Intervention de Jérôme Durain

Réunion du 31 octobre 2023 à 14h30
Amnistie des faits commis à l'occasion de mouvements sociaux — Discussion générale

Photo de Jérôme DurainJérôme Durain :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte que nous étudions aujourd’hui tend à prévoir l’amnistie des faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives.

L’amnistie est une tradition ancienne. Héritière de la grâce royale à ses origines, elle fut bien vite appropriée par la République. Victor Hugo disait à son propos qu’elle était « la porte de la clémence ouverte par la force ».

Toutefois, cette tradition ancienne n’est jamais allée de soi. J’en veux pour preuve cette citation d’Hervé Bazin : « L’amnistie est l’expédient des gouvernements faibles ».

Si cette tradition semble morte depuis 2002, elle n’est pas totalement sortie des esprits. Des collègues du groupe Les Républicains la défendent parfois pour de petites infractions routières. Des événements politiques forts pourraient la faire ressusciter.

Les sénateurs communistes s’étaient déjà distingués en déposant, en novembre 2012, une proposition de loi sur le sujet, qui fut examinée par le Sénat en février 2013.

La majorité sénatoriale de l’époque avait d’ailleurs adopté ce texte, soutenu par des personnalités éminentes et peu suspectes de vouloir laisser prospérer la chienlit ! Je pense à MM. François Patriat, Didier Guillaume, Gérard Collomb, Jean-Michel Baylet, Jacques Mézard, à Mme Patricia Schillinger ou encore à MM. François Rebsamen, Thani Mohamed Soilihi et Jean-Noël Guérini…

À l’époque, l’ambition était d’apaiser les tensions sociales qui avaient été identifiées après le quinquennat du président Sarkozy. De nombreux combats syndicaux avaient agité le pays : Continental, les « cinq de Roanne » – cinq syndicalistes de la CGT qui avaient tagué des « Casse-toi, pauv’con ! » sur des murs roannais avant d’être relaxés en 2014 –, ou encore Molex.

Pour jauger la présente initiative parlementaire de nos collègues communistes, il nous faut nous interroger sur le contexte : est-il similaire ?

Si vous me permettez d’utiliser un vocabulaire à connotation monarchique, le règne d’Emmanuel Macron n’a pas été de tout repos sur le plan social. Nous avons tous en tête l’épisode catastrophique des retraites, lors duquel l’exécutif s’est montré sourd à la contestation sociale, tout en laissant s’exercer une lourde répression.

Nous comprenons bien l’objectif de nos camarades du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky, qui amorcent une tentative de réanimation de cette tradition : consacrer une « amnistie sociale » aux manifestants ayant participé aux mouvements sociaux de ces dernières années et ayant notamment été interpellés et condamnés pour des faits de violences et de dégradations urbaines voilà quelques mois, lors du passage en force de la réforme des retraites.

Depuis lors, les tensions dans le pays se sont encore accrues. Les liens entre l’exécutif et nos concitoyens n’ont cessé de se distendre. Le recours à la violence comme moyen d’action politique s’est exacerbé.

Nous l’avons constaté au travers de la prolifération du nombre de Black Blocs présents lors des manifestations liées au mouvement des « gilets jaunes », ainsi que pendant la réforme des retraites. Nous l’avons vu aussi dans la détermination grandissante des mouvements écologistes venus contrer les projets de mégabassines à Sainte-Soline.

En réaction, le Gouvernement multiplie les réformes violentes et les lois liberticides. Il nourrit les tensions par des politiques sociales et économiques délétères, doublées d’une stratégie de maintien de l’ordre particulièrement discutable.

Aussi, il peut être légitimement considéré, à certains égards, que les droits des Français – notamment en matière syndicale et de droit à manifester – ont été largement mis à mal au cours des dernières années.

Ces droits sont pourtant constitutionnellement garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ainsi que par le préambule de la Constitution de 1946. Ils ne sauraient, de ce fait, être restreints.

Bien évidemment, nous ne considérons aucunement que le droit à manifester est un droit à casser. Nous ne cautionnons nullement les violences, les heurts et les attaques envers les forces de l’ordre ou contre des bâtiments et biens mobiliers, qu’ils soient publics ou privés.

Toutes et tous, sur les travées de cet hémicycle, nous sommes des partisans du maintien de l’ordre public. Ceux qui utilisent aujourd’hui la brutalité comme outil de lutte dévoient les justes combats qui poussent nos concitoyennes et concitoyens à se mobiliser et à sortir dans la rue.

Toutefois, ces faits de violences ne sauraient être pleinement décorrélés de leur contexte. Nous connaissons depuis quelques années un climat particulier, presque inédit.

À la crise économique et sociale est venue s’agréger une crise sanitaire, avec la pandémie de covid-19, suivie d’une guerre meurtrière en Ukraine, aux portes de l’Europe. La recrudescence des conflits à l’échelle planétaire n’est pas non plus de nature à apaiser l’humeur du pays.

Cette atmosphère anxiogène contribue, de fait, à alimenter le ressentiment des Français envers des gouvernants perçus comme impuissants, à court de solutions et incapables d’endiguer ce phénomène.

Hélas, force est de constater que parfois – nous le déplorons –, ce ressentiment se transforme en une violence qui s’est exprimée dans l’espace public au cours des derniers mois.

Je le redis, nul ici ne cautionne ces actes. Dans une société démocratique et moderne, aux mœurs pacifiées, de tels débordements ne sont pas acceptables. Mais alors que notre nation est plus divisée que jamais, nous ne saurions ainsi balayer une main tendue envers des personnes qui, par colère ou par dépit, ont pu participer récemment à certains débordements.

Aussi, il semble nécessaire de noter que ce texte ne concerne que les personnes ayant commis des actes réprimés par le code pénal et pour lesquels la peine encourue n’excède pas dix ans d’emprisonnement.

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