Intervention de Bernard Jomier

Commission d'enquête Hôpital — Réunion du 4 janvier 2022 à 14:5
Audition de médecins — Docteur gérald kierzek médecin urgentiste directeur médical de doctissimo ; professeurs michaël peyromaure chef du service d'urologie à l'hôpital cochin paris et stéphane velut neurochirurgien au chu de tours

Photo de Bernard JomierBernard Jomier, président :

Nos collègues vous ont posé de très nombreuses questions, aussi n'hésitez pas à nous adresser tout document complémentaire qui serait nécessaire à notre réflexion.

Professeur Michaël Peyromaure. - Les 35 heures ont été dramatiques pour l'hôpital, car elles n'ont pas été accompagnées d'embauches. C'est plutôt l'inverse : elles ont créé de la pénurie. Il y en aurait peut-être eu sans les 35 heures, mais beaucoup moins qu'actuellement : nous sommes obligés de rappeler 20 à 30 % d'infirmières sur leur week-end... Selon moi, les 35 heures sont une faute grave pour l'hôpital.

Il faut supprimer les pôles, qui n'apportent rien, et repartir du patient. Les pôles ont alimenté les querelles d'ego, certains médecins sont devenus les « collaborateurs » de l'administration. C'est un avis personnel.

Comment débureaucratiser l'hôpital ? Il faut débureaucratiser toute la chaîne, et dégraisser le mammouth dans son ensemble, que ce soit la Haute Autorité de santé (HAS) qui nous pond une norme par semaine ou les ARS qui nous en pondent deux, ou bien les directions d'hôpitaux. Nous ne pourrons débureaucratiser l'hôpital si nous ne supprimons pas quantitativement les gens qui font les normes. Ayons le courage d'instaurer un moratoire sur les normes à l'hôpital, pendant les quelques années qu'il va nous falloir pour récupérer du personnel et pour envisager une réforme structurelle de l'hôpital. Ne pourrions-nous pas simplement dire non à toutes les normes qui nous tombent dessus ?

Je n'ai pas subi de déprogrammation à la dernière minute ainsi, pas à ce point. Il est arrivé que le directeur de l'hôpital intervienne lors de réunions de programmation. L'insuffisance du nombre de salles d'opération conduisait à programmer beaucoup de malades et provoquait des débordements horaires dont le personnel se plaignait. Le directeur a décidé de retirer certains malades du programme, sur des critères totalement arbitraires. Cela a fait l'objet de controverses à l'hôpital. Vous vous en doutez, je ne me suis pas laissé faire. Mais il ne m'est jamais arrivé d'arriver un lundi pour découvrir une opération déprogrammée.

En revanche, il m'arrive presque tous les jours d'arriver au bloc et de découvrir qu'il manque un intérimaire ou une infirmière anesthésiste, et donc de devoir déprogrammer des patients.

Pour qu'un groupe fonctionne, mieux vaut avoir trop de personnel que pas assez. Si vous n'avez pas assez de personnel, une personne manque et le château de cartes s'effondre.

J'ai connu la fin d'une époque où nous avions effectivement un peu trop de personnel et un peu trop de lits. Nous avions de la marge sur le personnel, et c'est la raison pour laquelle cela fonctionnait bien. Mieux vaut avoir trop de personnel. Actuellement, les gestionnaires versent des larmes de crocodile en regrettant le départ du personnel, et disent qu'ils ne savent plus quoi faire. Mais ce sont les mêmes qui ont appliqué cette politique de réduction du personnel. Ce sont les directeurs d'hôpitaux qui ont réduit le personnel. Et comment le réduire ? En fermant des lits. Sachez que les directeurs d'hôpitaux établissent des contrats avec les ARS. Ils sont bénéficiaires de primes de fonction et de résultat, qui dépendent de certains critères. Dans les primes de résultat, il y a systématiquement le critère d'équilibre budgétaire de l'hôpital. Or comment l'obtenir, sinon en jouant sur la masse salariale ? Et comment réduire le nombre d'infirmières ? En supprimant des lits.

Cela fait des années que nous demandons un moratoire sur les fermetures des lits, mais cela continue. Le professeur Varenne, à l'hôpital Cochin, est en train de faire des travaux dans son service de cardiologie, vétuste, qui comptait vingt lits d'hospitalisation conventionnelle, toujours occupés. L'obtention des travaux a été conditionnée à la réduction de vingt à douze lits. Pourquoi douze ? Car c'est la norme qu'il faut pour avoir une seule infirmière, plutôt que deux actuellement. Le professeur va donc devoir réduire les temps de séjour et augmenter le turn-over. Il a beau dire que ce n'est pas possible, on lui a dit que sinon il ne pourra pas faire les travaux...

