Absolument, monsieur le rapporteur !
Bref, pour la commission des affaires sociales, « le bilan des lois de financement est très largement positif ». Succulente formule ! Permettez-nous de la savourer, mais sans éprouver le même engouement pour la loi de financement de la sécurité sociale !
Après quelques années de répit, dues à la relance de l'activité économique entre 1997 et 2001, la protection sociale se retrouve de nouveau, et singulièrement depuis 2002, dans une situation financière préoccupante puisque le déficit s'est généralisé. Je vous rappelle que le régime général connaissait un déficit de 3, 4 milliards d'euros en 2002, mais que le déficit est passé depuis à 14 milliards d'euros. Pour ce qui concerne la branche maladie, la nouvelle majorité s'est installée avec un déficit se montant à 6, 1 milliards d'euros ; il a depuis atteint 13, 2 milliards d'euros.
En somme, monsieur le secrétaire d'Etat, depuis votre arrivée, le déficit du régime général a quadruplé et celui de la branche maladie, doublé.
Or, face à une situation de recettes pour le moins critique, vous persistez à invoquer la nécessité de réaliser les économies sur les dépenses, au détriment des assurés sociaux : 800 millions d'euros sur les affections de longue durée ; 300 millions d'euros sur les arrêts de travail et les indemnités journalières ; 700 millions d'euros sur les remboursements des médicaments ; 1, 5 milliard d'euros sur le remboursement des consultations médicales ; 850 millions d'euros sur l'hôpital, etc.
Enfin, outre les exonérations de cotisations sociales, qui s'élèvent à 2 ou 3 milliards d'euros par an, l'Etat doit plus de 4 milliards d'euros aux caisses de sécurité sociale. En effet, comment ne pas rappeler que les dernières lois de financement de la sécurité sociale et les réformes dont elles constituent la mise en musique se sont traduites concrètement par la hausse de la CSG, qui touche des millions de Français de diverses catégories ? Pour les salariés comme pour les retraités, elles ont entraîné la réduction des remboursements et la forfaitisation, prétendument pédagogique, du coût de la médecine de ville par le biais du paiement d'un euro par visite, soit, pour les amateurs de pourcentages, un déremboursement de 14 %.
Comment ne pas également souligner que, sur le plan strictement comptable et financier, l'accroissement des difficultés de la protection sociale va de pair avec la montée en puissance des recettes fiscales affectées à son financement ? Alors que la dette de la sécurité sociale avoisine 33 milliards d'euros, « calée » à 50 milliards d'euros si l'on englobe les années 2005 et 2006, les dispositions diverses de trésorerie s'inscrivent dans ce schéma. Elles se bornent à un renforcement de la répression - glissement de l'ACOSS vers les URSAFF de la compétence du recouvrement - et à une intransigeance en matière de contentieux. A quoi il faut ajouter un renforcement des pouvoirs de contrôle sur les assurés sociaux bénéficiant de prestations dans les établissements de santé, au moyen d'une redéfinition pratique du rôle des caisses nationales de sécurité sociale, telle que l'a prévue la réforme de l'assurance maladie.
Il n'y a donc pas de quoi se réjouir et l'on ne saurait se féliciter de la mise en place d'un système d'une obscure complexité, élaboré dans le mépris des principes démocratiques, lesquels sont pourtant au coeur de la sécurité sociale, dont nous allons fêter le soixantième anniversaire, un système qui, au demeurant, ne parvient nullement à endiguer le déficit de notre protection sociale.
Depuis neuf ans, les critiques formulées à l'encontre des lois de financement de la sécurité sociale ont été nombreuses. Ainsi, en raison de ce système, la consultation des caisses nationales de sécurité sociale est devenue purement formelle : les critiques et les propositions des conseils d'administration ne sont plus jamais prises en compte.
Par ailleurs, les prévisions faites par les lois de financement sont souvent irréalistes, à défaut d'être étayées par des éléments précis. Je donne deux exemples.
Lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, la prévision de croissance du PIB était mensongèrement estimée à 2, 5 %, alors que tous les économistes l'établissaient alors à 1, 3 %. On sait désormais que la croissance a finalement été quasi nulle !
Lors de l'élaboration du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005, la prévision d'un ONDAM de 3, 2 % n'a été étayée par aucun élément précis relatif aux effets de la loi du 13 août 2004.
La transparence des comptes n'existe que dans les discours. Si la Commission des comptes de la sécurité sociale fournit des comptes prévisionnels par branche à législation constante lors de sa réunion annuelle du mois de septembre, il est actuellement impossible de disposer de comptes prévisionnels intégrant les dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale votée par le Parlement.
La situation des fonds de financement n'est pas traitée. On a vu ainsi, notamment à la suite des modifications de la clé de répartition de la CSG, le Fonds de solidarité vieillesse passer d'une situation d'excédent à un actif net négatif, sans que la question de son équilibre financier soit jamais traitée.
Ces nombreuses critiques ne sont que le reflet de problèmes plus fondamentaux sur lesquels ce projet de loi reste silencieux : l'absence de réelle politique publique de la santé et l'absence de démocratie sociale.
Inutile de chercher dans ce projet de loi - par lequel on prétend « donner plus de cohérence, de crédibilité et de sens aux lois de financement de la sécurité sociale » - une quelconque réponse à ces problèmes !
Dans ce projet de loi organique, il est fait mention de la nécessité d'adapter les PLFSS aux « cycles économiques » : cela en dit long sur la politique de santé que compte mener ce gouvernement !
Permettez-moi de citer Bruno Palier, expert en politiques publiques, qui résume ainsi, avec justesse, les enjeux de ce type de réforme : « La prise en compte des débats internationaux montre par ailleurs que les réformes actuelles, marquées par le développement des mécanismes marchands au sein des systèmes de santé, ne sont pas seulement dictées par les conséquences des évolutions technologiques... et démographiques... Elles sont aussi motivées par des préoccupations de politique économique qui visent à mettre les systèmes de santé hérités des Trente Glorieuses keynésiennes en conformité avec les nouvelles politiques macroéconomiques fondées sur l'orthodoxie budgétaire, la centralité des mécanismes de marché et l'impératif de compétitivité. »
Cela semble assez bien définir l'action du Gouvernement qui, en guise de politique de santé publique, procède, sur le plan comptable et financier, à l'augmentation des prélèvements sur les ménages et à la réduction de la quotité des remboursements.
Cette politique gestionnaire se concrétise tout particulièrement dans le système de la procédure d'alerte qui se déclenche si les dépenses risquent d'être supérieures de plus de 0, 75 % au seuil fixé par l'ONDAM.
Cette volonté absurde de restreindre la dépense publique à tout prix vient d'ailleurs d'éclater au grand jour. Ainsi, la communauté hospitalière - la fédération hospitalière de France, la fédération des établissements hospitaliers et d'assistance privés, la fédération nationale des centres de lutte contre le cancer, les conférences de directeurs et de présidents de commission médicale d'établissement de centres hospitaliers et de centres hospitaliers universitaires - s'est servie, pour la première fois, de cette procédure d'alerte sur les dépenses d'assurance maladie. Il ne s'agissait pas de faire rentrer l'ONDAM dans le droit chemin, mais d'alerter l'opinion publique sur l'impossibilité dramatique de continuer à fonctionner normalement avec un budget aussi misérable.
Les organismes hospitaliers expliquent, en effet, que l'enveloppe dévolue pour 2005 aux hôpitaux, en progression de 3, 6 % par rapport à celle de 2004, met les établissements dans une situation intenable, la progression de leurs besoins ayant été évaluée au minimum à 5 %.
Cette saisine du comité d'alerte décevra, à n'en pas douter, notre collègue et rapporteur Alain Vasselle qui, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2005, a formé le voeu de « ne pas voir la procédure d'alerte pour le dépassement de l'ONDAM mise en oeuvre en 2005 ».