Aucune solution politique n’est envisageable avec une telle organisation, qui refuse toute forme de négociation diplomatique. Après les attentats de Paris et de Nice, notre lutte contre Daech comporte bien des similitudes avec la situation présente.
Et pourtant, pour les civils et les otages, il faut avoir du courage et garder pour seuls mots d’ordre : pacifier, protéger, obtenir un cessez-le-feu humanitaire ou, à défaut, assurer un couloir humanitaire solide. Nous supposons que c’est l’objet du déplacement du Président de la République, même si nous aurions préféré, madame la Première ministre, que cette nécessaire visite puisse se dérouler après la fin du débat au Parlement. Croyant à la parole de la France, nous espérons ne pas être déçus par les résultats effectifs de cette visite.
Le Hamas nous replonge dans toute la noirceur de la guerre, ravivant la mémoire des pires épisodes de notre Histoire. Comme Daech, le Hezbollah, le Djihad islamique, Al-Qaïda ou Boko Haram, le Hamas est l’un des bras armés d’une conquête internationale au profit d’un régime totalitaire. C’est la résurgence – mon collègue Retailleau l’a dit – du mouvement islamiste qui parvient à se réinventer chaque jour avec les soutiens que sont le Qatar ou l’Iran. Israël – ne nous y trompons pas –, quelles que soient nos réserves sur les moyens militaires utilisés, représente le premier bouclier contre ce projet politique liberticide et vient d’en être à nouveau la première victime.
À cet instant, j’ai une pensée pour nos compatriotes. Le bilan des victimes françaises est terrible. On en recense au moins trente, ainsi que neuf disparus, otages présumés. Jamais autant de Français n’ont été victimes du terrorisme depuis les attentats de Nice en 2016.
Pour autant, ne faisons pas d’amalgame, mes chers collègues. Dans notre pays, les partisans de la création d’un État islamique ne sont qu’une extrême minorité, mais chaque acte terroriste est un traumatisme national, et cela à juste titre. Je tiens à le rappeler et à le souligner : dans cette période où les tensions communautaires sont exacerbées, le conflit en cours au Proche-Orient ne doit pas être importé sur notre territoire comme un conflit entre religions. Notre responsabilité en tant que politiques est de veiller à ce qu’aucune discrimination ni aucun amalgame ne soit admis.
Pas d’amalgame, mais pas d’angélisme non plus : la tolérance zéro doit s’appliquer face à l’antisémitisme comme face à toute discrimination à l’encontre de nos compatriotes de confession musulmane.
Le principe de laïcité, qui est au cœur de notre République et que nous faisons nôtre, impose le respect et la protection de l’attachement des croyants à la Bible, au Coran ou à la Torah, mais aucun des préceptes de ces livres sacrés ne peut être considéré comme supérieur à la loi de la République. Aristide Briand résumait cela en proclamant – et vous le rappelez souvent, monsieur le président – que « la loi protège la foi tant que la foi ne dicte pas sa loi ».
Transiger avec ces principes, c’est affaiblir durablement notre pacte républicain. Transiger avec ces principes, c’est faire mourir une deuxième fois Samuel Paty et Dominique Bernard.
L’assassinat de ce dernier, il y a onze jours, à Arras, moins d’une semaine après les attaques du Hamas, témoigne des risques qui pèsent dans notre pays. Cet attentat doit nous alerter sur l’absence de risque zéro face à la menace terroriste, mais nous oblige également sur notre devoir de mettre en place des mesures de protection et de prévention.
La sanction est nécessaire, mais quels sont nos moyens de lutter contre la radicalisation, notamment chez les jeunes ? Exclure des élèves de nos établissements scolaires pour comportement inacceptable lors de la minute de silence à la mémoire de Dominique Bernard, bien sûr ! Mais j’ai envie de dire : et après ?
La prévention du poison totalitaire qui infecte des cerveaux perméables à cette idéologie mortifère doit être au cœur de notre action républicaine.
Mes chers collègues, s’il existe des proies dans nos villes et dans nos quartiers, c’est qu’il existe aussi des prédateurs. N’oublions jamais que 75 % des attentats islamistes commis sur notre territoire l’ont été par des Français.
Notre République ne peut s’accommoder de devoir protéger des compatriotes du fait même de leur religion, érigée en identité. Le faire pour des raisons évidentes de sécurité, c’est reconnaître en creux que notre pacte républicain et notre principe du vivre-ensemble sont menacés, voire niés.
