Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voilà rassemblés pour examiner la proposition de loi déposée par Mme la sénatrice Cathy Apourceau-Poly et plusieurs membres du groupe CRCE-K, dont l’objet est de prévoir l’amnistie de faits commis à l’occasion de mouvements sociaux et d’activités syndicales et revendicatives.
Dans le contexte de « polycrise » que nous traversons, les Français sont en proie à de nombreuses inquiétudes, que celles-ci concernent l’emploi, le pouvoir d’achat, leur capacité d’accès aux soins ou encore, plus largement, leur avenir dans une société frappée par le réchauffement climatique. Les élus que nous sommes ne peuvent pas y être insensibles.
Ces inquiétudes ont pu s’exprimer encore récemment dans la rue, à l’occasion de mouvements sociaux et syndicaux.
Si ces mouvements constituent la mise en œuvre concrète de libertés et de droits qui nous sont chers et qui sont garantis par notre bloc de constitutionnalité, comme la liberté syndicale ou le droit de grève, ces mouvements ont aussi été l’occasion pour certains de commettre des actes violents, punis par la loi.
L’idée qui sous-tend ce texte est qu’il y aurait derrière la répression de ces actes une intention de restreindre l’exercice de ces libertés, ce qui constitue un risque pour notre État de droit. Il faudrait donc, pour protéger celles-ci, pardonner les auteurs de faits commis au nom d’un intérêt supérieur, dont l’appréciation est somme toute subjective – comme si la défense de l’intérêt général devait inévitablement conduire à commettre une infraction ou un délit.
Au groupe RDPI, nous tenons à réaffirmer notre attachement à la liberté syndicale et notre plus grand respect pour la mobilisation sociale.
Toutefois, si l’action collective constitue un rouage essentiel de la démocratie, nous considérons que la justice, l’ordre public et l’efficacité de la réponse pénale sont tout aussi importants pour le bon fonctionnement d’une démocratie.
La mise en œuvre par le législateur du pardon républicain, notamment à des fins de rétablissement de la concorde sociale, pourrait, ici, avoir un effet inverse et, au contraire, fracturer un peu plus notre société. Elle heurterait le principe d’égalité devant la loi, auquel les Français sont tout aussi attachés.
Par ailleurs, eu égard au caractère hautement sensible des conséquences qu’implique une telle loi, il est impératif que son champ d’application soit clairement déterminé et le plus restrictif possible. Or, comme cela a été mis en lumière lors de nos discussions en commission, le champ de l’amnistie prévue par ce texte est particulièrement large. En visant les délits survenus « à l’occasion » de conflits sociaux, de mouvements collectifs revendicatifs, associatifs ou syndicaux, l’amnistie pourrait concerner des personnes ayant rejoint ces mouvements dans l’intention même de commettre des délits.
C’est absolument inacceptable à nos yeux.
La plus grande fermeté doit s’appliquer à l’encontre de ceux qui, délibérément, n’ont pas hésité à faire usage de la violence, quand bien même celle-ci ne serait dirigée que contre des biens. Il est du rôle, voire du devoir du législateur d’affirmer haut et fort que toute violence est contraire à l’ordre républicain.
Si un texte visant un objet similaire émanant du même groupe parlementaire a pu être adopté en 2013, il faut souligner que le texte présenté aujourd’hui est bien plus généreux. En effet sont visés les délits passibles de moins de dix ans d’emprisonnement, contre cinq ans dans le précédent texte. En outre, toutes les infractions entrant dans le cadre prévu et commises avant la promulgation de la loi seraient susceptibles d’être amnistiées, alors que le texte de 2013 délimitait précisément dans le temps les infractions entrant dans le champ de l’amnistie.
Plus largement, il faut reconnaître que l’acceptabilité de telles lois par l’opinion est aujourd’hui plutôt discutable. Elles pourraient en effet résonner chez nos concitoyens comme un encouragement aux formes les plus violentes de mobilisation, alors que c’est au renforcement du dialogue social et à la définition des bases d’un nouveau contrat social qu’il faudrait travailler.
En conclusion, si nous reconnaissons la nécessité de protéger les droits fondamentaux, nous estimons cependant que cette proposition, telle qu’elle est formulée, soulève des inquiétudes majeures de nature à porter préjudice à la cohésion nationale. Pour ces raisons, les membres du groupe RDPI se prononceront contre ce texte.