Malgré toutes nos alertes et nos revendications, cela continue. C'est extraordinaire ! Sans parler de l'hôpital Nord, qui fusionnera les hôpitaux Beaujon et Bichat, où l'on supprimera au passage 30 % des lits.

Nous avons beau alerter, il y a beau avoir des articles dans la presse, des reportages à la télévision, la même politique continue.

Docteur Gérald Kierzek. - Il faut insuffler de la bienveillance et de la bientraitance dans le management, et cela fera revenir spontanément le personnel. Si vous avez de la bientraitance, une bonne évolution des carrières, une aide-soignante qui peut passer infirmière, qui a plaisir à travailler, au sein d'un esprit de famille, les soignants ne vont plus partir, mais revenir. À l'inverse, actuellement, nous sommes dans de la maltraitance institutionnelle. Quand nous alertons, Michaël Peyromaure et moi, publiquement, dans notre hôpital, nous sommes « les deux à sortir », selon les termes mêmes de la directrice hospitalière. Non seulement on ne nous écoute pas, mais il faut nous sortir. Ce système maltraite à tous les échelons.

Les cadres infirmiers font un travail difficile. Ils sont censés être des soignants, une courroie de transmission entre l'administration et les équipes de soignants. En fait, ils se trouvent dans des situations intenables. Avant-hier, j'ai encore reçu un mail d'un cadre infirmier de l'AP-HP qui m'annonce qu'il démissionne, car il n'en peut plus en raison des injonctions paradoxales. Les cadres infirmiers sont devenus de simples collaborateurs de l'administration, faisant appliquer les décisions de l'administration, alors qu'ils devraient faire remonter les besoins du terrain et du soin. On leur demande de faire descendre des normes et décisions complètement aberrantes. Certains craquent et démissionnent, d'autres se résignent, et malheureusement certains jouent le jeu. On leur demande de choisir un camp.

Sur les 35 heures et les RTT, je suis plus modéré. Elles sont une soupape de sécurité. Sans elles, davantage de personnes partiraient. Le personnel est tellement maltraité qu'au moins, il a un peu moins de temps de travail, ce qui lui permet de souffler. Les 35 heures ont peut-être été le péché originel, mais y toucher actuellement, dans le cadre d'une maltraitance organisée et généralisée, ne ferait qu'aggraver les choses.

Peut-on tout faire - recherche, enseignement, soin ? Non, on ne peut pas tout faire au même moment. En revanche, un généraliste peut enseigner à la faculté, un chercheur faire des recherches pendant cinq ou dix ans avant de revenir faire des soins. Cette flexibilité est indispensable. J'ai fait un post-doc au Canada. Ma patronne, chercheuse spécialisée - scientist - sur l'arrêt cardiaque, était une ancienne généraliste qui, à 40 ans, avait décidé de se former. Elle est devenue une leader sur ce sujet. Un tel type de parcours est impossible en France.

Pourtant, le chef de service des urgences de l'hôpital Cochin est à l'origine un généraliste, et non un PU-PH. Il a un parcours atypique.

Docteur Gérald Kierzek. - Oui, mais on ne peut pas, sauf à faire une carrière administrative, être chercheur, chirurgien, puis partir dans le libéral avant de revenir enseigner. L'élève du professeur Velut part définitivement ; il ne pourra plus revenir. Ces allers-retours ne sont pas possibles, alors qu'ils seraient extrêmement bénéfiques, tant pour la personne que pour le système. Je vous rappelle que les nominations des chefferies de service sont faites par les directeurs d'hôpitaux.

Professeur Stéphane Velut. - Je n'ai pas vécu ce cauchemar de déprogrammation le lundi.

Les internes choisissent désormais des spécialités faciles à recycler en libéral, comme la gynécologie médicale, l'ORL, la chirurgie plastique... Elles sont très différentes de celles choisies dans les années 1990 comme la chirurgie cardiaque, la neurochirurgie, la réanimation médicale ou la médecine interne.

Je remercie les internes, qui travaillent 65 à 70 heures par semaine, sans rechigner. Sans eux, le service se casserait la figure.