C’est la même chose lorsque l’on s’attaque à l’un de nos compatriotes parce qu’il est professeur et qu’il représente notre institution nationale, porteuse d’émancipation et chargée d’éclairer et de forger les esprits critiques. Les semeurs de terreur ont horreur de nos lumières, de la démocratie, de la laïcité, de la liberté d’expression ou encore du droit absolu des femmes à disposer de leur corps.
J’en reviens, pour terminer, à la situation du conflit israélo-palestinien.
Depuis trente ans, la solution à deux États n’est toujours pas mise en œuvre. Depuis 1995 et l’assassinat d’Yitzhak Rabin par un ultranationaliste israélien, l’esprit des accords d’Oslo n’est qu’un vague souvenir qui se dissipe progressivement dans les vapeurs de l’escalade des violences.
La politique du gouvernement israélien en place n’est pas exempte de critiques. La tendance actuelle est en effet inquiétante et répond à une réelle radicalisation politique à vocation ultranationaliste. Il nous faut condamner avec fermeté les choix opérés depuis de trop nombreuses années, qui mettent en péril toute résolution du conflit. Ces choix contribuent à exacerber les tensions et empêchent toute perspective pour la jeunesse palestinienne, privée de tout espoir d’émancipation. Les réactions désespérées de cette jeunesse, que je condamne, confortent ensuite l’extrême droite israélienne dans sa politique d’annexion. L’engrenage est sans fin.
Ce cercle vicieux condamne toute avancée sur le chemin de la paix. J’ai été horrifié d’entendre, il y a quelques jours, à la radio, ces mots d’un père vivant dans un village dirigé par le Hezbollah, dans le sud du Liban, qui venait de perdre son fils lors d’une incursion en Israël : « La Palestine a besoin du sang de ses martyrs. » Des mots qui font peur, mais qui nous obligent à agir.
En tant que socialistes, nous soutenons la reconnaissance de deux États souverains : c’est le seul chemin que nous devons emprunter, collectivement.
Les progressistes palestiniens comme la gauche israélienne, qui reste puissante, doivent œuvrer dans le sens d’une résolution durable de ce conflit et il est de notre rôle de soutenir toute initiative de leur part. Nous devons relayer ces démarches positives, appelant à combattre la surenchère, favorisant le dialogue et apaisant les tensions intercommunautaires. Je pense aux Guerrières de la paix, au mouvement Women Wage Peace et à tous ces organismes qui proposent de tisser des liens et de créer des ponts plutôt que des murs entre les deux côtés.
Ces militants de la paix sont souvent combattus férocement par les forces extrémistes des deux camps. Cela témoigne de la pertinence de leur combat.
Oui, il faut favoriser une reprise du dialogue. Pour cela, du côté palestinien, une véritable force démocratique et une construction politique tournant le dos notamment à la corruption sont nécessaires. Ne pas encourager cette évolution et ne pas la favoriser, cela reviendrait, de fait, à fragiliser la démocratie israélienne. Sans ces prérequis, aucune négociation n’est possible.
La France et l’Europe doivent insuffler une dynamique. Nous devons collectivement tout mettre en œuvre pour installer un climat de désescalade. Le rapport d’information présenté en décembre 2022 par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat et son président de l’époque, Christian Cambon, que je salue, est très inspirant, tant dans son diagnostic que dans ses perspectives et recommandations. Après s’être rendus sur place, les auteurs du rapport ont voulu s’interroger sur les chances de reprise d’un dialogue autour de la solution à deux États. Les conditions d’une nouvelle feuille de route ont été clairement définies. Nous devons les relire et nous les approprier.
En attendant un retour sur le chemin de la raison, ce sont les peuples d’Israël et de Palestine qui sont pris en otages. Cette prise d’otages idéologique est lourde de conséquences mortifères. Ce sont les enfants de ces deux peuples qui subissent les foudres de la violence. Ce sont les enfants de ces deux peuples qui seront marqués dans leur chair, au fer rouge de la guerre. Et pourtant, mes chers collègues, ce sont les enfants de ces deux peuples qui ont la lourde charge de mettre un terme à cette guerre sans fin.
Les solutions existent. Elles reposent sur l’esprit de raison, le respect mutuel et la foi inébranlable en un avenir de paix. Shalom, salam.