Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans nos vies d’aujourd’hui, l’espace virtuel et la réalité matérielle sont intriqués.
Ces derniers jours en ont été une démonstration à la fois éclairante et effrayante. La propagation fulgurante du sentiment d’injustice lié à la mort du jeune Nahel et la flambée d’émeutes, de violences et de pillages inacceptables sur tout le territoire sont en grande partie le fait du partage instantané et démultiplié sur les multiples plateformes qui nous connectent, qui connectent les communautés.
Les grandes plateformes ont aujourd’hui capté l’attention et les données de la majorité d’entre nous et font commerce de la polarisation grandissante de nos sociétés.
Notre société est aujourd’hui confrontée au défi majeur d’une économie basée sur la disruption, le dépassement des normes et le contournement des régulations, qui percute son contrat social.
Le présent texte est, à cet égard, d’une importance majeure. « Sécuriser et réguler l’espace numérique » : tel est son intitulé. Tel est notre défi aujourd’hui.
Les algorithmes trient et organisent notre espace informationnel. Nos données personnelles deviennent la proie de toutes les convoitises du capitalisme de surveillance.
Comme elle a su le faire avec le RGPD, l’Union européenne, qui constitue le premier marché mondial, a travaillé pour construire des règlements solides et adaptatifs. Les règlements européens DMA, pour lutter contre les aspects anticoncurrentiels des géants du net, ou DSA, pour lutter notamment contre la haine en ligne et la désinformation, sont les plus connus.
Le texte que nous examinons aujourd’hui vise en partie à transposer ces textes, mais il va plus loin et se veut plus global.
Son objectif est donc de sécuriser et de réguler.
Sa première ambition est de sécuriser, et, tout d’abord, de sécuriser certains publics vulnérables en ligne.
Ainsi, les premiers articles entendent protéger les mineurs de l’accès aux sites pornographiques en instaurant un âge légal effectif. L’intention est évidemment louable, mais nous allons buter sur une question quasi aussi vieille qu’internet. Comme je l’ai dit dans cet hémicycle il y a quelques jours, à l’occasion de l’examen de la proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne, à l’heure actuelle, en France comme partout dans le monde, personne ne dispose de solution technique qui soit à la fois satisfaisante du point de vue de l’efficacité et protectrice des libertés individuelles.
Je reste donc extrêmement réservé sur le caractère opérationnel du référentiel que nous demandons à l’Arcom de concevoir. Voilà plusieurs années que l’Arcom et la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) se penchent sur le sujet et, il faut dire les choses comme elles sont, la solution technique n’existe pas à l’heure actuelle. L’équation à résoudre entre contrôle d’âge, protection de la vie privée et sécurité des données paraît, pour l’instant, difficile à résoudre. Nous proposerons plusieurs amendements pour tenter de mieux cerner les contours de ce référentiel.
Le projet de loi vise également à sécuriser le public face aux cyberviolences. À cet égard, le texte comporte plusieurs mesures intéressantes, notamment sur la peine complémentaire de bannissement des réseaux sociaux ou la lutte renforcée contre la pédopornographie.
Nous en faisons tous les jours le constat : les femmes sont particulièrement prises pour cible sur les réseaux sociaux. Un phénomène de meute se développe et des situations de harcèlement inacceptables surviennent au vu et au su de tous.
Il est temps d’en finir. C’est pourquoi nous vous proposerons d’enrichir encore les mesures du texte en la matière, avec une amende forfaitaire délictuelle pour les outrages sexistes en ligne, un renforcement des missions de la plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements (Pharos), l’interopérabilité des messageries des réseaux sociaux ou encore la suspension du compte comme mesure de contrôle judiciaire. La peur doit changer de camp, y compris en ligne.
La seconde ambition de ce texte est de réguler.
Il régule le business des clouds, pour une plus grande protection des consommateurs.
Il régule le milieu de la location de biens meublés, répondant ainsi à une demande très forte des collectivités. Nous nous réjouissons de la présence de cet article, particulièrement bienvenu, dans le texte.
Il régule, enfin, les jeux dits « à objets numériques monétisables », mais, sur ce sujet, nous sommes plus que circonspects.
La rédaction initiale du texte prévoyait de donner au Gouvernement une autorisation de légiférer par ordonnance, sans plus de précision. Cette rédaction a été réduite, en commission spéciale, à une simple expérimentation, ce qui est mieux, mais toujours pas satisfaisant. En effet, ces objets – pour être plus précis, ces jetons non fongibles, fondés sur l’expérience de gains et échangeables en ligne – se situent à la limite entre le jeu vidéo à vocation spéculative et le jeu d’argent pur et simple. Nous considérons que les enjeux, notamment en termes d’addiction et de mise en danger financière, sont trop importants et mériteraient un texte dédié, qui pourrait également traiter la question des cryptoactifs.
Enfin, pour réguler, il faut des régulateurs. Le texte de loi ne les a pas oubliés. Arcom, Arcep, Cnil : les trois agences se voient confier de très nombreuses missions dans l’espace numérique. Reste une inconnue : celle des moyens qui leur seront confiés pour remplir ces nouvelles missions. Sur ce point, le prochain projet de loi de finances devra prendre sérieusement acte du présent projet de loi ; nous y veillerons.
Pour conclure, j’aborde la discussion de ce projet de loi avec un esprit constructif. Hormis les réserves que j’ai pu émettre lors de la discussion générale et quelques autres, que je vous présenterai par voie d’amendement, je prends acte d’un certain équilibre dans les mesures du texte. C’est cette recherche d’équilibre qui doit nous animer lorsque l’on traite du numérique.
Nous avons à cœur de préserver à la fois la liberté, l’anonymat et le foisonnement créatif que seuls permettent les espaces libres sur internet, tout en préservant la dignité des personnes qui le font vivre.
Ni surveillance généralisée ni Far West, mais contrôle des données et transparence et régulation des plateformes : voilà notre ligne directrice.
À la lecture de ce texte, j’ai l’impression que c’est aussi celle de nos rapporteurs et de notre ministre, ce dont je me réjouis.