Je ne veux pas faire des CHU un sanctuaire académique. On peut très bien former ailleurs des internes, et cela se fait, à l'hôpital général d'Orléans, de Saint-Malo ou d'Annecy. Il n'y a pas de problème sur ce point.

Sur les systèmes informatiques, j'ai été ahuri d'apprendre que, dans le CHU où je travaille, il y avait 17 ou 27 logiciels différents concernant les programmations, l'alimentation, le linge, l'imagerie... L'informatique nous rend beaucoup de services, mais si l'on pouvait harmoniser à l'échelon français, ou du moins métropolitain, la transmission des dossiers et l'imagerie, ce serait un grand progrès. Nous gagnerions beaucoup de temps. Je n'évoquerai pas tous les tableaux Excel que nous avons à remplir comme chefs de service...

Concernant le temps de travail administratif, je ne souhaitais pas renouveler ma chefferie de service pour mes dernières années - je pars à la retraite dans un peu plus de deux ans. J'ai proposé à un collègue de prendre ma suite, mais il a refusé, me rétorquant que le lieu où il est le plus tranquille, c'est sa salle d'opération, là où il exerce son métier.

L'évaluation de la qualité des soins est extrêmement difficile et devrait passer en second plan après la pertinence des soins. Évaluer qu'untel opère plus ou moins bien pour installer une prothèse est très difficile, mais évaluer la pertinence d'installer une prothèse est important en termes d'économie de la santé.

Sur le pouvoir administratif, j'estime que le principe de subsidiarité a disparu. On pense que les gens de terrain pensent mal et qu'ils s'organisent mal. Revenons au service. Je suis d'accord avec le professeur Peyromaure sur la disparition des pôles.

Je suis plus nuancé sur les 35 heures. Au-delà du secteur hospitalier, les 35 heures ont changé le rapport au travail, et ont entraîné un manque de souplesse en termes de choix de congés. Cela a été une très mauvaise chose à hôpital.

Nous avons trois missions, mais chacun sait qu'un hospitalo-universitaire ne peut assumer ces trois missions en même temps. C'est bien de montrer, le jour du concours, des publications, une activité clinique et de l'enseignement. Mais les très grands chercheurs ne font qu'un peu d'enseignement, les très bons chirurgiens opèrent beaucoup, enseignent peu, et ne font pas de recherches. Faire deux missions sur trois est déjà pas mal. Et qu'on ne nous ajoute pas la mission de manager, comme j'ai pu l'entendre lors des débats du Ségur de la santé...

Dans un hôpital de 2 000 lits, rassemblant médecine, obstétrique, chirurgie, psychiatrie et gériatrie, qui compte environ 1 200 à 1 300 lits aigus, dans une ville de taille moyenne, il suffit de 25 malades covid en réanimation, 15 en pneumologie et 5 en médecine pour que toute la chaîne soit affectée - alors que cela ne représente que 2 % des lits occupés ! C'est un problème. On veut un taux d'occupation des lits de 97 %, un taux important d'occupation des salles, mais pour pouvoir accueillir en temps et en heure des patients, un hôpital doit avoir des lits vides avec une infirmière auprès de ces lits en temps normal. Le système est extrêmement affecté en termes de programmation puisque les réanimateurs doivent aider leurs collègues, les infirmières aussi. On reprogramme, on déplace des infirmières, pour 2 % des lits ! C'est incroyable.

Cela concerne aussi l'attractivité des métiers : il faut redonner du sens, et non estimer qu'au prétexte qu'un soignant est dans une position subordonnée, il serait interchangeable. Un infirmier de réanimation cardiaque aime son métier. Si un jour il veut changer pour découvrir l'obstétrique, c'est très bien, mais ne le déplaçons pas comme cela. Or actuellement, les flux sont tellement tendus qu'ils sont déplacés comme des pions. Voilà une autre raison pour comprendre que leur métier perd de son sens. C'est vrai pour tous les métiers : aide-soignant, brancardier...

Merci pour toutes ces interventions.

Il est rassurant que des médecins fassent un diagnostic commun, mais le problème est que cela ne débouche pas sur les bonnes décisions de traitement. J'espère que l'avenir démentira vos craintes. Les pistes que vous portez sont largement partagées, malgré quelques nuances. J'espère que les bonnes décisions seront prises.

Professeur Stéphane Velut. - Notre tristesse est tempérée par votre écoute.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

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