Intervention de Pierre Ouzoulias

Réunion du 13 juillet 2023 à 10h30
Biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 — Vote sur l'ensemble

Photo de Pierre OuzouliasPierre Ouzoulias :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce n’est pas la vocation du Parlement d’écrire l’histoire, et la loi que nous allons voter n’est pas une loi mémorielle. Ce texte pose les bases juridiques de procédures administratives permettant de sortir de la domanialité publique des biens culturels pour les restituer aux ayants droit des familles auxquelles ils ont été volés.

Partant, il fonde en droit, de manière tout à fait inédite, la reconnaissance par la loi des spoliations organisées par l’État français. À ma connaissance, c’est la première fois qu’une loi mentionne la date du 10 juillet 1940, et donc le vote par lequel 426 députés et 244 sénateurs accordèrent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.

Ce jour-là, la République n’a pas été assassinée ; elle s’est suicidée.

Douze jours plus tard, le gouvernement du maréchal Pétain promulgua une loi portant révision des naturalisations obtenues depuis 1927, qui priva 6 000 Français de confession juive de leur nationalité.

Progressivement, le régime de Vichy mit en place une législation antisémite et une administration chargée de la mettre en œuvre. Les radiations précédèrent les spoliations, qui préparèrent la déportation, et finalement la Shoah.

L’État pétainiste mit ainsi toute son administration au service de l’aryanisation des entreprises et du pillage des biens des familles de confession juive. Sans doute plus de 100 000 biens culturels furent ainsi saisis.

La loi du 10 juillet 2000 a reconnu officiellement les crimes racistes et antisémites de l’État français et instauré une journée nationale à la mémoire de leurs victimes.

Le présent projet de loi va plus loin, en identifiant non seulement les spoliations perpétrées par l’Allemagne nazie et par Vichy, mais aussi les vols et les dols commis par des particuliers profitant de l’extrême vulnérabilité des personnes fuyant la persécution.

Ce changement de doctrine avait été acté depuis la restitution d’un tableau de Klimt, acheté par le musée d’Orsay à une galerie suisse, qui le tenait d’un intermédiaire l’ayant lui-même obtenu à vil prix d’une famille déportée par la suite dans un camp d’extermination.

Cet élargissement considérable du périmètre de recherche des œuvres spoliées oblige les institutions muséales à s’assurer des conditions d’acquisition, en France et à l’étranger, jusqu’en 1933, des œuvres qu’elles conservent.

La mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 du ministère de la culture et la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l’Occupation, placée auprès de la Première ministre, ont déjà organisé leurs travaux pour satisfaire à cette nouvelle exigence.

Il convient maintenant que toutes les institutions muséales se donnent les moyens d’un récolement général de leurs collections à la lumière de ce nouveau critère.

Le second apport considérable de ce texte est de méthode. Il est de bonne politique de confier à un service scientifique toute l’animation de la politique publique en matière de recherche de provenance, et à une commission indépendante la mission de proposer à la Première ministre un avis sur la base d’une analyse administrative et juridique.

Les deux institutions travaillent dans une parfaite collaboration, et l’indépendance de la CIVS, garantie par ses statuts et sa composition, confère à ses avis un bénéfice essentiel et tout à fait nécessaire.

Je me félicite donc que la Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l’Occupation voie son existence et sa mission reconnues par la loi et ses attributions, élargies. Cette commission est compétente pour instruire les conditions de la spoliation, mais aussi pour proposer des alternatives aux différentes restitutions.

Après le vote et la promulgation de cette première loi-cadre, je ne doute pas que notre proposition de loi relative à la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques soit adoptée dans les mêmes conditions de coopération et de consensus.

Il restera alors à nous emparer du dossier plus complexe de la restitution des biens culturels spoliés partout dans le monde. Ce que nous avons mis en place avec les deux premiers textes devra nous guider pour mener à bien ce nouveau chantier.

Que l’instruction de ces dossiers de restitution fût assurée dans les mêmes conditions de transparence et d’indépendance qui président aux travaux de la CIVS présente un caractère impérieux. Il ne faudrait pas que l’institution muséale défaillante à les traiter par le passé les organisât dans le cadre d’une relation exclusive avec l’exécutif.

À titre personnel, j’estime que les missions de la CIVS pourraient être étendues à l’instruction de ces dossiers.

En tout état de cause, mes chers collègues, notre groupe votera ce texte avec beaucoup d’émotion et de responsabilité.

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