’actualisations.
Nous vous avons cru dans un autre état d’esprit, jusqu’aux propos que vous avez récemment tenus, et nous nous en réjouissions. Échaudés, nous souhaitons avoir des garanties. C’est le sens de nombre d’amendements, qui visent non pas à modifier le rôle du Parlement, mais tout simplement à ce que celui-ci dispose des informations indispensables pour lui permettre de remplir sa mission.
La situation géopolitique, économique et sociale, voire intérieure, requiert plus que jamais lucidité et courage. Tout au long de la discussion, nous serons guidés par deux objectifs : adopter un texte de vérité plutôt que d’affichage ; prendre toutes nos responsabilités constitutionnelles de parlementaires, c’est-à-dire voter et contrôler.
C’est le sens des amendements de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, dont je salue le travail de qualité. C’est également le sens des amendements et des précisions que nous lui avons proposés et qu’elle a bien voulu retenir. Sous réserve de leur adoption, la commission des finances émet un avis favorable à ce projet de LPM.